RDC : à Goma, un avocat initie une loi électorale criminalisant la fraude et la corruption (Interview)

Les bulletins de vote lors des élections de 2028 en RDC
Les bulletins de vote lors des élections de 2028 en RDC

Près d’un mois après la promulgation par le chef de l’Etat Félix Tshisekedi de la loi controversée sur la réforme de la Commission nationale électorale indépendante (CENI), un avocat de Goma (Nord-Kivu), Muhindo Mulumbi Jackson a initié une nouvelle électorale qui pourra aider le pays à lutter contre la fraude et la corruption lors de la tenue de différents scrutins. Ce texte de plus de 250 articles propose des innovations pour combattre ces maux qui ont entaché les précédents scrutins, notamment la présidentielle et les législatives de 2018, et plongé le pays dans une crise de légitimité. Parmi ces innovations, cette initiative de loi électorale criminalise la fraude et la corruption électorales. Entretien avec son auteur Jackson Muhindo Mulumbi, avocat au barreau de Goma, conseiller dans le gouvernement provincial suspendu du Nord-Kivu et auteur de plusieurs ouvrages sur le droit et l’environnement.

De Goma (Nord-Kivu), vous initiez une loi électorale, un texte de plus de 250 articles que vous souhaitez être défendu devant la représentation nationale par un groupe de députés. Quelles sont les grandes innovations qu’elle contient?

«Les grandes innovations sont la définition de la fraude et corruption électorales. Ici sont listés les faits de la fraude. Par exemple la violation des règles de compilation et de dépouillement (on en a vu aux dernières élections (de 2018, ndlr) où le comptage manuel a été étouffé dans l'œuf). Rendre imprescriptibles les crimes de façon que ceux qui auront exercé le pouvoir volé soient poursuivis n'importe quand. En fait, les organisateurs de ces crimes sont parfois protégés par ceux qui prennent le pouvoir par des façons peu amen. Ces crimes heurtent la conscience collective, il faut les punir et leurs hauteurs. Il faut, comme innovations de plus, leur appliquer la saisie des patrimoines de ceux qui y auront participé. Tout ce que quelqu'un aura acquis pourra se noyer dans la corruption ou la fraude. Une autre innovation, c'est la suppression du seuil électoral. Ce dernier rend impossible les candidatures indépendantes. Au fond, le seuil électoral viole la liberté d'association, un de beaux acquis de la civilisation. Il viole d'une part les articles 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l'homme du 10 décembre 1948 et l'article 10 point 2 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples; et d'autre part l'article 37 de la Constitution de la RDC. Les membres de la société civile sont ainsi obligés sans le dire à s'affilier à des partis politiques. La prohibition des candidatures à plusieurs scrutins qui ont lieu le même jour, est par ailleurs parmi les innovations.  Il ne faut pas abuser de la confiance du peuple pendant qu'on ne peut être partout à la fois. Le peuple doit façonner d'autres meilleurs et non un meilleur à tous les postes où il ne saura servir en même temps. Enfin, l'interdiction des candidatures à suppléances familiales. Par la famille il faut entendre, outre les individus unis par le sang qui descend d'un ancêtre commun, la cognation, l'alliance et l'adoption».

Pourquoi initier une loi criminalisant la fraude et la corruption électorales?

«Criminaliser la fraude et la corruption électorales parce qu'ils sont d'abord des crimes comme d'autres qui ne doivent pas pour cela rester impunis. Ces crimes engendrent souvent d'autres (la Constitution des groupes armés qui sont l'œuvre des frustrés, des marches aboutissant aux pillages et perte du temps, etc.). Ensuite, on ne devrait pas chaque fois s'attaquer rien qu'aux conséquences, en laissant de côté les causes. À celui qui a versé dans un acte contraire aux lois, sont imputées toutes les choses qui sont les suites de son infraction (Versanti in rē illicitā, omnia imputantur quae sequuntur ex delicto). C'est la théorie de l'équivalence des conditions, en matière de responsabilité où tous les faits qui sont à l'origine des faits dommageables doivent être punis. Par ailleurs, la démocratie a un caractère isonomique. On ne devrait pas laisser les actions des animateurs clés des processus électoraux dans un non-droit ou une tendance à bafouer les prescrits de l'article 5 de la Constitution qui attribue le pouvoir au peuple de qui émane tout pouvoir. Incriminer la fraude et la corruption électorales en les rendant imprescriptibles, c'est asseoir une mesure d'accompagnement solide de cet article. Mieux, il ne faut pas lâcher bride à ce précieux trésor du pouvoir ».

