RDC : La Force régionale de l’Afrique de l’Est, pour faire la guerre ou imposer un cessez-le-feu ?

Félix Tshisekedi lors de la signature du traité d’adhésion de la RDC à l’EAC
Félix Tshisekedi lors de la signature du traité d’adhésion de la RDC à l’EAC

L’establishment politique congolais se montre très optimiste, quant à l’efficacité de la Force régionale des pays de l’Afrique de l’Est dont, il y a quelques mois, la RDC a intégré la communauté. Ce regroupement régional, qui dispose d’un système de sécurité collective, a élaboré un projet d’appui militaire à l’Etat congolais en proie à l’activisme des groupes armés dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Malgré le déploiement, dans cette dernière entité, des militaires burundais et l’annonce de l’arrivée « imminente » des soldats kényans, des zones d’ombre persistent. De quoi faire douter du bienfondé de cette Force. 

Du mandat de la Force régionale

L’initiative du déploiement, en RDC, d’une Force militaire régionale n’est pas une particularité de l’Afrique de l’est. La CIRGL (conférence internationale sur la région des grands lacs) est la première structure régionale à y avoir pensé sérieusement. Faute de moyens de mise en œuvre de son projet et suite à la persistance de l’opposition entre la RDC et le Rwanda sur sa composition, la CIRGL y a renoncé. La SADC, dont la RDC est membre, en a pris à son compte. Il en a résulté, dans un contexte d’activisme du M23, la constitution d’une brigade dont le mandat offensif devrait la distinguer de la Monusco relevant, depuis juillet 2010, du « peacebuilding ». 

Mais le conseil de sécurité, dont des membres permanents assurent la vitalité de cette mission de paix, n’a pas avalisé ce projet africain d’une force  qui agirait indépendamment de la Monusco. Il a décidé l’intégration de la brigade, avec son mandat offensif, au sein de la mission onusienne. L’unique résultat probant de cette brigade fut la défaite, en 2013, du M23 dont la renaissance constitue une revanche qui en atteste l’inefficacité. Mieux, une preuve que les Africains ne sont pas encore capables de décider conséquemment sur leur propre sort. 

En effet, après le feuilleton M23 en 2013, il s’en est suivi la révision sans cesse à la baisse de l’appui logistique des puissances mondiales, créant ainsi les conditions d’impotence de la brigade d’intervention face à l’activisme des groupes armés. Entre-temps, les pays contributeurs des troupes de cette force, jadis tous africains, bénéficient de financements l’anprovenant des bailleurs de fonds dont les USA en tête. Le conseil de sécurité a ouvert, l’année dernière, cette brigade à la participation des pays hors SADC. C’est à ce titre que, par exemple, le Kenya en est devenu partie prenante. 

Sources de financement 

Le Kenya, parlons-en encore, dont l’ancien président, Uhuru Kenyatta, sous le mandat duquel Nairobi a réussi à faire intégrer ses troupes dans la brigade, à mandat officiellement offensif, est l’initiateur du déploiement de la force régionale, une énième sur le territoire congolais. En quoi sera-t-elle différente de la brigade de la Monusco disposant, selon sa cheffe, d’un armement inférieur à celui du M23 ? Ceci suffit pour affirmer son inaptitude de rééditer l’exploit de 2013 contre le M23 qui avait permis à la mission onusienne de redorer son blason terni par l’expédition de ce mouvement à Goma. Où en est-on dans le processus de financement de cette nouvelle Force qui se hâte à se déployer ? 

« Les Kényans (…) vont, d’ailleurs pour votre information, entrer par Bunagana ; donc ça se déploie petit-à-petit en fonction des moyens aussi. C’est pour ça que nous étions ici aussi et que nous avons pris des contacts ; c’était pour sensibiliser les bailleurs des fonds afin d’accompagner cette force régionale » », a déclaré, la semaine dernière, le Président de la RDC, Félix Tshisekedi, dans une interview à des médias étrangers. 

La main généreuse, la même qui est à la base de l’impuissance de la brigade, donnera-t-elleblanc-seing, contre ses intérêts, à la force de l’Afrique de l’Est, par où sont exportées illicitement les ressources naturelles du pays ? De quoi susciter, bon gré mal gré, le doute hyperbolique sur le niveau d’intérêt que tirera la RDC du déploiement de cette force dont les contours de la mission demeurent confus.

Deux hypothèses 

Il y a deux hypothèses eu égard au point à partir duquel les troupes kényanes feront leur entrée sur le territoire national. Soit ces dernières font la guerre au M23, dans des positions géographiquement frontalières à l’Ouganda et au Rwanda, pointés du doigt dans l’addendum d’août dernier du Rapport du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, pour leur soutien à ce groupe armé. Tactiquement, cette hypothèse peine à disposer en faveur de sa validation. Car, elle fait peser un gros risque d’ignominie, en cas de succès, sur Kampala et Kigali qui en auront facilité le déploiement au Congo. Bien plus, l’Ouganda, accusé par la RDC, de complicité passive grâce à laquelle le M23 a réussi à s’emparer sans coup férir, en juin dernier, de la stratégique localité de Bunagana, plaide pour une solution politique de la crise sécuritaire. Il est intriguant qu’il permette une option militaire à caractère offensif à partir de son territoire, alors qu’il peut simplement plaider pour l’extension du mandat des opérations militaires conjointes FARDC-UPDF pour contrer le M23. Ça lui permettrait d’en tirer des dividendes : symbolique (l’image de tombeur du M23) et matériel (la réalisation de ses projets infrastructurels dans l’Est de la RDC).  

Soit les troupes kényanes interviennent pour s’interposer en vue d’imposer un cessez-le-feu entre les belligérants. Ce, dans la perspective de mettre de l'huile dans les rouages. Une perspective déjà soulevée par le Président Museveni, justifiant l’entrée, au Congo, des troupes kényanes à partir de l’Ouganda. Il s’agira alors de la reconnaissance explicite de l’occupation d’une partie du territoire national assortie d’une imposition des négociations comme voie de sortie de crise. 

Somme toute, la RDC a plus à gagner à compter d’abord et toujours sur ses propres forces à remobiliser, renforcer et réorganiser. Non seulement ses forces de défense et de sécurité mais surtout sa population, dans sa diversité. 

Lembisa Tini (PhD)