Les propos du Secrétaire Général des Nations Unies, dans une interview diffusée le dimanche 18 septembre sur les antennes de deux médias français, feront certainement couler beaucoup d'ancre et de salive en RD Congo. Pour cause, la veille de l'ouverture de la 77ème session ordinaire de l'Assemblée générale de l'unique organisation intergouvernementale politique au niveau universel, à laquelle prendra part, en présentiel, le Président Félix Tshisekedi, António Guterres a, du point de vue congolais, jeté le pavé dans la marre : « les Nations unies ne sont pas capables de battre le M23. La vérité, c'est que le M23 aujourdhui est une armée moderne, avec des équipements lourds qui sont plus perfectionnés que les équipements de la Monusco », a-t-il fait savoir.
A cet effet, le chef de l'administration onusienne soutient que « l'essentiel, c'est de trouver une discussion sérieuse entre le Congo, le Rwanda et l'Ouganda pour qu'on puisse avoir une perspective conjointe pour éviter cette permanente situation qui nous fait toujours, quand on a un progrès, revenir en arrière. Il faut que ces pays se comprennent mutuellement et il faut que ces pays coopèrent effectivement pour la sécurité de l'est du Congo, et aussi pour les garanties de sécurité, il ne faut pas l'oublier, du Rwanda et de l'Ouganda ».
Décryptage.
A. Guterres certifie les propos de Bintou Keita
Que Guterres confirme, de la manière la plus claire du monde et à un moment très stratégique, les propos tenus, fin juin, par sa représentante spéciale en RD Congo et cheffe de la Monusco devant le Conseil de sécurité, en dit certainement long. « Au cours des affrontements les plus récents, le M23 s'est comporté de plus en plus comme une armée conventionnelle que comme un groupe armé », avait claironné Bintou Keita. Le 29 juin, la cheffe de la Monusco a en outre indiqué que le M23 dispose désormais d'une puissance de feu et d'équipements de plus en plus sophistiqués notamment en termes de capacités de tir à longue portée de mortier et mitrailleuse, ainsi que de tir de précision sur des aéronefs.
Corroborant, sur les antennes d'une radio transnationale, les propos de sa hiérarchie, Mathias Gillman, le Porte-parole de la Monusco expulsé à cet effet du territoire congolais, avait fait des affirmations, le 13 juillet, considérées, par le pouvoir, comme incendiaires : « Nous sommes obligés à la fois, nous, en tant que Mission, mais aussi l'armée congolaise, nos partenaires de l'armée congolaise -, nous sommes obligés de mobiliser une grande partie de nos moyens et de nos troupes sur cette crise du M23 ». Et dajouter : « C'est pour ça qu'il est extrêmement important qu'au plus vite, cette désescalade se matérialise et qu'évidemment, régionalement, chacun joue un rôle positif pour mettre fin à cette situation. »
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Les déclarations de Guterres forcent de considérer que la RDC aura tort de compter sur l'efficacité d'un éventuel appui militaire de la Brigade d'intervention de la Monusco, dont le déploiement, en soutien aux FARDC, en 2013, avait permis d'obtenir, en un laps de temps, la défaite militaire du M23, dissout peu après. Autre temps, autre stratégie, pourrait-on noter. Car, aujourd'hui, face à ce mouvement militairement refait, la FIB se voit dans une position d'infériorité de puissance de feu quand bien même, sur papier, son mandat resterait exceptionnellement offensif. Elle a toujours « pour responsabilité de neutraliser les groupes armés (...), et pour objectif de contribuer à réduire la menace que représentent les groupes armés pour l'autorité de l'État et la sécurité des civils dans l'est de la République démocratique du Congo et de préparer le terrain pour les activités de stabilisation » (Cfr. Point 9 de la Résolution 2098 du conseil de sécurité adoptée le 28 mars 2013, New York).
