Congolisation ou Balkanisation, urgente nécessité de réforme ou refondation de l’espace territorial congolais

ACTUALITE.CD

Dans sa mission pédagogique et sa participation à la construction de la démocratie, ACTUALITE.CD donne la parole aux scientifiques, acteurs de la société civile et autres experts pour commenter et surtout expliquer l’actualité. Vous êtes professeur, vous avez déjà publié un ouvrage sur votre domaine d’expertise, vous pouvez soumettre gratuitement votre tribune pour publication à ACTUALITE.CD. Envoyez vos textes à info@actualite.cd  

Aujourd'hui, ACTUALITE.CD vous propose cette tribune de Jean-Robert NSHOKANO MWEZE, chercheur géologue du CRGM (Centre de Recherches Géologiques et Minières).

Depuis 1885, des peuples se sont vus contraints à agréer dans un Etat sans consultation et sans partage. Un Etat construit et créé pour développer un système colonial d’exploitation des peuples situés sur ce territoire et des ressources de leurs terres. Toutefois, tout se passe dans une croyance et les peuples sont englués dans l’espoir stérile d’un unitarisme trop idéal. Ceci ne profite qu’une poignée des personnes qui reste collées au pouvoir pendant plusieurs décennies et qui capturent toutes les richesses de la RD Congo. Les guerres que la RD Congo a subies ne sont inscrites que dans l’objectif d’accaparer les ressources, de piller les richesses, de maintenir une situation chaotique en appauvrissant et clochardisant une population aux tendances plurielles mais demeurant dans une croyance en une unité du Congo plus symbolique que factuelle.

Devant cette réalité où le peuple de ce vaste territoire de la RD Congo subit plusieurs crimes : massacres organisés et ciblés, grand génocide silencieux, crimes de guerre, maladies contagieuses, il y a lieu de se demander comment les populations aux origines plurielles doivent-elles se positionner et se décider par rapport à une réforme urgente de gouvernance ou à une refondation de l’espace territorial congolais ?

Je considère deux hypothèses essentielles :

-La taille de l’espace territorial du Congo n’est pas convenable avec un système unitariste : l’unitarisme justifie le mécontentement des uns s’investissant dans des conflits armés qui profitent aux gâcheurs de la paix. D’où la nécessité du système fédéraliste.

-La persistance de situation de paupérisation de la population congolaise et d’exclusion (mauvaise distribution des richesses) est une raison principale qui concourt à la mise en place de la réflexion sur la congolisation.

Pour répondre à ces hypothèses, je me suis proposé deux approches pout tenter d’expliquer la problématique soulevée : la première approche consiste à une méthode « douce » : le fédéralisme et la deuxième approche consiste à une méthode « dure » : la congolisation.

L’exposé de mon opinion se déroule en deux parties. En premier lieu, de l’unitarisme en faillite à l’urgence du fédéralisme cohésif, où je scrute brièvement (a) l’unitarisme issu des atermoiements indépendantistes reste l’apanage d’une croyance et le piège d’une peur imaginaire et (b) Fédéraliser l’Etat congolais : pour rendre les provinces plus compétitives. En second lieu, la congolisation comme un aboutissement d’une lutte des peuples contre l’aversion d’un système aliénant, où j’évoque deux évidences (a) Congo une vision de Léopold II, un héritage lourd à gérer ? et (b) Reconfiguration de l’espace territorial à l’aune de la pluralité des peuples en difficulté.

  • De l’unitarisme en faillite à l’urgence du fédéralisme

La RD Congo est un Etat unitaire. Un pays qui connait plusieurs défis liés à son immensité (2 345 000km2, plus de 80 000 000 habitants). Je n’estime que l’unitarisme à mon avis en faillite. Il n’est pas du tout à la hauteur des défis multiples et multiformes de la RD Congo. C’est pourquoi je pense que le fédéralisme est une urgence pour deux raisons : l’unitarisme issu des atermoiements indépendantistes reste l’apanage d’une croyance et le piège d’une peur imaginaire et fédéraliser l’Etat congolais permettra de rendre les provinces (ou états fédérés) plus compétitifs.

  • L’unitarisme issu des atermoiements indépendantistes reste l’apanage d’une croyance et le piège d’une peur imaginaire

Combien de fois j’ai entendu des gens dire que le Congo est en permanent danger convoité par les voisins ou les étrangers lointains. En même temps, combien de fois j’ai vu des gens dire que le Congo est un pays très riche en ressources naturelles, et au même moment que ces mêmes personnes disent cela, ils sont prêts à quitter leur pays et aller résider ailleurs et ne jamais songer à réinvestir chez eux et malheureusement demeurant dans la considération que le régime unitariste au pays est le seul à garantir l’unité nationale. Alors que nous assistons, voilà plusieurs décennies à une certaine impuissance de la population face à un régime qui nous enlise, on reste toujours incapable de contredire la croyance. Ceci parce que nous le considérons comme une croyance sacrée et ensuite parce que nous avons peur d’oser autre chose voilà 60 ans de dite indépendance. Nous avons peur de prendre le risque et c’est comme ça que nous demeurons bernés dans une situation stagnante.

