Comment prouver l’existence d’un contrat de travail verbalement conclu ?

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Il est un brocard polonais qui dit qu’ « un accord verbal ne vaut même pas le papier sur lequel il est écrit ». Son contenu intrinsèque peut être valable en droit civil et même en droit commercial, mais pas en droit du travail. En droit du travail par contre, un accord verbal ne présente pas, dans une certaine mesure, les mêmes garanties d’un accord écrit, mais les deux ont à la fois la même valeur que la même nature juridique : un contrat de travail verbalement conclu est un contrat à part entière et juridiquement valable dès lors qu’il y a eu accord de volonté de l’employeur et du salarié sur les conditions d’exécution du travail. La difficulté majeure dans ce cas, c’est celui de prouver par des éléments concrets son existence en cas de contentieux.

Problématique : Comment prouver l’existence d’un contrat de travail verbalement conclu ?

L’article 44 de la loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail dispose en ses alinéas 1er et 2 que « le contrat de travail doit être constaté par écrit et rédigé dans la forme qu'il convient aux parties d'adopter pour autant qu'il comporte les énonciations visées à l'article 212 du présent code. A défaut d'écrit, le contrat est présumé, jusqu'à preuve du contraire, avoir été conclu pour une durée indéterminée ».

Et l’article 49 du code du travail, faisant suite à l’idée des deux premiers alinéas de l’article 44 dispose qu’ « en l'absence d'écrit, le travailleur peut, même si la forme écrite est requise, établir par toutes voies de droit, l'existence et la teneur du contrat, ainsi que toutes modifications ultérieures ».

A. Critique à l’article 44 du code du travail

« Le contrat de travail DOIT être constaté par écrit », dispose l’article 44 du code du travail. Le verbe « devoir » , conjugué au présent de l’indicatif, utilisé par le législateur pour marquer et marteler sur le caractère obligatoire de l’écrit lors de la conclusion du contrat de travail n’en valait pas le coup. Il s’agit là d’un pléonasme juridique vulgaire. En effet, en légistique (l’art d’écrire la loi), le commandement du législateur ou le caractère impératif et d’ordre public d’une disposition est indiqué par l’indicatif présent du verbe ETRE. Ainsi, le législateur du travail aurait dû dire (et cela constitue en même temps un plaidoyer) : « le contrat de travail est constaté par écrit ». Toutefois, quant au fond, l’idée reste la même.

L’alinéa 2 de l’article 44, rappelons-le, dispose qu’à défaut d’écrit le contrat est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir été conclu pour une durée indéterminée. Il s’agit là d’une qualification par présomption. L’expression « jusqu’à preuve du contraire » renvoie aux quatre autres modes de preuve prévus en droit privé dans le code civil (Articles 197 et 198 du Décret du 30 juillet 1888 sur les contrats et obligations conventionnelles).

En effet, le contexte de l’expression du législateur dans le code civil était que ceux-là étaient érigés en modes de preuve des créances et non de l’existence des contrats. Mais il nous semble, au sens de l’esprit de la loi au-delà de sa simple lettre, que le contexte de l’article 197 doit être élargi à l’établissement non que des créances, mais aussi de l’existence du negotium à défaut de l’instrumentum. C’est ainsi que feu le Professeur MUKADI BONYI écrivit, approuvant et reproduisant la jurisprudence de la Cour d’appel de Lubumbashi : « à défaut de preuves écrites constatant l’existence d’un contrat de travail contesté par l’une des parties, il y a lieu d’ordonner la comparution personnelle des parties et des témoins en vue d’établir l’existence et la teneur d’un tel contrat (RTA 102 du 30 juillet 1993, cité par MUKADI Bonyi, Droit du travail, Bruxelles, CRDS, 2005, p. 177).

Par ailleurs, le contrat de travail verbal n’est pas que valable, mais surtout la qualification par présomption d’un contrat de travail à durée indéterminée pour défaut d’écrit lui fait bénéficier de toutes les règles juridiques légales et réglementaires applicables au contrat de travail conclu pour une durée indéterminée.

B. Critique à l’article 49 du code du travail

Rappelons que l’article 49 suscité dispose qu’en l'absence d'écrit, le travailleur peut, même si la forme écrite est requise, établir par toutes voies de droit, l'existence et la teneur du contrat, ainsi que toutes modifications ultérieures.

L’article 49, nous l’avions dit, fait suite logique à l’article 44 du code du travail, mais leur analyse doit être faite séparément.