Un fait à garder vivement à l'esprit : il ne revient pas au Secrétaire Général des Nations Unies de doter la Monusco des équipements nécessaires pour l'exécution optimale de son mandat. Ceci relève des contributions des pays membres dont les premiers responsables à ce propos sont les cinq permanents, à savoir (rappelons-le) : la Chine, la France, le Royaume Uni, la Russie et les Etats-Unis d'Amérique dont la RDC doit réussir à négocier et obtenir un réel soutien. En effet, en vertu de leur qualité de membres permanents, ces pays ont la responsabilité de faire, sans cesse, montre de capacités avérées et de disponibilité d'intervenir dans n'importe quel point du monde en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte dagression. Selon, en réalité, leur bon vouloir dicté par leurs intérêts nationaux respectifs.
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Tandis que le Président Félix Tshisekedi déclare, le 17 août devant ses pairs de la SADC, que la RDC « est victime d'une agression lâche et barbare de la part de son voisin le Rwanda », ces propos de Guterres suggèrent, entre autres, l'inexistence ou la faiblesse de l'Etat défenseur de la cause du dossier congolais devant le conseil de sécurité où Kinshasa ne siège pas. Quel pays dudit conseil a-t-il publiquement soutenu la RDC sur toute la ligne, lors de débats de mai et juin sur la crise sécuritaire dans l'Est du pays au sein de cet organe, le plus prépondérant des Nations Unies ? Aucun. Même pas la Russie et la Chine présentées, sans preuve immédiate, par d'aucuns, comme des alternatives crédibles au double jeu du P3 (bloc de trois pays occidentaux au Conseil, France, Royaume Uni et USA). Peut-être attendent-elles de la RDC, engagée dans un partenariat stratégique avec les USA depuis avril 2019, une demande de soutien assez explicite.
Kinshasa face à la réalpolitique
Explicitement, le Secrétaire Général de l'ONU souhaite voir la RDC discuter avec l'Ouganda et le Rwanda pour résoudre définitivement la crise, notamment, du M23. L'on se souvient qu'en face du Président ougandais, le Ministre congolais Gisaro, à la tête d'une délégation dépêchée à Kampala, en juillet dernier, par le Président Tshisekedi, avait déclaré, à cette occasion, qu'« il est difficile de trouver une solution sans l'aide de Museveni ». En réaction, ce dernier, dont l'armée est engagée dans les opérations conjointes avec les FARDC contre les ADF, avait suggéré de ne pas exclure l'approche politique. L'Ouganda du Président Museveni avait offert ses bons offices au dialogue entre le Gouvernement congolais et le M23 ayant accouché, en décembre 2013, de la signature des Déclarations de Nairobi dont ce mouvement armé continue de plaider, à tort ou à raison, pour une mise en oeuvre « intégrale ».
La RDC n'avait tardé pour contester la pertinence de l'approche proposée par l'Ouganda. « Le Président Museveni a donné son opinion qui n'est pas la nôtre. Nous, le principe, c'est ce qui a été dit à Nairobi. Il faut que le M23 et tous ses suppôts retournent aux positions initiales. Notre position ne change pas. Il faut quitter Bunagana parce que nous avons convenu d'un cessez-le-feu à Luanda. Nous sommes fermes sur ce sujet-là », avait vite fait savoir le Porte-parole du Gouvernement congolais. Pas étonnant, dès lors, que les deux pays n'aient pas élargi le mandat de leurs opérations militaires conjointes à la lutte contre le M23 dont des combattants étaient officiellement cantonnés, depuis 2013, en Ouganda et au Rwanda.
Par ailleurs, le Rwanda, qui nie son implication dans la résurgence du M23, est pointé du doigt par Kinshasa. « Notre pays fait face à une énième agression de la part du Rwanda, qui agit sous couvert du mouvement terroriste M23, et ce en violation de tous les accords et traités internationaux. », a déclaré le Président Tshisekedi, le 29 juin, dans un Message à la nation.
