Aujourd'hui, ACTUALITE.CD vous propose cette tribune de l'activiste Bienvenu Matumo.
Depuis la fin de l’année 2019, le monde entier a été informé de l’apparition d’un virus coronavirus déclaré en Chine. Ce pays puissant du tiers Monde pour reprendre expression injuste d’Yves Lacoste (1984), a mis du temps pour reconnaitre la presence de ce virus dans une de ses régions : Wuhan devenu alors épicentre de cette maladie. Certains médias du Nord accusent le pouvoir de Pékin d’avoir minimisé le risque sanitaire de ce virus. Le président Trump quant à lui ne cessait de qualifier ce virus de « Chinese Virus » pour tacler les chinois supposés être à l’origine de ce virus qui ravage les riches tout comme les pauvres du Nord et du Sud. Certains complotistes évoquent même la théorie néo-malthusienne (comme l’indique Roland Pourtier, 2000) qui vise à stopper la démographie en vue de l’adapter aux ressources qui se raréfient sur le globe (des vidéos des émissions sur la démographie de certains décideurs du Nord ont été partagées dans les réseaux sociaux ou encore des livres/rapports prospectifs de la CIA ont été lus, des séquences des films fictions mentionnant le coronavirus ont circulé, etc.).
Cette controverse sémantique cache des idées « reçues » et fantasmes sur la « naturalité » de ce virus.
Par ailleurs, la mondialisation qui se traduit par les échanges entre les états et la circulation des populations de la planète et leurs capitaux, a permis que le virus quitte les frontières chinoises pour se rependre dans nombreux autres pays du Nord comme ceux du Sud. L’Europe et les États-Unis qui entretiennent des relations économiques fortes avec la Chine sont largement touchés (et dont une certaine population est vulnérable à ce virus au vu de leur âge). Le bilan de ce qui est devenue pandémie est effrayant en Italie, en Espagne et en France ou encore aux États-Unis (je me refuse de mentionner les chiffres car il s’agit des humains). Les mesures appliquées par la Chine, d’ailleurs critiquées sévèrement par l’occident, c’est-à-dire le confinement drastique a produit des résultats concluants à tel point que la Chine a maîtrisé la propagation du virus. La Chine oscille à relancer son économie et ses activités industrielles qui étaient ralenties par COVID-19.
L’Afrique est le dernier continent à être touchée par cette pandémie. Certains pays ont enregistrés de cas de COVID-19, pour la plupart de cas ont été dits : « importés ». En d’autres termes, les victimes porteuses de ce virus ont voyagé dans les pays de l’occident ou de l’orient déjà infestés. A ce jour, le continent tente de s’organiser à l’échelle des états (l’Union africaine est impuissante) afin d’endiguer ce fléau sanitaire qui risque de décimer des populations au vu et au regard de la fragilité des systèmes sanitaires africains (tels sont les pronostics des experts en santé publique). Les décideurs africains n’ont pas investi dans le capital humain depuis l’accession des pays aux indépendances. Nombreux sont ceux qui sont souvent évacués pour les soins dans les meilleurs hôpitaux en Europe ou en Asie. Sont très rares qui font confiance aux médecins et hôpitaux de leur propre pays sauf à ce moment de crise car ils ne peuvent pas voyager. Coronavirus les oblige à rester au pays. Il nous semble que certains ont été testés positifs et sont suivis sur le continent.
A ce titre, l’exemple le plus marqué est celui de la République Démocratique du Congo, dans laquelle, le système de santé est très déstructuré depuis des décennies. La gestion de la riposte contre le COVID-19 en RDC est confrontée à la fois au balbutiement et à l’incompétence des autorités politiques et sanitaires. Et ce en dépit de son expérience de la gestion des épidémies comme l’Ébola qui a sévi dernièrement dans la région de Beni (il est fort probable qu’on déclare la fin de l’Ébola si aucun cas n’est confirmé en ce début de ce mois d’avril 2020). Pourquoi la RDC ne capitalise pas ces expériences d’Ébola pour apporter une réponse sanitaire efficace contre COVID-19 ? comme nous, d’autres congolais.es se posent de questions.
Des mesures à la portée de tous les états concernés ont été prises en RDC mais certaines ne sont pas respectées (le ministre national en charge de l’intérieur et de sécurité regrette que ses instructions appliquant les mesures du Président ne soient pas respectées !). Il nous semble intéressant d’épingler le tâtonnement sur la décision du gouverneur de confiner la mégapole de Kinshasa (près de 15 millions d’habitants) ou pas. A la surprise de tous, la ville n’est pas confinée et les cas de COVID-19 n’arrêtent de pleuvoir (plus de 100 personnes sont atteintes en RDC). En outre, la réaction de la population kinoise face à ce tâtonnement est à craindre et risque de plonger la ville dans une situation incontrôlable à cause du manque des denrées alimentaires et de la propagation exponentielle du virus. On peut s’apercevoir de l’afflux de la population pour faire les dernières courses (banques, supermarché, marchés centraux et municipaux, etc.) à la veille de la mise œuvre de la décision du confinement de Kinshasa avant que le report ne soit annoncé.
Par ailleurs, il faut noter que le COVID-19 vient de démasquer les insuffisances de de l’hyper-capitalisme qui domine le monde depuis des décennies. A voir les bilans de décès dans les pays capitalistes comme nous l’avons dit ci-haut, on peut questionner l’efficacité de leurs systèmes sanitaires et de leurs industries pharmaceutiques ; on peut évoquer à titre d’exemple, le débat clivant et éthique en France sur le port et usage des masques, ou sur l’emploi controversé de la chloroquine comme traitement tel que proposé et soutenu par l’équipe du professeur Raoult de l’IHU à Marseille. Peut-on questionner l’avenir de la médecine et de la pharmacologie ?
