Annoncé début de l’année 2023, le projet d’exploitation du Lithium dans le Manono, province du Tanganyika, n’est toujours pas lancé. Pourtant à la découverte de ce prestigieux gisement, nombreux sont ceux qui croyaient déjà à la transformation de cette contrée de la région du Grand Katanga. Un minerai très convoité à travers le monde, son exploitation devrait intervenir quelques années après celle de l'étain, il y a quelques années, en République démocratique du Congo. Mais la question se pose: pourquoi le retard dans la mise en œuvre de ce projet tant attendu ?
Manono est une entité administrative déconcentrée de la province du Tanganyika située au sud-est de la République démocratique du Congo. Elle a dans son sous-sol, la plus grande réserve de Lithium au monde. Avec le nombre de personnes déplacées internes (DPI) estimé à près de 100 000, Manono est l’un des territoires de la RDC dont ses ressources naturelles ont plus fait de la réputation notamment avec la découverte de Lithium. La demande de ce minerai, d’après plusieurs experts en mines, allait accroître différents projets à court et moyen termes, d’autant qu’il entre aussi dans la production des batteries lithium-ion, indispensables pour les véhicules électriques. Une croissance qui, selon plusieurs rapports consultés dont celui publié il y a peu par Market Research Future, « le marché mondial des batteries lithium-ion devrait atteindre jusqu’à 16% d’ici 2026 ».
Espoirs transformés en inquiétudes
À l’annonce de ce projet d’exploitation de Lithium de Manono avait suscité de la surprise et de l'enthousiasme de la part des investisseurs, mais également potentiels acheteurs. Ces derniers se sont mobilisés, cherchant à sécuriser rapidement l’approvisionnement, encouragé par AVZ Minerals, une firme australienne qui venait d’être retirée de ce projet par le gouvernement congolais, suite à la publication des informations tendant à faire perdre au pays, la crédibilité auprès des autres partenaires.
Mais AVZ Minerals dément ces affirmations. A travers une réaction de ses avocats, elle dit avoir “prouvé ses ressources, obtenu des financements, des études et des contrats et s'est fait voler le projet par des fonctionnaires corrompus”.
C'est dans ce contexte que l'espoir suscité par ce projet s’est vite transformé en des inquiétudes dans le chef de la population locale. D’où, la question de savoir, pourquoi et comment ce projet a été suspendu ? Les raisons sont multiples. D’abord, le non-respect du cahier de charges signé entre les communautés locales et l’entreprise Manon Lithium. Cette entreprise de la filiale Zijin, une firme chinoise qui s’était engagée à réaliser des projets communautaires dans deux ans avant tout financement de son projet d’exploitation. Chose qui n’a pas été faite sur terrain, pourtant, son directeur général Jian Heyuan avait laissé entendre que ce projet devrait être le tout premier de production de Lithium pour Zijin en Afrique, mais aussi en République démocratique du Congo.
« Nous pensions que ce projet allait aboutir pour promouvoir les projets communautaires sur place à Manono, mais aussi sur l’ensemble de la province du Tanganyika. Aujourd’hui, nous ne pouvons que dire que c'est de l’arnaque. Comment expliquer un projet tant vanté, mais il n’arrive pas à être concrétisé sur terrain », s’interroge Patrick Kasongo, journaliste basé au Tanganyika, joint au téléphone par Actualite.cd.
Un projet utopique ?
Tout commence avec les révélations en 2023, de l’Inspection générale des Finances, qui accuse Zijin Mining d’avoir acquis ses droits dans le projet Manono, à la suite d’un processus frauduleux dans lequel la Cominiere, un Société des droits congolais, avait bradé les actifs miniers de l’État congolais. Une information qui a renforcé davantage les suspicions de corruption qui entourent les acquisitions des contrats miniers par les entreprises chinoises en RDC, surtout avec le versement par Zijin, d’une somme de 70 millions USD à une ONG locale d’une manière obscure. Mais seulement 40 millions sont parvenus à l’ONG Le Bouclier, destinataire des fonds, dont son président Jean-David E’ngazi, siège au conseil d’administration de la Cominiere, co-responsable de Manono Lithium, depuis septembre 2023. Et le reste de la somme est sans trace, selon plusieurs sources, à partir d’un compte transitoire non identifié. Une situation qui a suscité beaucoup de réactions sur la toile. D’abord, celle de Moïse Katumbi, l’opposant au régime Tshisekedi et président du parti politique Ensemble pour la République.
« Proportions scandaleuses ! Après la cession des parts de la COMINIERE, une somme colossale de 70 millions USD atterrit dans les coffres d'une mystérieuse ONG congolaise Le Bouclier dont le président est lui-même administrateur de l’entreprise publique. Plus louche encore, sur ce transfert, 40 millions USD ont mystérieusement disparu. Tous les doigts accusateurs pointent la société chinoise, filiale du minier chinois Zijin Mining Group, dans ce jeu de pots-de-vin. Pendant que Manono crie à l'aide pour la réhabilitation du barrage de Piana-Mwanga, nos élites se goinfrent sur le dos du peuple. Pourquoi le Procureur reste-t-il sourd à cette affaire, alors que l'ITIE reste muette depuis 2021, sans produire de rapport ? L'argent s'évapore, pendant que nos frères et sœurs de l'Est souffrent. Qui garantira l'avenir de nos enfants lorsque nos ressources seront épuisées ? Il est grand temps de mettre fin à ce pillage honteux et d'exiger des comptes. Corruption en RDC, Justice pour Manono », a-t-il écrit.