En effet, l’article 44 parle de « …jusqu’à preuve du contraire… », et l’article 49 parle de « …par toutes voies de droit ». Sommes-nous sans nul doute d’avis que toutes les voies de droit ne sont pas que les modes de preuve prévus dans le code civil ? C’est ainsi que certains éléments intrinsèques au contrat de travail peuvent aussi permettre à l’établissement de l’existence juridique de la relation contractuelle du travail. Et nous les avions regroupés en deux catégories :

Quelques éléments fondamentaux permettant au salarié de prouver l’existence d’un contrat de travail

1) Le salaire 

Nous avions dit « le salaire », et non « la rémunération ». Sûrement il attirera l’attention des lecteurs et suscitera leur curiosité scientifique : pourquoi salaire et non rémunération ?

En effet, l’article 7/8 du code du travail tel que modifié et complété par la loi n° 16/010 du 15 juillet 2016, en définissant la rémunération et en détaillant ses éléments constitutifs, dispose : « la rémunération est la somme représentative de l’ensemble des gains susceptibles d’être évalués en espèces et fixés par un accord ou par les dispositions légales ou réglementaires qui sont dus en vertu d’un contrat de travail, par un employeur à un travailleur. Elle comprend notamment : Le salaire ou traitement ; (…) ».

La doctrine, celle du Professeur KUMBU ki NGIMBI, distingue entre les éléments de la rémunération qui suivent le régime du salaire (Article 7/8 alinéa 2) et ceux des éléments de la rémunération qui ne suivent pas le régime (Article 7/8 alinéa 3), illuminant ainsi les esprits des scientifiques et des praticiens du droit sur la confusion législative malheureusement accidentellement commise par le législateur du code du travail à son article 7/8 alinéa 3 : Ne sont pas éléments de la rémunération : les soins de santé ; l’indemnité de logement ou le logement en nature ; les allocations familiales légales ; l’indemnité de transport ; les frais de voyage ainsi que les avantages accordés exclusivement en vue de faciliter au travailleur l’accomplissement de ses fonctions (lire avec intérêt J-M KUMBU ki NGIMBI, Droit social. Droit du travail et de la sécurité sociale, Kinshasa, Galimage, 2015, p. 30 et ss.).

La contrepartie de la prestation de travail est le salaire et non la rémunération

Trois éléments constitutifs du contrat de travail : la prestation de travail (élément matériel), la rémunération (élément économique), et le lien de subordination (élément juridique).

Le salaire est donc l’obligation principale de l’employeur payée parce que le salarié a presté. Le salaire est l’élément fondamental pour lequel le salarié conclut même le contrat de travail. Et si en droit des obligations la cause de l’obligation d’une des parties est l’obligation de l’autre partie, la cause de la prestation de travail du salarié est d’abord la perception de son salaire, et non les avantages qui accompagnent le salaire qui peuvent ou ne pas être payés. Le salaire est ce qui donne au contrat de travail la nature à la fois d’un contrat à titre onéreux et d’un contrat synallagmatique car il est obligatoirement et régulièrement payé en fonction et en contrepartie de la prestation matérielle évaluée, alors que les autres avantages, compliments du salaire, ne sont ni obligatoires ni réguliers. C’est pourquoi, en sus, le législateur lui-même veut que le salaire soit toujours être payé en espèce, et jamais en nature, même si une fois de plus il utilise ABUSIVEMENT le concept « rémunération » à la place de « salaire » à l’article 98 alinéa 1er du code du travail : « la rémunération doit être payée en espèces, sous déduction éventuelle de la contre-valeur des avantages dus et remis en nature ».

(…).

2) Le lien de subordination

Il appartient à celui qui invoque l’existence d’une relation de travail (généralement le salarié) de le prouver notamment par l’existence d’un lien de subordination. En effet, comme nous le savons, le lien de subordination est l’élément fondamental qui distingue le contrat de travail de tous les autres contrats de droit privé qui lui sont voisins.

Il sied de préciser que ces deux premiers éléments sont cumulatifs et doivent être prouvé l’un après l’autre, afin de permettre au juge de procéder à la qualification. Cependant, s’il s’en était suivi un licenciement du salarié, ceci serait un troisième élément fondamental.

3)   Le licenciement du salarié

L’employeur ne peut contester l’existence d’une relation de travail alors qu’il arrive, en vertu de ce même contrat, à procéder au licenciement de son salarié. C’est ainsi qu’écrit le Professeur MUKADI BONYI : « un contrat de travail peut se prouver même par des simples présomptions. Il en est ainsi en cas de résiliation par l’employeur d’un contrat de travail dont il conteste l’existence car si un tel contrat n’existait pas, il ne l’aurait pas résilié (CA d’Elisabethville, 8 novembre 1960, cité par MUKADI Bonyi, Op. cit., p. 178).

Grâces MUWAWA L., Avocat et doctorant en droit