Notre principal père de l’indépendance a idéalisé sur un Congo Uni au regard de son immensité et de ses ressources multiples et sa populations plurielle. Certes, il nous a légué cet idéal et surtout le fait de nous rendre notre libre face au colon. Mais je ne crois pas que nous n’avons pas à réfléchir autrement pour rendre plus pragmatique notre vœu d’union nationale.

Cette vision du Congo unitariste pèche dans le sens où elle a beaucoup ignoré les diversités des peuples et a eu comme conséquences de vouloir tout centraliser autour de la capitale de Kinshasa. Les pères de l’indépendance n’ont pas eu suffisamment de temps pour mettre en place une fondation de l’Etat. Ils sont restés beaucoup plus utopistes, futuristes par rapport à leur vision. Ce n’est pas pour rien que notre hymne national « la congolaise » reflète plus une vision projetée dans le futur.

Nous n’avons pas eu la chance ne fut-ce que pour 10 ans d’expérimenter la concrétisation de la pensée de Lumumba. Cela aurait donné l’occasion d’évaluer la concrétisation de sa vision sur le Congo. Malheureusement, celui-ci est mort prématurément. Et la récupération du pouvoir sans partage de main de fer par Mobutu n’a pas du tout favorisé la vision de Lumumba d’un Congo uni et prospère. J’estime que les conflits armés et de guerres interminables (guerre mondiale africaine) surtout dans l’est de la RD Congo depuis 1996, sont à la fois liés par la non-maitrise d’un unitarisme idéaliste et la convoitise externe des richesses naturelles (minières).

En plus aujourd’hui, le projet d’une décentralisation reste presque absent sur le terrain et ne peut pas garantir un Etat plus compétitif et en mesure de pousser les limites qui le stagnent. D’où l’urgence du fédéralisme cohésif.

  • Fédéraliser l’Etat congolais : pour rendre les provinces plus compétitives

Nous sommes un peuple qui aspire, malgré toutes les distorsions possibles et les irresponsabilités des autorités congolaises, à l’unité du territoire congolais. Mais l’unité du territoire congolais ne peut réellement être profitable à tous qu’à travers un système fédéraliste. Le système fédéraliste pourra donc se construire en tenant compte de la diversité des entités à fédérer pour faciliter la gouvernance, permettre la compétitivité, développer les pôles de développement propre dans chaque entité c’est-à-dire développer promouvoir les éléments de particularité (les talents, les innovations, les initiatives locales, les inventions et les créations…) et les différences qui pourront davantage enrichir la culture, l’histoire, l’économie et les connaissances de l’Etat fédéral congolais.

Cette démarche pourra permettre de renforcer notre cohésion nationale et développer les potentiels multiformes de la RD Congo. Se centrer continuellement sur Kinshasa ne pourra jamais nous permettre de décoller. L’immensité géographique et démographique de notre espace territorial exige de fédérer les provinces comme des Etats fédérés  autour d’une constitution et des institutions fortes.

La peur de la manipulation ethnocentrée ne peut avoir de la place. Il faudra qu’on arrive à prendre le risque en considérant ce nouveau mode de gouvernance. Le fédéralisme est la véritable clé d’un Etat plus compétitif, plus pragmatique et avec lequel nous pouvons décoller rapidement. Il permet de quitter les spéculations où quelques groupes de personnes s’accaparent des toutes les dividendes des ressources du pays.

  • Congolisation comme un aboutissement d’une lutte des peuples contre l’aversion d’un système aliénant ?

Pour moi, la congolisation est différente de la balkanisation. Tandis que la balkanisation dans le sens où les congolais le considèrent correspond à une forme d’éclatement du territoire congolais dont les émiettements bénéficieraient ou seraient annexés aux pays voisins notamment le Rwanda, la congolisation elle à mon avis, est plutôt cette démarche citoyenne et plus ou moins démocratique des peuples congolais à lutter pour leur autodétermination et leur autopromotion au moyen des outils idéologiques et des réalités de terrain afin d’assurer leur propre développement, leur mode de gestion cohérent en se désintégrant du régime unitariste en faillite où règne inégalités sociales, insécurité, chômage, clientélisme, despotisme, corruption,… La congolisation est donc le moyen de redonner de la valeur aux divers peuples longtemps asservis dans un système qui les a ignorés. Deux arguments nous permettent d’expliquer cette opinion : Congo une vision de Léopold II, un héritage lourd à gérer et la reconfiguration de l’espace territorial à l’aune de la pluralité des peuples en difficulté.

  • Congo une vision de Léopold II, un héritage lourd à gérer ?