Celui-ci a été rejoint par plusieurs autres mouvements citoyens actifs au Tanganyika. C’est entre autres, l’Association des enfants des chefs coutumiers du Tanganyika, Filimbi, Lucha et le Parlement debout sans Tabou du Tanganyika. Au cours d’une marche organisée au Tanganyika, les enfants des chefs coutumiers de cette province dénoncent l’opacité qui a eu dans cette affaire 70 millions USD. Ils en appellent à la responsabilité de l’État pour que cet argent arrive à servir les communautés locales.
« Nous sommes ici pour une cause très noble et cette cause concerne l’arnaque que nous avons remarquée de la part de l’entreprise Manono Lithium qui évolue avec Cominiere. Manono Lithium devait 70 millions de dollars au gouvernement congolais qui, dans sa bonne foi, a confié cette somme à cette entreprise pour l’utiliser aux assistances humanitaires dans le Tanganyika. Comme dans le miracle, Manono Lithium nous a créé un monstre, on ne sait pas où est caché sa tête qui s’appelle aujourd’hui, l’ONG Le Bouclier qui vient avec les actions de trompe l’œil en achetant du savon, du riz et du sel à distribuer à la population pour expliquer son escroquerie envers la population du Tanganyika. C’est pourquoi, les enfants des chefs coutumiers et les différents notables, jeunes que nous sommes, nous nous sommes dits que nous n’allons pas laisser passer cette affaire », a expliqué Satchease Sangwa, jeune du Tanganyika.
Et d’ajouter :
« Manono Lithium peut nous expliquer où est-ce qu’il a dépensé cet argent destiné à la province du Tanganyika pour son développement. Voilà pourquoi nous demandons au Chef de l’État, garant du bon fonctionnement des institutions, de suivre de près cette situation. Nos députés nationaux et sénateurs récemment élus, de s’impliquer pour que justice soit faite. »
D’autres mobilisations sont annoncées dans les tous prochains jours au Tanganyika, pour que les autorités soient véritablement saisies de cette affaire afin que les communautés locales soient rétablies dans leurs droits parce qu’étant impactées directement par des activités minières.
« C’est une déception totale de voir que la richesse du Tanganyika ne profite pas à sa population. Nous sommes vraiment sidérés de voir que cette affaire n’est pas prise en compte par le pouvoir en place. Il y a eu détournement, mais aucune personne n’a été interpellée face à cette situation. Vous savez, nous sommes simplement victimes de la part des personnes animées de mauvaise foi. Le Tanganyika depuis un temps, ne se développe pas en dépit de ce qu’il possède comme richesses. Nous, parlement débout sans tabou de Tanganyika en collaboration avec d’autres mouvements citoyens dont Lucha, Filimbi, prévoyons des manifestations dans les jours qui viennent pour réclamer réparation dans cette affaire de détournement. Tout ce que nous voulons, c’est de nous produire des projets à la dimension de 70 Millions sortis pour l’intérêt de cette province », a laissé entendre le président du mouvement citoyen Parlement debout sans tabou, Nathan Mogisho, joint au téléphone par Actualite.cd.
Situation qui a poussé les autorités locales à suspendre les activités de Manono Lithium dans cette partie de la République. Dans une correspondance du 22 mai dernier, l’autorité provinciale a instruit l’administrateur du territoire de Manono de veiller à ce que cette entreprise ne soit en activité jusqu’à nouvel ordre. Motif, elle n’est pas en règle avec l’État congolais. Et la question se pose, comment cette société avait annoncé le début de ses activités pendant qu’elle n’était pas encore en ordre ?
Citée dans cette affaire de 70 millions USD, l’ONG Le Bouclier, par l’entremise de son président Jean-David E’ngazi, contacté par Actualite.cd, s’est réservé à tout commentaire, démontrant que « ce sont des personnes de mauvaise augure qui cherchent toujours à saper la crédibilité de l’ONG ».
Accusée d’avoir orchestré cette transaction d’une manière opaque, la Cominiere rejette en bloc toutes ces accusations. Son comité de gestion explique que la Cominiere travaille en toute transparence.
« Créée le 12 avril 2010, la Cominiere a pour missions de travailler pour le compte des tiers, de mener de recherche et d’exploitation minière de toutes les substances minérales concessibles ainsi que toutes les opérations de concentration et de traitement jusqu’à leur commercialisation », car d’après le directeur général de cette société de l’État congolais, Athanase Mwamba, l’exportation minière est à la fois un miroir et un levier de la mondialisation en cours.
Avec une qualité classe recherchée dans le monde, la mine de Lithium de Manono a une durée de vie estimée à 20 ans. Cette mine selon l’étude de faisabilité publiée par Rio Tinto, une firme anglaise, héberge près de 45 millions de tonnes de réserves avec une capacité de production annuelle de 700.000 tonnes.
Ben AKILI