Jeux de la Francophonie : la RDC au pied du mur !

Le chantier du village des Jeux de la Francophonie
Le chantier du village des Jeux de la Francophonie

Par Mabiala Ma-Umba, ancien Directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation internationale de la Francophonie

L’organisation de la 9ème édition des Jeux de la Francophonie avait été attribuée à la République Démocratique du Congo (RDC) en juillet 2019. Reportés à deux reprises par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ces Jeux doivent normalement se tenir à Kinshasa du 28 juillet au 6 août 2023.

Il y a quelques jours, la directrice du Comité international des jeux de la Francophonie (CIJF) a rappelé, sur les ondes d’une radio internationale, les engagements souscrits par la RDC. Dans un langage à peine voilé et à quelques mois du 18ème Sommet de la Francophonie prévu à Djerba, en Tunisie, la directrice du CIJF a mis la RDC devant ses responsabilités et exprimé son impatience face au retard enregistré dans la construction des logements des athlètes.

D’après le cahier des charges des Jeux de la francophonie, la RDC doit mettre à la disposition des Jeux « un site d’hébergement unique, dénommé traditionnellement « Village des Jeux », sécuritaire, offrant une gamme de services et susceptible d’accueillir au moins 3500 participants et accompagnateurs ». Initialement, c’est le site de la foire internationale de Kinshasa (Fikin) qui avait été choisi mais, par la suite, le choix a été porté sur le site du stade Tata Raphaël. Bien que signé dans des conditions opaques, un contrat avec des partenaires privés avait permis, en avril 2021, de démarrer les travaux d’aménagement et de construction des infrastructures. Onze ou douze bâtiments de sept étages chacun devaient y être construits et livrés en avril 2022. Malheureusement, depuis plusieurs mois, les travaux n’avancent pas !

Le choix de l’UNIKIN s’impose

Il est illusoire de croire que ces chantiers seront prêts avant le mois de juillet 2023, même en envisageant l’option de construire en urgence des logements préfabriqués. D’autre part, il est exclu que l’OIF puisse de nouveau reporter ces Jeux. La RDC n’a donc d’autres choix que de tenir ses engagements. Aujourd’hui, eu égard aux délais et à toutes sortes d’impondérables, la seule option crédible est d‘utiliser les logements des étudiants de l’Université de Kinshasa (UNIKIN). Cette option nécessite cependant un engagement politique sans faille pour que les travaux de réhabilitation s’accélèrent sur le campus et pour que des dispositions urgentes soient prises afin d’entreprendre des travaux de terrassement et de réaménagement des routes, tout autour de l’Université, notamment les voies d’accès qui mènent de l’Université de Kinshasa vers les communes où se dérouleront les compétitions culturelles et sportives. Le choix de l’UNIKIN serait l’occasion de transformer profondément ce campus pour en faire, du point de vue des équipements et des infrastructures, un cadre de vie qui n’a rien à envier aux prestigieuses universités d’autres pays. Incontestablement, ce serait un « legs des Jeux de la Francophonie » dont les étudiants congolais se souviendraient pendant longtemps !

A environ dix mois des échéances, les équipes du Comité National des Jeux de la Francophonie sont à pied d’œuvre, en dépit des moyens logistiques qui paraissent dérisoires eu égard à l’ampleur de la tâche. Il devient donc urgent que le Gouvernement mette à la disposition de ces équipes tous les moyens nécessaires pour accélérer les préparatifs et acquérir les équipements et matériels indispensables à la bonne tenue des Jeux.

En dehors des logements, des infrastructures sportives à parachever et des préparatifs techniques à mener par des experts, il y a beaucoup d’autres dispositions à prendre, sous l’impulsion des autorités politiques, notamment les ministères des affaires étrangères, de la coopération internationale et de la Francophonie. Par exemple, sur le plan pratique et organisationnel, les modalités relatives aux délivrances des visas d’entrée en RDC doivent, d’après l’avenant au cahier des charges, être communiquées aux Etats et gouvernements de la Francophonie avant le 30 septembre 2022.

Mobiliser les Etats et gouvernements

Le succès des Jeux se mesure au nombre d’Etats et gouvernements participants ainsi qu’au nombre d’artistes et d’athlètes mobilisés. La précédente édition, à Abidjan, en 2017, avait connu la participation de 43 délégations et de 3500 concurrents, accompagnateurs et officiels.

