RDC-M23: le calvaire des déplacés de Bulengo, déracinés de leurs villages puis fauchés dans des camps par la famine et les épidémies 

Le camp de déplacés de Bulengo, dans la périphérie de Goma
Le camp de déplacés de Bulengo, dans la périphérie de Goma

En arrivant à Mugunga dans la périphérie ouest de Goma (Nord-Kivu), il faut emprunter un sentier à gauche, pour atteindre, à près de 2 Km, le camp de déplacés de Bulengo. A l’approche, une vue des maisons de fortunes de près d’un mètre carré faites à bâches, localement appelée turquoise, lesquelles accueillent des milliers de familles. En visitant le camp, l’on est frappé par l’ampleur de la crise humanitaire qui sévit à l’est du Congo depuis la résurgence de la guerre du M23 : de la famine aux épidémies de choléra et de rougeole, en passant par les violences sexuelles, tout peut faucher à tout moment la vie de membres de près de 25 000 ménages réfugiés dans ce camp où ils croyaient pourtant se mettre à l’abri de la mort causée par les rebelles du M23.  Reportage.

Bulengo est l’un des sites de déplacés installés autour de Goma, aux côtés de Lushagala, Kanyaruchinya, Eloime, Munigi et Rusayo.

Des humanitaires employés à Mugunga ont affirmé à ACTUALITE.CD que la plupart des déplacés de Bulengo sont venus des villages du territoire de Masisi, fuyant l’avancée des rebelles du M23. 

Bulengo est réparti en 426 blocs qui accueillent chacun 60 ménages de déplacés. Chaque ménage a droit à un abri de près d’un mètre carré fait à l’aide des bâches et qui peut accueillir jusqu’à 5 personnes.

«L’important est de trouver où mettre sa tête, loin des bruits de bottes et des coups de balles de rebelles », se console Jacqueline Ndaisanimana, mère de cinq enfants, venue de Makombe dans le Masisi depuis février, fuyant l’avancée du M23.

Cette promiscuité dans laquelle vivent les ménages des déplacés, couplée au manque d’infrastructures d’eau, hygiène et assainissement est à la base des épidémies de choléra et de rougeole qui attaquent depuis février en majorité les femmes et les enfants.  

«A notre arrivée, le camp venait d’enregistrer plus de 15 décès communautaires liés à différentes pathologies dont le choléra. Il n’y avait ni latrine ni eau potable. Les déplacés déféquaient à l’aire libre. Quand on débroussaillait pour s’installer ici en février, on trouvait des défécations partout», se rappelle Olivier Kakule Mwanzire, superviseur des activités de la promotion de la santé pour Médecins sans frontières (MSF), l’organisation qui assure la prise en charge médicale des patients de choléra et de rougeole.     

"Jusqu’à 200 cas de choléra par jour"

Depuis mars, le camp de Bulengo fait face à deux épidémies, notablement celle de choléra déclarée le 7 mars et celle de rougeole déclarée le 5 avril. 

«Nous avons connu des flambées des cas de choléra et de rougeole qui attaquent notamment des femmes et des enfants», indique Docteur Destin Bishane, point focal médical de MSF.

Pour la prise en charge médicale des patients, MSF a installé au cœur du camp une clinique. Elle est opérationnelle sous des tentes qui pouvaient accueillir plus de 200 lits au début des flambées. 

Sous cette tente, nous rencontrons Jacqueline Ndaisanimana qui veille sur son bébé de moins d’une année souffrant du choléra.

«C’est mon deuxième enfant à être admis ici à l’intervalle de deux semaines. Le premier, 3 ans, est guéri, mais l’autre ici pas encore. Il n’a jusque-là pas arrêté à diarrhée. Il est malade de choléra. Pitié pour mes enfants. Je ne veux pas les voir mourir dans ces conditions», prie Jacqueline, nettoyant les défections de son fils qui coule du lit de l’hôpital. 

