Lutte contre le terrorisme : La SADC décide d’appuyer le Mozambique mais ne dit mot sur la RDC (Décryptage)

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Mercredi 23 juin 2021, en présentiel, à Maputo (Mozambique), les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la SADC ont officiellement célébré le 40ème anniversaire de la création de cette organisation sous-régionale. En vue de favoriser une ambiance pleinement festive, les Ministres des Affaires étrangères, réunis mardi 22 juin, ont renvoyé, en août 2021, l’examen du Rapport du jury ayant auditionné, le 10 juin, les deux candidats (congolais et botswanais) au poste de secrétaire exécutif de la SADC. Véritable soulagement pour la délégation de la RDC, tenue dès lors de s’organiser de la sérieuse manière pour espérer inverser la tendance jusqu’alors largement favorable au candidat botswanais. En août 2021, se tiendra, au Malawi, le 41ème Sommet ordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement. A défaut d’un compromis entre la RDC et le Botswana sur la présentation d’une seule candidature, les dirigeants d’Afrique australe devront se prononcer sur la personne qui dirigera l’administration de la SADC au cours de quatre prochaines années.

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Par ailleurs, le communiqué du Sommet de Maputo a, de nouveau, mis en lumière des failles de la diplomatie congolaise qui n’a pas réussi à y faire inscrire ne serait-ce qu’un terme de condamnation de l’activisme des Forces démocratiques alliées (Allied democratic Forces, ADF). Pourtant, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont examiné, entre autres points, la « Réponse et (le) soutien de la Région à la République du Mozambique dans la lutte contre le terrorisme ».

A cet effet, « Le Sommet a entériné les recommandations formulées dans le rapport du Président de l’Organe de coopération en matière de politique, défense et sécurité, et a approuvé le mandat de la mission de la Force en attente de la SADC en République du Mozambique, qui sera déployée dans le cadre de la Force en attente de la SADC en vue de soutenir le Mozambique dans sa lutte contre le terrorisme et les actes d’extrémisme violent dans la province (de) Cabo Delgado. » Bien plus, « Le Sommet a exhorté les Etats membres, en collaboration avec les agences humanitaires, à continuer à fournir une aide humanitaire à la population touchée par les attaques terroristes à Cabo Delgado, y compris aux personnes déplacées à l’intérieur du pays. »

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Selon une étude, publiée en mars 2021, réalisée dans le cadre du Programme sur le terrorisme et l’extrémisme violent de l’Université George Washington, les mouvements terroristes actifs dans le Nord du Mozambique et dans le Nord-Est de la RDC « sont » affiliés à l’Etat islamique d’Irak et du Levant. Cette étude conclut sur l’existence de l’Etat islamique en République Démocratique du Congo et de l’Etat islamique au Mozambique. Le dénominateur commun : la preuve de l’extra-continentalité de Daech.

Au-delà de vives controverses sur cette conclusion, il y a un fait indéniable : l’existence d’une menace avérée à l’intégrité du territoire national de la RDC du fait de l’activisme terroriste lié principalement aux ADF. Ces dernières constituent « la principale source de violence dans la zone » (Point 11 du Rapport final du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, juin 2021).     

La solidarité au sein de la SADC

Pour favoriser la sécurité sur tout l’espace des pays membres, « Le Pacte de défense mutuelle de la SADC représente l’engagement pris par la région en faveur de l’auto-défense collective et du maintien de la paix et de la sécurité dans la région, toute attaque armée perpétrée contre un membre de l’organisation étant considérée comme une menace à la paix et la sécurité régionale » (Point 1.2.3. du Plan indicatif de l’Organe de coopération en matière de politique, de défense et de sécurité, adopté à Maputo le 5 août 2010). Parmi les défis de défense et de sécurité que la SADC entend relever, il y a la résolution durable des conflits armés dans les Etats membres et la lutte contre le terrorisme. A cet effet, la SADC a mis en place une Force en attente dont l’opérationnalisation traduit « sa détermination à veiller à ce que la région adopte une approche collective à l’égard des affaires de défense et de sécurité en vue de protéger le peuple de la région et d’y sauvegarder la stabilité. » (Point 1.2.4. du Plan indicatif).

Ces dispositifs (le Plan indicatif et la Force en attente) visent à assurer et assumer la « solidarité » des Etats membres en faveur du pays victime d’une menace à la paix et à la sécurité (le cas de la RDC et du Mozambique). La procédure d’engagement militaire prévoit l’examen du dossier d’assistance par l’Organe de politique, défense et sécurité de la SADC et, ensuite, la décision des Chefs d’Etat et de Gouvernement. Ce dont il a été question, uniquement pour le Mozambique, au cours du Sommet de mercredi 23 juin 2021. Ceci découle des recommandations de la réunion, tenue en mai 2021, dudit Organe axée sur le problème sécuritaire au Mozambique. Ce, à la demande expresse de ce pays.

