L’ARRET R.Const. 1.200 DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE REND ORPHELIN L’ARTICLE 119 ALINEA 2 DE LA CONSTITUTION

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Aujourd'hui, ACTUALITE.CD vous propose cette tribune de Me Patrick MUMBUMBA NDALA, Avocat près la Cour d’Appel de Kinshasa

Ces dernières semaines étaient caractérisées par des déchirements entre juristes relativement à la question relative à l’ordonnance no 20/014 du 24 mars 2020, du chef de l’Etat, portant proclamation de l’Etat d’urgence sanitaire face à la pandémie du Covid 19 décrété sur toute l’étendue de la République Démocratique du Congo.

La bataille d’arguments avait pour base les articles 85, 144 et 145 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, ainsi que la loi-organique no 15/013 du 15 octobre 2013 portant Fonctionnement et Organisation de la Cour Constitutionnelle, spécialement en son article 46.

Mais au-delà de tous les débats entre doctrinaires, la Cour Constitutionnelle avait rendu son arrêt R.Const. 1.200 en date du 13 avril 2020, suite à la requête du chef de l’Etat tendant à solliciter de la Cour Constitutionnelle son appréciation sur la conformité à la constitution de son ordonnance précitée.

L’arrêt de la Cour ayant été prononcée en cette matière, l’application stricte de l’article 93 alinéa 4 de la précitée loi-organique, qui dispose que : « Ils (les arrêts de la Cour)[1] ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf interprétation ou rectification d’erreur matérielle. », s’impose. D’où le débat devrait être clos.

Mais il demeure une question de droit qui nous amène, à travers cette note, à s’interroger si l’arrêt de la Cour Constitutionnelle n’aurait pas créé un mauvais précédent.

D’aucuns s’interrogeraient-on de savoir s’il était encore nécessaire de poursuivre ce débat vu qu’il existe déjà une décision irréfragable de la Cour constitutionnelle ?

 La raison d’être de cette démarche est le constat selon lequel cette prise de position de la Cour constitutionnelle a rendu orphelin l’article 119 alinéa 2 de la constitution qui dispose ce qui suit : « Les deux Chambres se réunissent en Congrès pour les cas suivants :

2. l'autorisation de la proclamation de l'état d'urgence ou de l'état de siège et de la déclaration de guerre, conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution ».

De toute la constitution, le congrès n’a que quatre attributions pour lesquelles il lui est reconnu d’agir, donc d’accomplir sa mission constitutionnelle[2].

En confirmant l’ordonnance du chef de l’Etat qui avait été prise dans le sens des articles 85, 86, 144 et 145, la Cour a soustrait, sans le savoir, au congrès une de ses attributions sur les quatre prévues par la constitution.

À la lecture de l’article 119 alinéa 2, il apparait limpidement que l’Etat d’urgence ne pouvait que faire l’objet d’un régime d’autorisation, pour autant que le congrès a été créé, aussi, pour ça, et delà, le législateur est clair sur la question.

Mais il arrive que certains penseurs en droit estiment que la constitution aurait ouvert deux brèches menant ainsi à un droit d’option entre le régime de concertation prévue à l’article 85 et celui de l’autorisation prévu à l’article 119 alinéa 2. Loin s’en faut, car cette possibilité « d’option entre ces deux régimes » n’est nullement reprise, expressis verbis, dans la constitution.

Faire une application libre de l’article 85 en ne faisant qu’allusion aux articles 144 et 145, tout en méconnaissant l’existence de l’article 119 alinéa 2 en matière d’Etat d’urgence, est une démarche complètement impensable dans la mesure où l’alinéa 4 de l’article 144 reconnait clairement au parlement le pouvoir de prorogation ou non de l’Etat d’urgence. Cette position de la constitution est appelée en droit « la théorie du parallélisme des formes».

Un « parallélisme », du grec para, « à côté de » et allelos « l’un l’autre », témoigne d’un rapport de ressemblance, de similitude entre deux situations. Le parallélisme des formes désigne donc une similitude entre deux formes,…Il est défini comme « la correspondance des formes entre l’acte qui crée un état de droit et l’acte qui le modifie ou y met fin ».[3]  L’acte créateur et l’acte modificatif ou extinctif emprunteraient ainsi la même enveloppe formelle, se faisant en quelque sorte écho : « la comparaison la meilleure que l’on puisse donner, c’est l’image du lien que l’on tourne dans un sens pour le faire, et en sens inverse pour le défaire »[4].

En des termes simples, le parallélisme des formes est un principe juridique selon lequel un acte pris selon une certaine procédure ne peut être modifié ou abrogé qu’en suivant la même procédure. Il est aussi dit correspondance des formes ou symétrie des formes. L’acte qui modifie ou abroge est dit « acte contraire ».

Cette théorie du droit nous amène à nous interroger de la manière suivante :

-       Pourquoi la constitution aurait-elle donné pouvoir au chef de l’Etat de consulter les présidents des deux chambres et le premier ministre afin de proclamer l’Etat d’urgence, mais pas celui (le pouvoir) de la prorogation ou de son interruption ?

 

La même question peut être posée d’une autre manière :

-       Comment expliquerez-vous le fait que le parlement qui n’avait pas pris l’initiative d’un acte, puisse être reconnu constitutionnellement comme étant celui qui en a pouvoir de décider sur son sort ?