Béatrice veille sur ses deux fils dans une clinique de MSF à Bulengo
Béatrice veille sur ses deux fils dans une clinique de MSF à Bulengo

A quelques mètres de Jacqueline, sur un autre lit, Beatrice Sudi, 22 ans, est allongée à côté de ses  deux fils souffrant également du choléra. Cette mère d’à peine 20 ans a trouvé refuge au camp de Bulengo en janvier après que son époux a trouvé la mort après avoir été atteint d’une balle pendant leur fuite, à la suite d’une attaque du M23 à Mushaki.  Il prie pour la guérison de ses fils, son unique espoir.  

«Jusque-là, ça ne va pas encore. Nous sommes arrivés ici quand ils étaient à moitié morts. L’un n’a que deux mois, mais voilà qu’ils sont terrassés par le choléra. Tout ceci arrive car nous ne buvions que l’eau du lac. Je n’ai plus de mari pour me chercher de l’eau potable», se désole cette jeune veuve.  

«C’est une situation d’urgence. Pour le choléra par exemple, nous avons atteint jusqu’à 200 cas en un seul jour au mois de mars (période de pic)», se rappelle  le médecin Destin Bishane que nous rencontrons en plein tours de surveillance des patients admis dans le bloc réservé aux malades de choléra.  

Dans le bloc de prise en charge des patients de rougeole, les tentes sont encore peuplées. Car l’épidémie n’a été déclarée que début avril. Les patients sont des enfants de moins de 10 ans qui n’ont jamais reçu de vaccin contre la rougeole.

«Pour la rougeole, en un mois on est à plus de 2 400 cas de rougeole pris en charge, y compris en hospitalisation. Pour le choléra, nous avons également pris en charge 3 148 cas dont 40 % des enfants admis au centre», indique Docteur Alain Bisikwabo, médecin traitant pour MSF.  Une campagne de vaccination a été organisée dans le camp, ce qui a également permis la stabilisation aujourd’hui des cas de rougeole.    

L’autre malheur, la malnutrition!  

Docteur Alain Bisikwabo note qu’à la suite des cas de rougeole, lui et ses collègues ont également constaté des cas de malnutrition de plus en plus croissant dans le camp. 

«La rougeole a des incidences sur la malnutrition. Nous sommes à plus de 340 cas de malnutrition soignés et stabilisés depuis mi-mars. Le gros du problème dans ce site c’est la nourriture. Les déplacés ont fait plus de deux mois sans rien recevoir comme ration alimentaire. La quantité d’eau fournie reste également insuffisante pour les 120 000 déplacés ici présents. L’idéal serait d’avoir au moins 15 litres par individu par jour, et non les 5 litres qu’ils reçoivent aujourd’hui», explique  Docteur Alain Bisikwabo.  

Au côté de la rougeole et du choléra, la malnutrition cible également des enfants déplacés
Au côté de la rougeole et du choléra, la malnutrition cible également des enfants déplacés

Des installations Wash nécessaires!

MSF et d’autres humanitaires présents dans les camps de déplacés, notamment à Bulengo, se sont impliqués dans les activités de promotion de la santé. Des sensibilisateurs passent dans tous les blocs pour appeler les déplacés à respecter les mesures d’hygiène. 

«Ils nous sensibilisent sur les moments clés de nous laver les mains, à veiller sur la propreté des cours. Si nous tous respectons ces règles d’hygiène, nous allons nous en sortir», Pascal, père d’une famille admis aux soins suite au choléra.

«Mais il nous faut aussi des kits d’hygiène, comme des laves mains ou du savon», plaide-t-il. 

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Des latrines toujours pas suffisantes dans le camp de Bulengo

Pour Aimé Kihuo, président du comité de santé du camp Bulengo, l’autre urgence est l’érection des latrines et poubelles suffisantes pour lutter contre les défécations à l’aire libre et la bonne gestion des déchets. 

«Le problème qui persiste est celui d’absence de latrines et de poubelles. En principe dans chaque bloc on devrait avoir au moins deux latrines de 10 portes chacune pour servir 60 ménages. Malheureusement dans certains coins du camp il y a parfois même trois blocs qui n’ont pas de latrines jusqu’aujourd’hui. Pour les poubelles, les déplacés ne savent pas évacuer les déchets. Ce qui est à la base des épidémies. Nous avons approché les partenaires pour l’érection des poubelles, mais rien n’est fait», explique à ACTUALITE.CD Aimé Kihuo.

Claude Sengenya