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Par Bienvenu MATUMO[1]
La Justice Congolaise a ouvert une nouvelle donne judiciaire, en ordonnant la détention préventive de monsieur Vital Kamerhe, principal allié du président Félix Tshisekedi et son Directeur de Cabinet depuis sa prise de pouvoir contestée par l’opposition en févier 2019. Le 02 mars 2019, le Président lance les travaux d’un programme d’urgence dit de « 100 jours » afin d’occuper et de contrôler l’espace politique, pendant que les négociations de la formation du gouvernement avec le regroupement politique Front Commun pour le Congo peinaient à avancer. L’un des projets moteurs et pivots de ce programme a été la construction des « saut-de mouton » sur sept sites représentants les grandes artères de Kinshasa. Prévus pour être inaugurés vers la fin de l’année 2019, ces viaducs ne l’ont pas été et, pour avoir accentué des embouteillages dans la mégapole, les usagers de la circulation ont haussé le ton jusqu’à demander des explications sur le retard pris dans la mise en œuvre des travaux pourtant salutaire pour améliorer « le paysage routier de Kinshasa » mais sans nécessairement être la réponse appropriée au faible aménagement routier de la ville.
La société civile monte au créneau et dénonce les marchés gré à gré
Nombre des mouvements de la société civile a dénoncé le retard pris dans la construction de ces ouvrages et a exigé des enquêtes crédibles afin d’établir les responsabilités des parties prenantes à l’exécution de ces travaux, à savoir : la présidence et les entreprises (publiques ou privées).
Dans la foulée, des informations sérieuses sur les multiples violations graves de la loi sur la passation de marchés publics sont partagées dans les réseaux sociaux et certains documents officiels circulent sur le net y compris ceux rédigés par monsieur Vital Kamerhe.
Alors que janvier 2020 marquait le premier anniversaire de l’investiture du nouveau Président, le Directeur de Cabinet annonçait, sur plusieurs médias nationaux et internationaux, que les ouvrages (certains d’entre deux, notamment celui de Pompage) seront remis aux usagers et mis en circulation. Il faut noter qu’aucun ouvrage n’est opérationnel à ce jour, à la surprise de toute l’opinion congolaise et ce, en dépit de millions de dollars américains investis et décaissés par le trésor public. Logiquement, le président de la République, pourtant calme, est exacerbé par ces changements des dates (malgré les assurances lui fournies par les divers maîtres d’œuvre lors de ses visites de chantiers : deux ou trois fois). Il a, à cet effet, instruit le gouvernement de diligenter une enquête.
La société civile dans sa globalité avait salué la démarche et continue à faire un monitoring opérant. Le cas du travail réalisé par les ONG Observatoire de la Dépense Publique « ODEP » et Association d’Accès à la Justice congolaise (ACAJ) est à la fois représentatif mais aussi remarquable, quand on sait l’opacité ainsi que l’absence de redevabilité qui entourent l’exécution de plusieurs projets en RDC.
La Justice Congolaise récupère-t-elle son pouvoir perdu ?
Alors que plusieurs dossiers majeurs ou sensibles trainent inéluctablement sur la table de la Justice congolaise, depuis des décennies, dont le plus récent est celui dit de « 15 millions » ou celui de « l’affaire Gécamines », le parquet de Matete à Kinshasa lance l’ouverture des enquêtes sur la gestion et l’exécution du programme d’urgence de 100 jours, comme l’avait demandé le Président. Il s’en suit que certaines personnes impliquées sont interpelées, notamment les directeurs d’Entreprises privées/étatiques et le directeur d’une banque commerciale de la place. Ces personnalités ont été transférées dans la prison centrale de Kinshasa (Makala). Jusqu’à ce stade, aucun acteur politique n’est ni concerné ni touché. Ils se frottent éperdument ainsi les mains et disent encourager la justice à faire correctement son travail, ce qui cimente et solidifie un état de droit tant rêvé par l’ensemble de congolais, scandaient-ils. Fin de l’impunité disaient-ils, mais certains y voyaient d’un mauvais œil pour opérer le règlement de comptes aux proches de l’ancien Président, qui sont toujours cités dans divers dossiers de détournements et de corruption, s’il faut se tenir aux conclusions saisissantes de l’ancien Conseiller en matière de lutte contre la corruption du Chef de l’État sortant, le Professeur Luzolo Bambi.
Une invitation du Parquet qui bouleverse tout
Il a fallu que le parquet de Matete adresse une invitation (pour le 08 avril 2020) au Directeur de Cabinet du Président de la République pour que le dossier du programme de 100 jours prenne un autre rebondissement à la fois politique et judiciaire.