La situation sécuritaire en RDC non évoquée à la SADC

L’agenda du Sommet n’avait nullement prévu d’aborder la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC. En dépit de la similitude du défi terroriste posé au Mozambique et à la RDC. Ce qui blesse les susceptibilités patriotiques est le constat (ce n’est pas si étonnant !) que le Sommet ne se soit pas prononcé pour, ne serait-ce que protocolairement, « condamner » l’activisme terroriste dans l’Est de la RDC ou lancer un appel à l’appui humanitaire en faveur des déplacés internes.

Il sied de rappeler que le Président congolais avait clairement demandé à ses pairs de la SADC, en août 2019, la création d’une coalition régionale pour neutraliser et éradiquer les ADF. Quoique plusieurs fois réitérée publiquement, cette requête est restée sans suite. Le silence persistant de la SADC à la requête de la RDC devrait interpeller les animateurs de la diplomatie congolaise. Car ceci est une expression patente de son « aphonie ».

En août 2019, le Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la SADC s’était contenté de prendre « note des actes d’extrémisme et de terrorisme perpétrés en République Démocratique du Congo (RDC), plus précisément dans le territoire de Béni et (s’était) convenu de collaborer avec la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et de consolider les efforts entrepris afin de rétablir la stabilité sécuritaire en RDC et dans la région des Grands Lacs. » (Point 23 du Communiqué du 29ème Sommet de la SADC, 18 août 2019, Dar-es-salaam). Près de deux ans après, cette disposition, purement diplomatique, est restée lettre morte. 

Plusieurs éléments permettent de comprendre la posture de la SADC à l’égard de la RDC quoiqu’en butte à l’activisme terroriste.

Primo : la RDC ne se serait pas assez bien prise en lançant, du haut de la tribune du Sommet, l’idée de la création d’une coalition régionale contre les ADF. Ce, sans consultations préalables des pays de la région. Une règle d’or en diplomatie, la consultation aurait permis à la RDC de mûrir son initiative et d’éviter les méfaits de la « surprise » dans le chef des destinataires de sa requête. En diplomatie, tout est préparé, au millimètre près.  

Des sources recoupées indiquent qu’aucune consultation n’était organisée à cet effet. Comme, d’ailleurs, avant le dépôt de la candidature de Kinshasa à l’élection pour un siège de membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Quelques jours après, en marge du récent sommet de la CEEAC, la RDC avait fini par prendre la mesure de l’effet pervers de sa communication tonitruante. Résultat : le désengagement du pays. Preuve, si besoin était, de la précipitation doublée d’improvisation dans la conduite de la politique extérieure du pays.

Secundo : la SADC participe déjà aux efforts de sécurisation de l’Est du pays au travers de la Brigade d’intervention dont nul n’ignore la léthargie causée par des pesanteurs de la politique internationale. Dans quel autre cadre la RDC pensait-elle inscrire l’intervention de la coalition régionale sachant que la Brigade d’intervention était jadis constituée essentiellement des éléments de trois pays de la SADC (Afrique du sud, Malawi et Tanzanie) ? Cette imprécision a porté atteinte à la pertinence de la requête de la RDC.

Tertio : le non-respect de la procédure. Le Pacte de défense mutuelle de la SADC prévoit que, si le problème sécuritaire est posé par un Etat, le pays victime est tenu d’abord d’engager des consultations avec cette entité étatique et, ensuite, l’Organe de coopération en matière de politique, défense et sécurité. En cas de persistance du problème, le Président de l’Organe est en droit de constituer une mission conjointe de vérification afin de faire enquête sur la menace rapportée ou l’allégation signalée (Articles 5 et 6  du Pacte de défense mutuelle de la SADC). Ceci fut appliqué après la saisine, en 2020 par la RDC, du Président d’antan de l’Organe, le Zimbabwe, au sujet du différend frontalier avec la Zambie.

La documentation existante sur l’activisme des ADF est telle que la RDC devrait tout simplement constituer en bonne et due forme le dossier à présenter à l’Organe en vue de son examen. La redynamisation de la diplomatie congolaise ne devrait pas relever d’un slogan. Ne pas planifier la réussite revient à préparer l’échec.

Ceci requiert de la RDC d’évaluer notamment son niveau d’implémentation des politiques de divers ordres de la SADC et d’affirmer davantage sa présence au sein de cette dernière. En effet, la RDC ne dispose pas de représentation permanente auprès de la SADC. Elle y est représentée à travers sa mission diplomatique auprès de la République d’Afrique du sud. L’alignement quasi absolu de la RDC en faveur du Maroc dans le conflit opposant ce dernier à la République arabe sahraoui démocratique (Sahara occidental), soutenue par l’Afrique du sud et bien d’autres pays de la SADC, ne conforte pas la position de Kinshasa au sein de cette organisation sous-régionale. 

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JJ MWENU