Par NKUY KIMBUNGU Wally-W, chercheur en Sciences Po
Le 4 décembre à Washington, le Président Félix Tshisekedi doit accomplir un acte présenté comme décisif dans la mise en œuvre de l’accord de paix conclu avec le Rwanda. Si ce geste revêt une forte charge politique, il soulève toutefois une interrogation centrale : quelle valeur juridique aura-t-il tant que la République démocratique du Congo n’aura pas procédé à la ratification formelle de l’accord ?
La question n’est pas anodine. Elle renvoie directement au cadre constitutionnel congolais, qui encadre strictement la signature, l’adoption et la mise en vigueur des engagements internationaux.
Signature et ratification : deux niveaux d’engagement
La Constitution congolaise distingue nettement ce que représente la signature d’un traité et ce que signifie sa ratification.
L’article 213 confie au Président de la République la compétence de négocier et de ratifier les traités.
Il précise aussi que le Gouvernement ne peut conclure que des accords qui n’exigent pas de ratification, et seulement après délibération en Conseil des ministres.
L’article 214, quant à lui, est encore plus strict : les traités de paix, les accords engageant les finances publiques, ceux ayant un impact législatif, les conventions relatives aux conflits internationaux ou touchant au territoire national, doivent impérativement être ratifiés par une loi votée par le Parlement.
Toute modification territoriale requiert même un référendum.
Autrement dit, l’accord signé en juin ne peut produire d’effets juridiques internes qu’après son adoption par les deux chambres du Parlement. Sans cette étape, il demeure un engagement politique non contraignant.
Sur le plan du droit international également, la signature a une portée limitée : elle manifeste une intention, mais elle ne crée pas d’obligations juridiques lorsque la ratification est requise. C’est la ratification qui fait entrer l’État dans un engagement définitif vis-à-vis de ses partenaires et de son propre ordre juridique.
Ainsi, l’acte annoncé du 4 décembre s’apparente davantage à un signal diplomatique — un marqueur de volonté politique — qu’à une obligation opposable à l’État congolais.
Une asymétrie avec le Rwanda
La situation devient d’autant plus délicate que le Rwanda, de son côté, a déjà franchi l’étape parlementaire. Son Parlement a autorisé la ratification, plaçant Kigali dans une position juridique plus avancée.
La RDC, en revanche, se trouve dans une zone d’incertitude juridique et institutionnelle. Cette asymétrie crée plusieurs vulnérabilités :
- des contestations constitutionnelles possibles ;
- une absence de base légale pour appliquer certaines clauses de l’accord ;
- un écart entre l’engagement politique affiché et la capacité réelle d’exécution.
Tant que la loi de ratification n’aura pas été adoptée, le texte restera exposé à une fragilité institutionnelle, susceptible d’affaiblir l’équilibre recherché dans le processus de paix.
Un geste fort… mais encore insuffisant
L’acte du 4 décembre aura sans aucun doute une importante dimension symbolique. Il réaffirmera la volonté du Président Tshisekedi d’avancer dans la voie du dialogue, tout en rassurant les partenaires internationaux impliqués dans la médiation.
Cependant, la symbolique ne peut se substituer à la procédure constitutionnelle.
Seule la ratification parlementaire permettra à l’accord de s’inscrire pleinement dans la légalité congolaise et d’être mis en œuvre sans risque de contestation.
Pour une paix durable, l’ancrage juridique est essentiel
Dans un pays meurtri par des décennies de conflits à l’Est, les populations attendent plus que des annonces ou des gestes diplomatiques. Elles aspirent à des garanties tangibles : sécurité durable, fin du soutien aux groupes armés, retour des déplacés, restauration de l’autorité de l’État.
Pour que l’accord de Washington devienne un instrument pérenne de pacification, il doit sortir du registre de l’intention et s’ancrer pleinement dans le droit. La ratification par le Parlement congolais sera l’étape déterminante pour transformer un signal politique en engagement juridique solide.