Faire la police du terrain, signaler les fautes et les hors-jeux, faire face aux comportements des joueurs.. cela fait bien longtemps que le métier d’arbitre se conjugue au féminin. La rédaction Femme d’Actualité.cd vous amène à la rencontre de quatre femmes désignées pour officier un match 100% masculin. Reportage
C’est dimanche et dimanche c’est jour de match dans la capitale congolaise. Carine, Marthe, Nino et Bijoux sont déjà dans le stade deux heures avant le match. Jeunes, souples et courageuses, celles qui vont officier le match de ce 21 septembre s’apprêtent pour un énième match. La rencontre est prévue pour 13 heures. En attendant la fin d’une autre rencontre, elles se pressent dans les vestiaires pour enfiler leurs bottines ainsi que leurs maillots.
Une heure plus tard, sous un soleil harassant, elles montent sur la pelouse. Le match oppose Athletic Club Kuya à Jeunesse Sportive de Kinshasa(JSK) pour le championnat de la 2è division de Linafoot.
Dans cette esplanade offrant une capacité de 80.000 places, les supporters sont à peine une centaines répartis dans différentes tribunes. Tous en vareuses jaunes, chants et danses au rythme du tam-tam, les supporters de l’AC Kuya semblent plus motivés que ceux de JSK. Les quatre arbitres possèdent chacune un titre international et cela n’a pas toujours été de tout repos pour elle. Parcours jalonné d’anicroches, il leur aura fallu du courage et de la ténacité pour y arriver.
“Relever le défis selon lequel il n’y a pas d’avenir dans le métier”
Carine Ayom a 28 ans, elle fait office d’arbitre central. Étudiante de l’institut national des sports, elle s’est inspirée du travail d’une autre arbitre pour forger sa carrière. “J’assistais aux matches qui se jouaient au stade du 20 mai à Kalamu. Je voyais de quelle façon Marthe arbitrait les rencontres. Cela me plaisait beaucoup. Je me suis alors lancée un défis, celui de vaincre les rumeurs selon lesquelles les arbitres congolais n’ont pas d’avenir dans le métier. Je me suis basée sur l’exemple de Marthe, associé à une discipline et des moments d'entraînements personnels. Au départ, mes parents et mes frères ne voulaient pas me soutenir. Après que j’aie arbitré un match opposant V-Club au DCMP, ils sont tous devenus mes fans”explique l’arbitre internationale de la RDC.
Marthe Sakobo, source d’inspiration de Carine a 32 ans. Pour ce match, elle joue le rôle d’assistante 1. C’est une doyenne dans l’arbitrage des grands matchs. “J’ai officié plusieurs rencontres entre Vita Club et Daring Club Motema Pembe(DCMP), V-club Renaissance, Tout puissant Mazembe et Lupopo, ou Mazembe contre Sanga-Balende. Cela va faire 16 ans depuis que je suis arbitre et j’ai 11 ans de carrière internationale. Plus jeune, j’ai fait des humanités commerciales au complexe scolaire Mont-Amba. Je jouais au football, je lançais le javelot, j’étais également dans l’athlétisme. Plus tard, j’ai intégrée l’arbitrage, c’est à ce moment là que ma carrière a débuté.”
De son côté, Nino Mwanza, juge de ligne 2 au même titre que Marthe, a dû suspendre son rêve de coach pour devenir arbitre. “J’avais une équipe de football. Quand je me suis inscrite à la formation pour devenir arbitre, je ne pouvais plus gérer l’équipe. En plus, les charges financières pesaient lourdement. Je n’avais pas encore de partenaires pour soutenir mon projet. Par conséquent, je me suis retirée et l’équipe n’a pas résistée. C’est en 2014 que je suis devenue arbitre internationale” confie Nino .
Bijoux Maenga, quatrième arbitre, se place entre les deux bancs de touches et veille à ce que les entraîneurs ne sortent pas de leur zone. Elle a fait des exploits dans le monde du handball avant de suivre sa passion. “J’étais d’abord basketteuse. Ensuite, je suis passée par le handball dans une équipe de Vita-Club. Grâce à l’équipe des Léopards juniors handball de la RDC, j’ai participé au Mondial Corée du sud 2010. J’ai effectué plusieurs voyages mais, j'appréciais énormément le Foot. En 2015, je me suis renseigné sur la formation des arbitres au sein de l’école Lodja dans la commune de Kasa-vubu. Je me suis inscrite, j’ai gravis tous les échelons pour devenir arbitre. En 2016, j’ai débuté une carrière internationale.”