Politique par ce que les tensions et rivalités au sein de la coalition Cap vers le changement « CACH » ont dominé le paysage politique congolais. Autour du Président, c’est-à-dire à la Présidence de la République, certains membres proches du Président accusent le Directeur de Cabinet de tout contrôler et d’exercer ses fonctions d’une main d’un satrape. Certains l’ont qualifié de « vice-président », sachant que l’armature congolaise ne prévoit pas ce poste. Il apparaît que la formation UDPS n’a pas apprécié les actions de son allié et certains de ses membres ont exigé la rupture de la coalition CACH. Les appels à la démission du Directeur de Cabinet ont été vifs et intenses à tel point que le Président de la République a appelé à l’apaisement au sein de la coalition. Il semble que l’appel de ce dernier est inaudible, vu les réactions des militants de l’UDPS et ceux de l’UNC. Entre temps, le FCC est tranquille et s’organise pour 2023. Il est essentiel de noter que la finalité des acteurs politiques congolais est la prochaine élection que le développement socio-économique du pays.
Judiciaire par ce qu’il s’agit d’un dossier de malversations financières et de corruptions dans un programme social. Les enquêtes ouvertes ont montré des indices sérieux de détournements des deniers publics et de malversation financière dont certains auteurs présumés séjournent en prison. Il était normal que les enquêtes se poursuivent, en touchant d’autres acteurs. Et j’espère qu’elles vont continuer leur déroulement jusqu’à l’aboutissement de ce dossier. Ce n’est pas un acharnement politique comme veulent le clamer l’UNC et les partisans de Vital Kamerhe. On sait distinguer les dossiers politiques d’un dossier judiciaire, car les politiques ont été nombreux en RDC. L’ancien président Joseph Kabila, par exemple, utilisait systématiquement la justice ainsi que des procès et affaires fabriqués contre ses adversaires politiques et les militants des mouvements citoyens.
Il va sans dire que la Justice Congolaise doit se montrer indépendante et impartiale dans le traitement de ce dossier. Elle doit recouvrer son pouvoir qui était confisqué par les acteurs politiques. J’espère, comme des nombreux congolais, que l’arrestation de Vital Kamerhe n’est pas un montage/maquillage politique afin de tourner en bourrique les espoirs de la Nation de se refonder autour de la justice. Elle doit réconcilier les congolais, en établissant les responsabilités des uns et des autres. C’est une première en RDC qu’un directeur de cabinet soit arrêté et conduit en prison en pleine fonction. L’histoire politique congolaise s’enrichit.
Un terrain de jeux fertiles pour des batailles politiques
La mise en détention provisoire de Vital Kamerhe ouvre sans doute à des perspectives nouvellement fertiles. La question qui se poserait est celle de savoir si son accusation serait-elle sous-tendue par des intérêts politiques parfois divergents entre les alliés CACH-FCC et au sein de CACH ?
En effet, la RDC est en guerre contre la pandémie de COVID-19 qui décime les populations dans le monde entier. Le président congolais avait pris des mesures sanitaires et politiques afin de protéger les congolais et d’endiguer cette maladie qui ne cesse de se propager rapidement en RDC. Le bilan étant de plus de 200 personnes atteintes, il est obligatoire que chaque citoyen observe ces mesures d’hygiènes annoncées. Force est de constater que les habitants de Kinshasa n’observent pas ces mesures. L’exemple le plus frappant est l’engouement qui s’est produit hier au parquet de Matete lors de l’audition de Vital Kamerhe, avant son transfert en prison.
La proclamation d’état d’urgence par le Président semble avoir violé la constitution à en croire certains pratiquants de droit et experts en droit constitutionnel. Cela a créé des frustrations au sein de la classe politique congolaise. Si un groupe de quatre députés (G4) a appelé vivement à une adoption par le parlement d’une loi qui encadre l’état d’urgence, les deux présidents du parlement quant à eux ont annoncé la convocation prochaine d’un Congrès pour statuer sur l’état d’urgence et évaluer les mesures prises. Il sied de rappeler que ces deux présidents sont membres du FCC et des proches collaborateurs de l’ancien président, toujours en liberté dans sa ferme de Kingakati.
Certains proches du FCC autour de ces deux présidents trouvent en cette opportunité l’occasion majeure et remarquable de régler des comptes politiques à Félix Tshisekedi, après que celui-ci ait menacé, à Londres, la dissolution de l’Assemblée Nationale. La réaction de la Présidente de cette dernière était de loin révélatrice des malaises politiques qui caractérisent la coalition au pouvoir. A ce titre, la convocation du Congrès dans ce contexte est porteuse des doutes et suspicions politiques légitimes.