De 1885 à 1960, le Congo n’a jamais été une conception des peuples originaires de cet espace territorial. Après avoir été une propriété privée d’un seul homme, le roi Léopold II, ensuite une colonie belge de 1911 à 1960, ce territoire n’a été qu’une construction des colonialistes pour des visées essentiellement capitalistiques.

Cette construction territoriale pour laquelle nos pères de l’indépendance ont souhaité garder les mêmes limites géographiques sans remettre en cause le type d’organisation de l’Etat pose le problème. Il s’agit donc d’un héritage lourd dont on a le droit de s’interroger voilà 60 ans après l’indépendance. Il ne serait pas bon d’atteindre un siècle en 2060 sans réelle reforme ou même refondation de notre vision de bien gouverner ce vaste territoire.

  • Reconfiguration de l’espace territorial à l’aune de la pluralité des peuples en difficulté.

Je me permets de donner mon point de vue en dehors de l’opinion commune. La reconfiguration de l’espace territorial congolais peut être nécessaire grâce à la situation d’incertitude dans laquelle le régime de Kinshasa a longtemps enfermé son peuple et surtout son manque criant de volonté d’action capable d’absorber les problèmes sociaux et sécuritaires notamment dans l’est de la RD Congo.

La présence de multiples groupes armés internes sont en partie une conséquence d’absence d’actions du gouvernement dans les zones reculées, le manque d’encadrement et de promotion des jeunes. La persistance de la situation d’usure et probablement, l’émergence des idéologies d’autodétermination pourront donc cristalliser cette démarche.

Rien ne peut être garanti uniquement au nom d’un nationalisme idéaliste au moment où les dirigeants actuels font peu de choses pour consolider, de manière pragmatique, la cohésion nationale du grand Congo.

  • Conclusion

En conclusion, je peux constater que l’unitarisme basé sur la centralisation à Kinshasa est en faillite. Les reformes de décentralisations ne peuvent pas être suffisantes pour faire décoller la RD Congo. Car elles cachent une lourdeur dans la pratique….

D’une part, la nécessité de procéder à un fédéralisme cohésif est absolument urgente. C’est le seul moyen de rendre la RD Congo plus compétitive. Il n’y a pas d’autre alternative. La peur éternelle du séparatisme et l’utopie d’une vision du futur lointain ne fait que perpétuer un Congo imaginaire et non imaginé.

D’autre part, la congolisation qui est une réponse logique et cohérente d’une situation longue d’asservissement et de deshumanisation, peut se réaliser sur fond de forte usure de la population et de l’émergence des idéologies d’autodétermination. Ceci est totalement diffèrent de la balkanisation. Celle-ci ne peut pas se réaliser pour deux raisons : les peuples congolais sont assez murs pour ne pas se rallier à un projet d’annexion aux pays voisins même d’un millimètre de terre de leur territoire et en plus, ces pays voisins ne sont que des régimes dictatoriaux qui cachent beaucoup de défauts et une certaine fragilité voilée.

D’où à ce niveau, la nécessité absolue de quitter la simple croyance d’un Congo du futur et d’embrasser la solution pragmatique tout en surmontant les risques possibles pour une vraie réforme du Congo. A mon avis, le peuple congolais est assez mature pour embrasser le fédéralisme le seul système capable de convenir à la taille de l’immensité et la diversité de la RD Congo. Ceci permettra de décoller et d’éviter la situation d’un recours à la congolisation.

Remerciements :

Je remercie tous ceux-là qui aiment défendre la pensée libre, la pensée qui bouscule le tabou dans le but d’éclairer la masse et d’interroger le système. Je remercie tous ceux-là qui aujourd’hui passent des nuits d’insomnie et qui se disent qu’ils ne peuvent jamais se taire devant les mentalités qui retardent le peuple congolais, le garde dans l’ignorance et le fait stagner dans une impasse.

[1] Chercheur géologue et environnementaliste au CRGM (Centre de Recherches Géologiques et Minières), Jean-Robert NSHOKANO MWEZE est très intéressé par les questions de vulnérabilités sociales et de pauvreté face aux risques naturels à l’Est de la RD Congo. A part cela, Jean-Robert NSHOKANO MWEZE  est aussi intéressé aux questions de gestion de ressources naturelles notamment les ressources minières  ainsi que les questions de géoéthiques. Son engagement pour la communauté est de promouvoir des actions d’information et de sensibilisation sur la culture du risque, la gestion de risque et la gestion de l’environnement et des ressources naturelles. Pour lui, la bonne connaissance et la bonne gestion des ressources naturelles et de l’environnement est une manière de consolider le développement. C’est une manière de contribuer au développement communautaire, de renforcer la cohabitation pacifique des peuples et la dynamique dans la perspective de distribution égale des ressources pour tous. E-mail : mwezejr@gmail.com