Elles sont nombreuses en RDC, celles qui exercent des métiers généralement pratiqués par les hommes. Cireuse des chaussures, ingénieure en électricité, pilote , aide-maçon … ces femmes ont bravé peur et honte pour s’assurer une autonomie financière. La rédaction Femme d’ACTUALITE.CD vous présente Dorcas Sungu, cireuse des chaussures à Kinshasa.
C’est à gauche de la grille d’entrée du ministère des affaires étrangères que Dorcas, 33 ans, veuve et mère de 2 enfants a installé son petit bureau. Une brique, un morceau de coussin, des chaises en plastique cassées et rassemblées, depuis deux ans années, elle cire, répare et embellit des chaussures aux côtés des cambistes et vendeurs de diverses boissons.
Mme Sungu, pouvez-vous nous dire ce qui vous a poussé à devenir cireuse de chaussures?
Dorcas Sungu : quand je me suis mariée, l’église a organisé quelques séances de formation sur divers métiers dont la cordonnerie. Après cette formation, je n’ai pas pu pratiqué tout ce que j’avais appris. En 2007, j’ai perdu mon époux des suites d’un accident de la circulation. J’avais un petit garçon d’un mois et sa soeur de 11 ans. J’ai tenté de pratiquer différentes activités commerciales ça n’a pas fonctionné. C’est alors que je me suis souvenue de toutes les pratiques apprises à l’Eglise et je me suis lancée dans ce métier vers octobre 2017.
L’adaptation était-elle facile? Pour vous, en tant que femme ?
Dorcas Sungu : j’ai d’abord commencé au Beach Ngobila avant de trouver une place devant le Minaffet. Au départ, j’avais très honte de parcourir la ville avec mes outils de travail. Parfois, je me cachais ou j’abandonnais mes outils pour éviter les moqueries. Pendant ce temps, des jeunes gens et certains hommes mariés n'hésitaient pas à m’encourager. Un jour, j’ai rencontré un pasteur, il a prié pour que je devienne plus courageuse. Depuis ce jour, je n’avais plus honte de ce métier. Je parcourais le grand marché et je proposais mes services aux passants. Un jour, dans une rue du grand marché, j’ai rencontré une femme qui travaille au 8è niveau du ministère. Elle a apprécié mon courage, m’a proposé de prendre un taxi avec elle jusqu’ici. Nous avons visité quelques bureaux, elle m’a présenté à ses collègues et aux policiers. J’ai gagné la confiance des autorités et ils m’ont accordé cet espace.
Maintenant que vous vous êtes immergée et intégrée dans ce métier, quel plaisir trouvez à l’exercer ?
Dorcas Sungu : je suis heureuse J’ai accepté de travailler sous le soleil, de salir mes ongles et brûler ma peau pour nourrir mes enfants. Avec le peu que je gagne, je paie leurs études, je leur trouve de la nourriture, je paie le loyer. J’ai accepté de gagner par mes propres efforts.. Je ne vois pas quel autre métier je peux mieux faire à par celui-ci, j’aime mon métier de cireuse.
Et vos clients, que disent-ils ?
Dorcas Sungu : ici, j’ai une nouvelle famille. Je ne paie rien pour occuper l’espace. Quand il m’arrive de tomber malade, ils s’inquiètent pour moi. Mes clients passent par ici, avant de se rendre dans leurs bureaux. C’est comme une liste de présence. Pour un service qui coûte 300 francs, certains d’entre eux me donnent 1000 francs, 2000 voir plus. Je suis très à l’aise dans ce métier.
Comment avez-vous établi votre horaire de travail ?
Dorcas Sungu : je vis dans la commune de N’djili. Je quitte la maison tous les jours aux environs de 5h30 pour arriver à mon lieu de travail au plus tard à 6 heures. Dès 7 heures, j’accueille mes premiers clients. Je travaille du lundi au vendredi de 7 heures à 13 heures 30. Le reste du temps me permet de m’occuper de mes enfants. L'aînée a 18 ans et son frère a 12 ans.
Comment gérez-vous vos revenus?
Dorcas Sungu : je gagne au moins 20.000 francs à chaque fin de journée. J’ai intégré une ristourne où je verse 5.000 francs chaque jour. Je ne dépense pas assez pour l’achat de mon matériel de travail, je gagne plus que mes dépenses. Le reste de l’argent me permets de faire mes provisions de nourriture et répondre à d’autres besoins.
Quel est votre plus grand rêve ?
Dorcas Sungu : à travers ce métier, une grande ambition est née en moi. En fait, chaque jour je vois des femmes veuves et des enfants défiler dans la rue pour mendier. Moi, à travers ce métier j'ai appris à assurer mon autonomie financière. Et j'envisage de créer un petit atelier, initier ces enfants de la rue et ces femmes à ce métier. Pour l'instant, je n'ai pas encore assez de moyens financiers mais je sais qu'un jour, si les autorités du pays et des personnes de bonne volonté soutiennent ce rêve, ces femmes et ces enfants pourront aussi gagner leurs vies, tel que je le fais.
Quel est votre message pour les jeunes filles?
Dorcas Sungu : aux jeunes femmes, je présente mon exemple. Je suis veuve depuis plus de 10 ans. C'est parce que je me bats pour assurer l'avenir de mes enfants que je suis ici. J'ai accepté de faire ce métier malgré le nombre de fois où les gens se sont moqués de moi et continuent à le faire. J'ai refusé de quémander même auprès des membres de ma famille parce qu'ils ne peuvent pas me prendre en charge tous les jours. Je voudrais que chaque jeune femme découvre son potentiel et qu’elle puisse le mettre au service de la société.
Dorcas Sungu se fait également appelée “Dodo” par ses voisins, vendeurs des cartes prépayées et ses clients. Son fils qui avait un mois à la mort de son époux a 12 ans aujourd’hui, il est actuellement en 5è année primaire.
Propos recueillis par Prisca Lokale