En outre, l’arrestation de VK (comme aiment l’appeler ses partisans) entraine des conséquences politiques majeures qui peuvent se traduire de la manière ci-dessous :
Ces conséquences impliquent de la part des acteurs de mettre en œuvre des actions qui s’y prêtent, afin de faire valoir leurs intérêts et avantages politiques. On peut évoquer à ce stade l’adage populaire qui résume : « en politique, il n’y a pas d’amis mais seuls les intérêts prévalent ».
Par ailleurs, la RDC est dans un isolât géographique dû aux mesures internationales imposées par le COVID-19. Cela veut signifier que le jeu politique peut se jouer uniquement entre les acteurs internes et nationaux. Cependant la presence de la Monusco est à considérer. Les pays de la fameuse communauté internationale sont préoccupés à endiguer le coronavirus chacun à l’intérieur de ses frontières. A ce titre, ils n’auront pas de fortes manœuvres pour tenter d’apaiser et de jouer le rôle classique de « faiseur des solutions » en RDC. Cela veut dire que seul l’acteur politique qui a le rapport de force marqué va être le maître du jeu politique, et à ce jour, seul le FCC contrôle plusieurs institutions de la république, et semble détenir cette force basculante.
La réaction du peuple est redoutable et est à craindre. Toutefois, les conditions ne s’y donnent pas. D’une part, la peur d’attraper gratuitement le coronavirus peut démobiliser et décourager les congolais à sortir pour protéger et soutenir le Président actuel en cas de destitution. Sachant que les infrastructures sanitaires congolaises posent des sérieux problèmes de prise en charge de cas testés positifs au COVID-19. Il suffit de rendre compte de la létalité élevée (près de 10%) en RDC pour s’en méfier et se confiner chez soi.
D’autre part, VK voudra bien organiser la vengeance politique légitime (détenteur de secrets d’état, son chantage peut foudroyer certains de ses alliés). Les militants de son parti et les populations de régions dont il est populaire risquent de s’en écarter et de s’organiser autrement. Ce qui va affaiblir davantage la mobilisation.
A cela, s’ajoute le fait que la légitimité du Président actuel continue à être questionnée et pose problème. Cet aspect de légitimité peut foncièrement alourdir la mobilisation de la population congolaise.
Il apparaît que la position de LAMUKA (l’opposition) est cruciale dans le déroulement de cette saga « judicio-politique ». Sa prise de position en faveur de l’un ou l’autre aspect peut participer à construire une nouvelle dynamique politique ou judiciaire. C’est qui est peu évident à ce stade, connaissant les leaders de cette opposition.
Conclusion
Il est encore prématuré de construire des scénarii et de tirer des conclusions, mais il n’empêche de décrire les faits et d’envisager les possibles cartes qui reconfigurent l’espace politique congolais. Les actions, discours et agissement des acteurs politiques, notamment du Président de la république seront déterminants dans les jeux de pouvoir. Là aussi, la position de LAMUKA peut-être décisive. La position de la société civile, des églises (CENCO et ECC) et de mouvements citoyens reste cohérente. La justice doit faire son travail sans les moindres interférences politiques, car « la justice élève une nation », pouvait-on lire dans un communiqué de LUCHA.
Pour ma part, le Président de la République doit se tourner vers ses anciens amis de l’opposition de LAMUKA, pour faire bloc contre les stratégies politico-militaires du FCC (les bruits d’incursion dans le Haut-Katanga ne sont pas à négliger). Il doit prendre ce courage, le seul moyen de recouvrer une certaine force politique quitte à demander pardon au peuple pour la signature de son deal avec Kabila. Compter uniquement sur l’UDPS (une formation rongée par les rivalités internes) serait s’exposer facilement à ses amis-adversaires du FCC. Son rapprochement avec les leaders de l’opposition peut amener la population dans son ensemble à se constituer autour de lui pour combattre contre les prédateurs politico-économiques congolais et à vaincre fièrement la pandémie de coronavirus. La question est donc : les leaders de LAMUKA (notamment Martin FAYULU) seront-ils d’accord d’accepter la main de Félix Tshisekedi dans ce contexte de turbulence marquée ? ou Félix lui-même aurait-il le courage d’avancer vers eux ?
La société civile ne doit pas être distraite par les constructions politiques. Elle doit continuer à effectuer un contrôle citoyen des actions menées par les autorités congolaises, particulièrement celles menées par le pouvoir judiciaire, qui joue un rôle majeur dans le rétablissement d’un état de droit en RDC.
A Kinshasa, les heures seront comptées à la seconde. Le pauvre COVID-19 vient de trouver un challenger avec lequel ils vont composer pour faire les titres de journaux dans les prochains jours ou mois (on sait quand l’on entre en prison mais l’on ne sait pas quand est ce qu’on y sort).
[1] Bienvenu Matumo est militant de LUCHA. Les opinions exprimées dans cette tribune n’engagent à rien LUCHA, mais sont de la responsabilité de son auteur.