La responsabilité de mobiliser ces Etats et gouvernements incombe à la fois au CIJF et au pays hôte, c’est-à-dire la RDC. A ce jour, 42 États et gouvernements (sur 88 Etats membres et observateurs que compte l’OIF) ont transmis au CIJF leur engagement de principe à participer aux IXe Jeux de la Francophonie de Kinshasa, en 2023. Sur les 42 Etats et gouvernements qui ont fait état de leur engagement de principe, 37 se sont préinscrits aux disciplines.

Il convient de noter qu’un engagement de principe ne signifie pas participation effective. Afin de prévenir le désistement de certains Etats et gouvernements, il est important, pour la RDC, d’entreprendre des actions diplomatiques d’envergure afin de convaincre le maximum d’Etats et de gouvernements de prendre part ou de dépêcher des délégations aux prochains Jeux de la Francophonie à Kinshasa. En effet, l’organisation de ces Jeux constitue un enjeu diplomatique important : c’est l’occasion pour la RDC de retrouver sa place et de renforcer sa présence au sein de la Francophonie !

Les Jeux de la Francophonie ont la particularité d’abriter des compétitions sportives et un ensemble de concours culturels et scientifiques, en épreuves individuelles et collectives. A titre d’exemple, les compétitions sur la création numérique et les projets de développement durable ont connu un immense succès lors des éditions précédentes des Jeux de la Francophonie. Les Jeux de la Francophonie rassemblent trois à quatre mille artistes et athlètes ainsi que plusieurs centaines de personnalités officielles dont quelques Chefs d’Etat et de gouvernement, des ministres et ambassadeurs venant de différents pays membres de l’OIF. Les Jeux de la Francophonie permettent, entre autres, de faire connaître l’originalité des cultures francophones dans toute leur diversité et favorisent les échanges entre jeunes de différents pays francophones. 

Place et rôle de la RDC au sein de la Francophonie

Les Jeux de la Francophonie constituent un événement politique, culturel et économique majeur. Pour la RDC, ces Jeux sont une opportunité de mobiliser la jeunesse autour des enjeux du numérique, du développement durable, des arts, de la culture et du sport, sur l’ensemble du territoire national et pas seulement à Kinshasa. Ils pourraient être une opportunité d’identifier et de promouvoir des jeunes talents dans différents domaines et de les soutenir de manière concrète. Au-delà de l’aspect évènementiel, les Jeux de la Francophonie pourraient également constituer une occasion d’actualiser la politique gouvernementale en matière de jeunesse, de politique culturelle, de sports, et de se doter d’une feuille de route réaliste et consensuelle. Les Jeux de la Francophonie pourraient contribuer à renforcer la cohésion nationale, le regain patriotique, l’unité nationale. Mais, au-delà des considérations patriotiques, divers événements culturels, économiques, scientifiques d’envergure nationale pourraient être planifiés en amont des Jeux, avec différents ministères, en partenariat avec des acteurs clefs du secteur privé et de la société civile ainsi qu’avec les agences de la coopération bi et multilatérale.

Accueillir, pendant une dizaine de jours, plusieurs milliers de visiteurs venant de tous les horizons du monde est une occasion que la RDC devrait également saisir pour donner une impulsion à la politique touristique du pays. Le ministère en charge du tourisme devrait donc se sentir impliqué dans l’organisation des Jeux de la Francophonie et profiter de cette occasion pour mettre en place des mécanismes adéquats destinés à attirer des touristes en RDC.

L’attribution des Jeux de la Francophonie à la RDC (plus grand pays francophone après la France, en nombre de locuteurs réels) pourrait constituer une occasion propice pour lancer une réflexion stratégique sur le rôle et la place de la RDC au sein de la Francophonie. Cette réflexion stratégique est d’autant plus pertinente que l’OIF qui vient de célébrer son cinquantenaire, se prépare à repartir sur de nouvelles bases, sous le signe du renouveau et de la refondation (les Chefs d’Etat en discuteront lors du XVIIIe Sommet qui se tiendra en Tunisie). Cette réflexion stratégique devrait permettre à la RDC de définir sa doctrine par rapport à la Francophonie, le rôle qu’elle souhaiterait jouer dans les prochaines années, les responsabilités qu’elle entend assumer, les bénéfices que le pays espère en tirer, les conséquences et les implications qui en découlent ainsi que les dispositions qu’il convient de prendre dans la conduite de la politique étrangère de la RDC et pour soutenir l’engagement de la RDC vis-à-vis de la Francophonie.

Mabiala Ma-Umba

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