Affaire « Congolité des banyamulenge » : ne pas ouvrir, de nouveau, la boîte de Pandore

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La conclusion de la tribune « RDC: Félix Tshisekedi et la congolité des banyamulenge » du 20 janvier 20202 portant la signature du Porte-parole du Président de la République, Kasongo Mwema Yamba Yamba, consiste en une exhortation pour laquelle je le remercie vivement : « Aux leaders politiques, aux historiens, aux scientifiques, aux intellectuels de montrer le chemin, et non de suivre la rumeur de la rue ». En effet, je considère qu’il est ainsi exprimé le besoin d’une interaction entre la sphère du Pouvoir et l’élite tant politique qu’intellectuelle pour dégager une compréhension commune des enjeux et des défis, particulièrement ceux axés sur la paix et la sécurité dans l’Est du pays. Il y va de la formalisation de l’intérêt national pour lequel aucun clivage ne devrait exister sur toute l’étendue du territoire national. La construction de la conscience collective en dépend pour ancrer l’unité nationale. 

Il existe une littérature abondante à exploiter sur cette question. Il est nécessaire de prévoir des garanties sécuritaires supplémentaires pour une participation citoyenne plus affirmée dans la réflexion sur les « sujets sensibles » de l’Etat. En attendant, il est imprudent de négliger la rumeur, qui demeure un média puissant surtout en RDC. Car elle ne véhicule pas que de la rationalité émotionnelle.   De bonne foi, je prends la liberté de suggérer à la réflexion collective une démarche stratégique fondée sur la comparaison des postures des parties prenantes dans la Région dans l’affaire de la « congolité des banyamulenge » dans le but d’en ressortir le sens. En effet, au-delà des considérations juridiques sur l’acquisition de la nationalité congolaise, malgré la controverse sur l’octroi de la nationalité congolaise aux membres d’une communauté, ethnique soit-elle, il est capital de prendre en compte la dynamique de cette réalité sociologique telle que prise par la RDC et les pays voisins, auxquels sont historiquement identifiés les banyamulenge.  

Il est un secret de polichinelle que pendant et après le Génocide de 1994, que je condamne fermement, plusieurs personnes physiques, jadis réputées détenir, ayant détenu ou détendant effectivement la nationalité zaïroise, avaient rejoint la lutte sur le territoire rwandais. Il est normal et appréciable de louer la démarche courageuse de la lutte contre l’inhumanité où que ça se passe. 

En même temps, il convient de considérer qu’après cette noble lutte, certains parmi ceux qui provenaient de la RDC, ont opté rester au Rwanda, et acquis la nationalité rwandaise. C’est de leur droit. Ça ne devrait offusquer quiconque. Il y en a qui, jusqu’à ce jour, vivent en permanence au Rwanda tandis que d’autres, tout en détenant la nationalité rwandaise, sont installés en pays étrangers, par exemple en RDC.   A cet effet, il y a lieu de relever qu’en vertu de la Constitution du Rwanda en vigueur, « Les Rwandais ou leurs descendants qui, entre le 1er novembre 1959 et le 31 décembre 1994, ont perdu la nationalité rwandaise suite à l’acquisition d’une nationalité étrangère sont d’office réintégrés dans la nationalité rwandaise s’ils reviennent s’installer au Rwanda » (aliéa 5 de l’article 7 de la Constitution du Rwanda). En sus (alinéa 6), « Les personnes d’origine rwandaise et leurs descendants ont le droit d’acquérir la nationalité rwandaise, s’ils le demandent ».

Dès lors, lorsque, de manière tranchée, le Président de la République déclare urbi et orbi, en pays étranger, que les « Banyamulenge sont des Congolais » (prière de m’accorder le bénéfice de l’indulgence si la traduction n’est pas fidèle, mais l’esprit y est), la rumeur questionne la portée de cette affirmation qui traduit le caractère définitif de la nationalité congolaise pour ceux qui ont vécu longtemps sur le territoire national. Cette imprécision d’ordre temporel n’est pas du tout heureuse.  Ceci est susceptible de laisser entrevoir la construction mentale d’une initiative de la révision constitutionnelle. Car, l’article 10 de la Loi fondamentale de la RDC dispose : « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. » Pourtant, en vertu de la Constitution du Rwanda, « la double nationalité est permise » (alinéa 2 de l’Article 7 de la Constitution du Rwanda). En plus, « La nationalité rwandaise d’origine ne peut être retirée » (l’alinéa 3 de l’article 7 de la Constitution du Rwandaise). Ça veut tout dire.  

Il se dégage une différence entre les dispositions de ce dernier article et ceux de l’article 10 de la Constitution de la RDC telle qu’il est imprudent d’exclure que ceci soit susceptible de constituer une brèche dangereuse pour la sécurité nationale dans un contexte marqué par l’inexistence des données démographiques incontestables. D’où le bienfondé de la promesse de campagne du candidat élu Président de la République pour l’organisation du recensement général de la population. Encore faut-il qu’outre les ressources financières et logistiques, les conditions sécuritaires soient réunies particulièrement dans la partie orientale du pays en proie à l’institutionnalisation des violences armés et, partant, à une impressionnante architecture de l’insécurité qui en assure la reproduction en permanence, ou presque.     

Il est stratégiquement impérieux de savoir, parmi les banyamulenge, ceux qui jouissent des dispositions de la Constitution rwandaise sur la nationalité. Devra-t-on continuer à les considérer comme détenteurs de la nationalité congolaise ? C’est ce que suggère, en réalité, le Chef de l’Etat.

Qu’en serait-il des Ouest-africains et autres vivant en RDC depuis des décennies et sociologiquement intégrés dans la société ? Les Mbororo ne risquent-ils pas, à terme, d’avancer ce même argumentaire que l’Etat leur aura prêté ?  La question de la « congolité des banyamulenge » mérite d’être analysée de manière holistique pour mieux en cerner tous les contours et en limiter, à défaut d’anticiper, les conséquences fâcheuses. La RDC a intérêt de ne pas ouvrir, de nouveau, la boîte de Pandore. 

JC MWENU