Pour mieux répondre à ces questions, il sied de rappeler qu’à titre d’exemple, la constitution reconnait au chef de l’Etat le pouvoir de nommer, de relever de leurs fonctions et de révoquer, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature.[5] Cette logique est la mise en application concrète de la théorie de parallélisme des formes, dans la mesure où il revient seul au président de la république d’être l’autorité qui dispose du pouvoir de poser l’acte, et d’arrêter ses effets en droit, suivant respect des dispositions constitutionnelles y afférentes.[6]

Qu’il est pour le moins curieux de constater que la Cour n’ait pris soin de reconnaitre au chef de l’Etat l’autorité de proclamer l’Etat d’urgence, après concertation avec les présidents de deux chambres du parlement et le premier ministre, en battant l’œil sur l’article 119 alinéa 2, qui est pourtant clair dans ses écritures.

Si l’on doit croire en la thèse soutenue par certains relativement à l’application de l’article 85, 144 et 145, la logique aurait voulu que revienne le pouvoir de proroger ou d’arrêter les effets de l’Etat d’urgence aux mêmes personnes citées à l’article 85 de la Constitution ; ce qui n’a pas été le cas, car le pouvoir de la décision a été reconnu au parlement. Hic !!!

Eu égard à ce qui précède, il appert que l’arrêt de la Cour Constitutionnelle vient de créer un mauvais précèdent car il vient de rendre orphelin l’article 119 alinéa 2 de la constitution.

C’est quoi un article orphelin ? Il est celui qui est resté seul au monde, comme un article inutile ou mieux de trop dans la constitution, puisque ne servant à rien désormais, la jurisprudence lui ayant enterré.

Aussi grave que cela puisse paraitre, la cour a soustrait au Congrès l’une de ses quatre missions constitutionnelles, et a ouvert une brèche contentieuse qui va jusqu’à toucher l’actuel règlement d’ordre intérieur du Congrès adopté en date du 6 décembre 2019, pour lequel le contenu avait été jugé conforme à la constitution par la même Cour.

En guise de conclusion, nous notons que malgré le fait que les arrêts de la Cour ne soient pas susceptibles de voies de recours, nous constatons par ailleurs que l’arrêt R.Const. 1.200 a rendu orphelin l’article 119 alinéa 2 puisque l’ayant rendu non utile, pour la suite des évènements. Il crée donc un mauvais précédent, jusqu’à fragiliser la mission du pouvoir législatif en RDC.   

Pour notre part, nous estimons que la lecture de la constitution devrait, avant tout, tenir compte du régime politique dans lequel le pays concerné se trouve ; pour la République du Congo, c’est le régime semi-présidentiel.

Le régime semi-présidentiel est un régime hybride qui combine des caractéristiques du régime parlementaire et d’autres du régime présidentiel. Etabli en France en 1958, et plus particulièrement en 1962 avec l’élection du président au suffrage universel, le régime semi-présidentiel se caractérise par un pouvoir exécutif double : un président (détenant des pouvoirs réels du fait de son élection) et un premier ministre qui travaille de concert avec le pouvoir législatif.[7]

Rien que par la forme du régime politique de la RDC, nous pouvons, sans lire la constitution, constater que le pouvoir présente un caractère dualiste entre le président de la république et le parlement. L’un ne peut poser certains actes sans l’aval ou l’accompagnement de l’autre. Ce régime a été instauré pour faire intervenir le peuple indirectement, par le biais de ses élus, à chaque fois qu’une décision importante sera prise au sommet de l’Etat. Or le caractère du dernier arrêt de la cour constitutionnelle tend à soustraire du peuple ce qu’il dispose comme droit fondamental issu de la constitution qui a opté pour un régime semi-présidentielle.

Enfin, rappelons que le peuple ne peut, sous aucun prétexte, être considéré comme ayant pour représentant « les membres du bureau de deux chambres du parlement » ; chaque député national représente une partie de la population congolaise, ce qui justifie la question de la « circonscription électorale » prévue par la loi électorale en son article 115.[8]

Nous espérons que le juge de cour constitutionnelle fera un revirement jurisprudentiel, à l’avenir, afin de corriger et de répondre à toutes ces interrogations.  

 

Me Patrick MUMBUMBA NDALA

Avocat près la Cour d’Appel de Kinshasa

ANNUAIRE

[1] La parenthèse n’existe pas, c’est nous qui l’insérons pour de besoin de compréhension.

2 Voir article 119 de la Constitution de la RDC.

3 G.CORNU, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, PUF, Quadrige, 8e éd., 2000, Vo Parallélisme des formes., in « Le parallélisme des formes en droit privé », Solange BECQUÉ-ICKOWICZ, éd. Panthéon Assas thèses, p.15.

4 COLLINET, Cours de droit romain, Licence, 1ère année, Les Cours de droit, 1935-1936, p.141, in Solange BECQUÉ-ICKOWICZ, op. cit., idem.

5 Article 82 de la Constitution de la RDC.

6  Ces exemples sont légions dans la constitution.

7  Ecole de politique appliquée, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke, Québec, Canada. www.perspective.usherbrooke.ca.

8  Loi no 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la loi no 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle modifiée à ce jour.

[1] La parenthèse n’existe pas, c’est nous qui l’insérons pour de besoin de compréhension.

[2] Voir article 119 de la Constitution de la RDC.

[3] G.CORNU, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, PUF, Quadrige, 8e éd., 2000, Vo Parallélisme des formes., in « Le parallélisme des formes en droit privé », Solange BECQUÉ-ICKOWICZ, éd. Panthéon Assas thèses, p.15.

[4] COLLINET, Cours de droit romain, Licence, 1ère année, Les Cours de droit, 1935-1936, p.141, in Solange BECQUÉ-ICKOWICZ, op. cit., idem.

[5] Article 82 de la Constitution de la RDC.

[6] Ces exemples sont légions dans la constitution.

[7] Ecole de politique appliquée, Faculté des lettres et sciences humaines, Université de Sherbrooke, Québec, Canada. www.perspective.usherbrooke.ca.

[8] Loi no 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la loi no 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle modifiée à ce jour.