“Pour certains, on reste d’abord et avant tout une femme!”
La rencontre poursuit son cours et pendant ce temps, Carine au centre a déjà donné deux cartons jaunes aux joueurs de l’AC Kuya. Tout le long du match, les cris d’une cinquantaine de supporters pèsent contre l’arbitre qui doit en même temps gérer le comportement offensif des joueurs. “Il arrive qu’un joueur veuille faire croire à une femme arbitre que le fait d’occuper cette fonction, ne change en rien son statut de femme. Nous y sommes habitué et on ne les craint plus,” affirme Nino Mwanza. A Marthe d’ajouter “un arbitre est un monsieur, peu importe son sexe. Lorsque nous montons sur le terrain, nous laissons toute notre féminité en dehors du terrain. Rien ne peut nous faire peur,” et Bijoux Maenga conclut “Quand je suis sur terrain, je suis la maîtresse de jeu. Je sais qu’aucun joueur ne peut s’opposer à mes décisions parce qu’elles sont réfléchies. Je maintiens ma décision et je l’applique.”
Etre arbitre, c’est aussi anticiper les actions des joueurs “Quand nous sommes sur terrain, nous faisons une lecture du jeu. Lorsqu’un joueur ou un gardien possède le ballon, j’anticipe son action. Je connais à l’avance quelle sera la destination du ballon et je prévois une réaction ou une sanction. Je gère tout” explique Carine Ayom.
“En RDC, il y a au moins 300 arbitres et pourtant le nombre des femmes ne va pas au-delà de 20. Nous devons nous surpasser pour être repéré par les autorités. Je m'entraîne 3 heures par jour, je lis les lois de jeu que nous envoie la FIFA au cours des séminaires et quand nous renouvelons nos badges.” Selon Marthe Sakobo, “il faut aussi se fixer des objectifs à atteindre et respecter les aînés.”
Quid de l’arbitrage nationale et international?
Un arbitrage national qui est purement interne à un Etat est un arbitrage qui transcende les frontières nationales. Pour Carine, “un arbitre national se limite à officier des matches de la Ligue Nationale de Football(Linafoot) et peut faire des déplacements uniquement dans le pays. Tandisqu’un arbitre international peut être sollicité pour arbitrer des rencontres au sein du pays et partout dans le monde, il peut aussi être officiel de la Coupe du Monde”dit-elle avant d’ajouter “On peut également se passer d'être arbitre national, tout dépend des objectifs.”
A 15 heures 10 minutes. Le match se termine par le score d’un but à zéro(1-0) en faveur de l’Athlétic Club Kuya. 4 cartons jaunes dont trois du côté AC Kuya et un pour la JSK. Retour dans les vestiaires pour évaluer le match avec le commissaire, membre de la Linafoot. Carine et ses collègues ont dû supporter les réactions des coachs, leurs cris contre les joueurs et les arbitres.
“Ces arbitres s’appliquent bien plus que les hommes”
Denis Kakudji est le délégué de la Linafoot. Il était également sur place pour suivre le déroulement du match. “Elles font partie des meilleurs arbitres du moment. Je pense qu’il ne faut même plus parler de sexe dans le sport au Congo. Ces arbitres s’appliquent bien plus que les hommes d’ailleurs.” dit-il avant d’ajouter “ Carine qui était au milieu avait arbitré un match opposant le Vita-Club au DCMP l’année dernière. Elle travaille bien.”
“Nous sommes dirigés par une commission de gestion qui a décidé de ce quatro féminin pour officier ce match. Ces femmes s’appliquent très bien. Ce sont des arbitres formées et compétentes. C’est une réelle satisfaction de voir que les jeunes dames s’adonnent à la carrière d’arbitre de football” confie Joachim Mavungu, membre de la commission de discipline et compétition (CDC), commissaire du Match.
Il faut noter que les arbitres vivent en quasi totalité des primes des recettes des match. A la fin d’un match, les arbitres femmes font également l’objet de cibles d’attaque de la part des supporters.
Prisca Lokale