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Il ressort qu'une discussion entre les trois Etats, comme souhaitée par Guterres, risque de mettre Kinshasa en minorité, face à Kampala et Kigali, sur l'approche de résolution du dossier spécifique du M23. De quoi brouiller les processus de Luanda et de Nairobi. En effet, l'Ouganda n'est pas partie prenante dans la dynamique de Luanda assortie d'une Feuille de route signée, le 6 juillet dernier, par les Présidents congolais et rwandais, aux lourdes difficultés de mise en oeuvre. Celle de Nairobi, dont la porte a été hermétiquement fermée à l'aile militairement active du M23, exclut Kigali de la Force régionale de la communauté d'Afrique de l'Est dont le déploiement est envisagé pour neutraliser, dans l'Est de la RDC, les groupes armés réfractaires au désarmement et à la démobilisation. Il sera intéressant de voir la réaction, aux propos du Secrétaire Général de l'ONU, du tout nouveau Président du Kenya, dont le pays est membre du conseil de sécurité et leader du processus de Nairobi, pour en saisir sa perception.
En vertu de la réalpolitique, la RDC devra lever une option : persister dans son refus de négocier avec le M23 ou accepter, malgré elle, de se mettre sur la table de négociation avec ce mouvement armé ou encore négocier un deal avec des tiers sans échanger avec le M23. (1) Refuser la négociation expose Kinshasa à d'éventuelles actions militaires auxquelles il doit davantage se préparer, y compris dans la mobilisation des populations qui, sous le Président Laurent-Désiré Kabila, avaient réussi à déjouer la tactique des rebelles. D'autant plus que « Mzee » avait prévenu, sans raison aujourd'hui, que « la guerre sera longue » et, pour ce faire, tout soit mis en oeuvre afin qu'elle soit aussi utilement « populaire ».
(2) Accepter de négocier avec le M23 exige du pouvoir de monter une lourde machine de communication pour ne pas porter un coup dur à sa perception auprès des populations congolaises qui redouteraient que leur Etat soit engagé dans une énième fausse-route. Le pays étant à un peu plus d'une année des échéances électorales.
(3) Il n'y a pas à exclure un arrangement entre la RDC, l'Ouganda et le Rwanda en faveur du retrait du M23 sans négociation des autorités congolaises avec ce dernier. Encore faut-il s'assurer de l'efficacité à terme de pareille recette. En effet, les opérations militaires conjointes des armées congolaise et rwandaise, à la suite desquelles, Kinshasa avait obtenu de Kigali, début 2009, le retrait unilatéral du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple, dont émane le M23) n'avait pas permis de parvenir à une paix durable.
Pour mieux s'engager dans ce challenge, la RDC ferait oeuvre utile d'y aller préalablement réconciliée avec elle-même. Car il s'agit, selon Guterres, de dialoguer avec deux autres Etats qui, indubitablement de l'avis de Kinshasa, soutiennent le M23, un "fantoche" autant le furent, selon l'intransigeant Mzee, le RCD (Rassemblement des Congolais pour la Démocratie) et le MLC (Mouvement pour la libération du Congo). Sous pression, Joseph Kabila avait accepté de négocier avec ces « marionnettes ». La suite, le M23 en est une preuve.
L'idéal pour la RDC est, pour en finir avec la duplicité nuisible des pays voisins, d'arracher le soutien d'une puissance militaire mondiale. Les USA s'avèrent le plus crédible dans le contexte historiquement spécifique de l'Etat congolais. Pour replacer la RDC au coeur de son dispositif géopolitique dans la région des Grands Lacs, l'Administration américaine veut voir le pays dans une véritable implémentation des réformes axées sur la "bonne gouvernance ", notamment la lutte contre la corruption et le nettoyage des écuries d'Augias au sein des services de défense et de sécurité. La RDC y excelle-t-elle? Devoir de cohérence stratégique pour la RDC.
Lembisa Tini (PhD)