A l’échelle internationale, il apparaît que ce virus qui a obligé les états pourtant défenseurs de la mondialisation et du multilatéralisme de fermer unilatéralement leurs frontières et de forcer leurs citoyens au confinement total même dans les pays démocratiques, est train de redistribuer les cartes de pouvoir entre les états du Nord et du Sud. Et à une échelle nationale, ce virus est entrain de reconfigurer les tendances électorales tels qu’aux États-Unis où la gestion de cette pandémie par Trump est décisive et déterminante dans les élections de novembre 2020. Ou encore, dans certains pays comme la RDC, ce virus devient une excuse notoire et légitime pour ne plus tenir les engagements électoraux et de renvoyer à un avenir incertain les dossiers sensibles (le programme de construction de saute-mouton, etc.).
La solidarité internationale est en train de se construire autour de la Chine, la Russie (aide médicale aux États-Unis) ou avec le Cuba (les médecins cubains sont arrivés en Lombardi en Italie). La chine, qui de par son poids économique gigantesque et ses multiples projets mondiaux à l’instar de la nouvelle route de soie, expédie des aides en masques et les médecins spécialistes et aguerris partout dans les pays touchés (en Italie et en Afrique). Certains observateurs parlent de la « diplomatie sanitaire ou des masques ». Nous pouvons dire que dans une certaine manière, le Sud est entrain de sauver l’Europe et l’Amérique du Nord. Cela signifie que l’hégémonie occidentale connait des limites et que la recomposition de l’ordre international se fait autour de la Chine. Ces mutations géopolitiques sont au profit de la Chine qui se déploie partout pour apporter de l’aide et d’accorder des crédits aux états qui ne peuvent pas s’en sortir. Comme l’avait prédit certains auteurs français à l’instar de Bertrand Badie (2018), le Sud réinvente le monde en bouleversant les pratiques westphaliennes de relations internationales et va porter les mutations économiques et politiques dans les prochaines années et ce, en croisant les facteurs tels que la démographie, les ressources naturelles, la démocratie et l’urbanisation inclusive ou l’industrialisation (le cas des pays du Sud formant le bloc: Brazil, Rusia, India, China, South Africa and Mexico : BRICSAM est très marqué).
Quelle place pour l’Afrique et particulièrement pour la RDC, au vu de sa position géographique (9 pays voisins et sa superficie ou sa richesse culturelle avec plus de 250 ethnies), de son immensité en ressources naturelles stratégiques (coltan, cuivre, forêts, cobalt, eau, gaz, pétrole, etc.), de sa population croissante (près de 100 millions d’habitants) ou de son processus de démocratisation, dans la nouvelle recomposition de l’ordre international qui pointe à l’horizon ?
La RDC va continuer à subir ces mutations économiques, politiques et culturelles sans en bénéficier à sa population qui vit en majorité dans la pauvreté. Il suffit de rendre compte de la faillite de l’administration publique, de la porosité de ses frontières, de la faiblesse ou de l’inexistence de son système sanitaire, ou de sa dépendance à l’aide extérieure assortie des exigences colonialistes, etc. A cela, il faut y ajouter son faible aménagement du territoire qui participe au creusement des inégalités et disparités entre les régions et entre les habitants. La corruption et ses autres formes capturent l’état congolais et lui perdent plus de 15 milliards de dollars chaque année.
En effet, la gestion de la riposte contre COVID-19 démontre que l’état congolais a été systématiquement déconstruit et détruit durant les 60 dernières années. Le capital humain (notamment l’éducation et la santé) a été complétement abandonné par les divers décideurs qui ont été au pouvoir (chacun d’eux a son bilan, et la somme est chaotique).
La RDC sera toujours pourvoyeuse des matières premières pour alimenter les industries des pays développés et les pays en essor économique (Chine et Inde) sans que les effets de « liaisons » (la fiscalité) ou les externalités positives (emploi, infrastructures, services sociaux) puissent entrainer un processus de développement au profit de la population. La thèse de malédiction des ressources naturelles s’appliquera dans les prochaines années comme c’est le cas actuellement pour s’aligner dernière les conclusions de Rafael UNCETA (2018) à propos des revenus miniers en RDC.
Il est bien clair que le post-Covid-19 doit se préparer maintenant, et doit interroger l’ensemble des congolais.es et ses dirigeants.es sur le futur voulu du Congo. La nécessité d’organiser un chaos fécond et organisateur s’impose âprement à notre génération ? nous briser pour nous reconstruire ? ; pour emprunter le concept propre à notre ami Patrick Muyaya.
La RDC doit bifurquer vers les utopies nouvelles afin d’espérer se rattraper et gommer ses déficits en développement. Le Congo doit aussi jouer pleinement son rôle politique au niveau régional et international que la position géographique lui confère (l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouver au Congo). Il est plus qu’urgent que les congolais.es prennent la responsabilité politique et économique qui en découle pourvu de participer à ces mutations mondiales en tant qu’acteur et non qu’observateur qui subit. Un acteur qui agit de manière à résoudre les problèmes socio-économiques et spatiaux des citoyens.nes d’une part et à diversifier et fructifier son économie d’autre part. Cette articulation sous-entend que certaines pratiques sociales et politiques énumérées précédemment doivent être bannies/supprimées d’un côté et de procéder à la reconstruction/réinvention courageuse des pratiques fondées sur notre civilisation du social-participatif de l’autre. C’est à ce prix-là et dans ces mots de la déconstruction constructive que le Congo Nouveau, rêve fédérateur, de Lumumba sera construit fièrement et dignement.