RDC : les enjeux des nouvelles vagues de redditions des miliciens dans l’Est

Photo d'illustration

Depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, début 2019, l’Est de la République Démocratique du Congo connaît une vague des redditions des miliciens mai-mai. En déposant les armes, ils disent répondre à l’appel du Président Félix, en vue de participer aux efforts de pacification et de développement du pays. Des leaders communautaires saluent ces redditions et appellent le nouveau régime à capitaliser cet élan pour débarrasser le pays de l’épineux problème de la présence des groupes armés.  Mais au vue de la mauvaise prise en charge des miliciens dans le site de cantonnement, tel au Nord-Kivu,  les analystes demeurent prudents. Ils évoquent le manque de volonté de la part du gouvernement congolais dans la mise en œuvre du processus de DDR. Ils craignent le retour au cercle vicieux : rébellion-désarmement-rébellion.

Quels sont les enjeux de ces redditions : conditions de réussite, potentiel blocage, et qui doit faire quoi pour l’efficacité de DDR ? Entretien avec le professeur Chober Agenonga, enseignant à l'Université de Kisangani et expert en sécurité et sociologie militaire.

Comment analysez-vous cette vague de redditions des miliciens qui disent répondre à l’appel du chef de l’Etat ?

Evidemment, c’est ce qu’ils disent officiellement qu’ils répondent à l’appel du chef de l’Etat qui leur a demandé de se rendre, de déposer les armes, afin de rejoindre le processus de DDR. Mais cela s’aperçoit différemment. On est tenté de croire que ce sont plutôt les chefs de guerre insufflés, qui ne sont plus ravitaillés, et ils n’ont d'autres choix que de se rendre. Les recherches démontrèrent que la plupart de ces seigneurs de guerre étaient soutenus par des acteurs politiques, mais avec l’alternance au pouvoir, ils ne reçoivent pas ces soutiens.   Mais aussi cela peut s’apercevoir comme une capitulation face à la pression militaire. On constate que les pressions militaires sont tellement fortes sur eux, et ils sont donc contraints de déposer les armes. 

Lire aussi : Nord-Kivu : reddition du Général autoproclamé Sikuli Lafontaine, Chef milicien Mai-mai de Lubero

Parmi les seigneurs de guerre qui se rendent il y a ceux qui ne sont pas à leur premier forfait. Ils se rendent avant de retourner en brousse pour divers prétexte. Ne craignez-vous pas qu’on puisse revivre ce cercle vicieux de DDR ?

C’est tout ça la problématique. Parmi les chefs miliciens qui se rendent, il y a ceux qui viennent avec des centaines de combattants, mais une fois sur le site de cantonnement, ils ne sont pas bien pris en charge, à tel point qu’ils sont obligés de retourner en brousse. Le constat a été fait dans plusieurs provinces, notamment au Nord et Sud-Kivu, en Ituri. On peut interpréter car de plusieurs manières : le gouvernement n’a pas assez de moyens pour prendre en charge les rendus, parce que le processus de DDR est budgétivore, ça demande des moyens. Et faute d’une prise en charge adéquate, les miliciens retournent en brousse, et ce retour en brousse c’est un autre moyen pour les miliciens de faire pression  au gouvernement. Nous nous posons plusieurs questions : est-ce que ce n’est pas par manque de volonté que le gouvernement n’accorde pas une attention particulière à ces miliciens ? N’y-a-t-il pas parmi les gouvernants ceux qui veulent voir ces miliciens rester en brousse pour pérenniser ce que nous appelons l’économie de guerre, pour profiter de la présence de ces miliciens en brousse pour continuer à piller les ressources de la RDC ?

Lire aussi : Nord-Kivu : douze groupes armés avec plus de 2500 miliciens décident de déposer les armes à Lubero et Butembo

Est-ce qu’il y a une bonne politique de DDR et de pacification en RDC ?

On ne peut pas dire que la politique n’existe pas. Elle est là, mais c’est sa mise en œuvre qui semble inefficace. Il ne suffit seulement pas d’avoir la vision, la politique en matière de DDR, mais cela demande  également des moyens. Le DDR est un processus budgétivore qui demande assez des moyens : il faut prendre en charge les miliciens qui viennent avec leurs dépendants, il faut les réinsérer dans la vie civile ou canaliser d’autres dans l’armée. Depuis les années 2003, c’est le PNUD qui a souvent soutenu le gouvernement congolais, mais dès lors que les partenaires internationaux n’apportent plus assez des moyens pour le processus de DDR, on constate le pays n’est pas en mesure de traduire en acte, de mettre en œuvre sa politique en matière de DDR.

En faisant une analyse des sources de financement du processus de DDR, certains chercheurs estiment qu’il semble ne pas être une priorité pour la RDC, contrairement dans certains pays comme la Colombie où l’essentiel du budget de programme de DDR est alloué par le pays concerné. Votre lecture ?

Exactement, si on va dans d’autres pays, on constate que le processus constitue une des priorités pour le gouvernement, cela s’inscrit même dans la politique de la réduction de la circulation d’armes légères et des petits calibres, mais aussi de la réduction des violences. C’est vrai, en République Démocratique du Congo, si l’on regarde la rubrique du budget consacré au DDR, on constate que le gouvernement congolais ne met pas assez des moyens. Cela peut s’interpréter comme la faible volonté politique, bien entendu. Mais aussi meme si l’essentiel ou le gros des moyens provient de l’extérieur, mais sur le terrain la prise en charge est inefficace, le peur des moyens mis à la disposition des démobilisés ne leur ont pas permis de survivre longtemps. Par conséquent, ils sont redevenus des nouveaux miliciens. Nous sommes dans un cycle infernal. Tout ça faute de volonté et d’encadrement.

Qui doit faire quoi au stade actuel pour l’efficacité d’une politique de DDR en RDC ?

La responsabilité première incombe à l’Etat. On ne va pas compter sur les partenaires extérieurs. Ces miliciens constituent une menace pour la République Démocratique du Congo, il appartient au gouvernement congolais de pouvoir s’assumer. Meme si les moyens peuvent provenir de l’extérieur, il faut que la RDC  puisse bien assurer la gestion du processus. Le gouvernement dispose de toute une structure chargée de la mise en œuvre de ce processus de DDR. On doit orienter le débat sous l’angle de la problématique de chômage de masse. Nous avons à faire à des jeunes gens qui n’ont pas d’emploi et constituent toujours une main d’œuvre pour les vendeurs d’illusion. Tous ceux qui veulent déstabiliser la République Démocratique du Congo, tous ceux qui veulent créer des mouvements subversifs, leurs actions réussissent aussi parce qu’ils trouvent une  jeunesse désœuvrée, une jeunesse prête à adhérer à leurs entreprises subversives. Donc, la gestion efficace du processus de DDR tient aussi à la capacité d gouvernement à pouvoir encadrer la jeunesse, à donner de l’emploie à la jeunesse.

Propos recueillis par Claude Sengenya, à Butembo