Au-delà de la fraude, vous plaidez pour la suppression des candidatures à suppléances familiales ou des candidats qui postulent au même moment aux scrutins qui ont lieu le même jour. Qu'est-ce qui vous a poussé à cette proposition?

«La suppression des candidatures à suppléances familiales et de celles qui se font à différents scrutins qui ont lieu le même jour sont motivées par une éthique. Outre ce qui est déjà dit ci-dessus, les candidats à plusieurs scrutins l'ont fait par pur et simple prestige. C'était par souci de montrer aux autres qu'ils peuvent être adoubés et plébiscités partout non pour servir partout et en même temps. Donc l'efficacité et la concentration sur la seule option du choix fonde mon plaidoyer. Et bien d'autres raisons que l'imagination et la réflexion personnelles du lecteur pourraient imaginer comme devoirs éthiques et moraux ».

En cas de fraude, vous proposez la saisie des patrimoines des animateurs de la CENI ou de juges qui ont participé à cet acte. Comment cela pourra résoudre le problème?

«La saisie des patrimoines comme proposé, résout le problème du point de vue philosophique de toute loi. La loi, dans sa définition, est une règle qui permet ou qui défend et à laquelle règle l'obéissance est due par tous. Si quelqu'un sait à l'avance que la fraude et la corruption électorales sont une épée de Damoclès suspendue au-dessus de tout le patrimoine, les gens ne joueront pas avec ces infractions. La saisie du patrimoine sera donc comme un monument ou un songe prémonitoire. Il faut que la saisie des biens se fasse en quelques mains qu'ils se trouvent. C'est le droit de suite du droit de propriété. La saisie des patrimoines, à la suite des fraudes et corruption électorales, est une variante de la maxime selon laquelle la fraude entache de nullité tout acte accompli sous son couvert. La fortune reçue sous le fait de la fraude et corruption électorales vient entacher les biens acquis par le passé. Celui qui est allé chercher de la laine devrait revenir tondu, comme disent les espagnols ! Être pris qui croyait prendre!»

Au sujet de la caution électorale, vous voudriez qu’elle soit adaptée au contexte économique. Pour les précédents scrutins, quelle caution n'était pas adaptée?

«La caution doit être adaptée au contexte, parce que, même dans les contrats, les fluctuations économiques plaident souvent en faveur des avenants. Les conjonctures économiques ne devraient pas exclure les autres du processus. C'est pour l'inclusivité de tout processus qu'est lancée cette question aux débats.»

La validation, invalidation et re-invalidation des élus pour les scrutins de  2018 et 2019 (pour les régions exclues) semblent vous avoir gêné. Quelle est votre proposition?

«La validation, invalidation et ré-invalidation choque la logique juridique de tout pays civilisé. On dit en droit que: l'arrêt rendu appartient au public ou bien qu'il n'y ait pas une action deux fois pour les mêmes faits (Bis de eadem re ne sit actio). Un même juge revenir sur sa sentence heurte la logique de l'article 151 de la Constitution qui veut que personne ne s'oppose à l'exécution d'une décision de justice. Le prédicat d'une proposition négative étant universelle, c'est malaisé et immoral que le même juge soit celui qui revienne sur sa décision.»

En quoi votre initiative est-elle importante dans le contexte actuel du pays?

«La proposition de Loi électorale est importante dans le contexte du pays où la paix est fébrile. On ne devrait pas donner le flanc aux adversaires qui veulent la guerre permanente au pays. La fraude et la corruption électorales deviennent de l'eau au moulin des Ulysse, les hommes aux milles ruses, les malicieux qui fondent des discours exploitant les frustrations. Le nom du pays  est lui-même plus qu'un contexte. Nous sommes un pays doublement démocratique. Si la "République" parle latin 《Res publica 》 pour signifier la chose à tout le monde, la "Démocratie" parle pour sa part le grec 《Demos, cratos》pour signifier au fond la chose de tous. Ainsi, une République qui soit Démocratique devrait être fidèle à elle-même en prenant des lois démocratiques et républicaines sans contexte. Pareil pays doit être un lac, un océan ou une mère dont les eaux ne se laissent pas adoucir ni changer de couleur par les pluies torrentielles ou les rivières et fleuves qui y entrent. La République Démocratique doit communiquer sa couleur en tout moment».

Propos recueillis par Claude Sengenya