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Aujourd'hui, ACTUALITE.CD vous propose cette tribune du Professeur Adolphe Voto.
La République Démocratique du Congo est pratiquement en déliquescence. Une situation à laquelle l’ont amenée l'avarice du capitalisme occidental et l’irresponsabilité de différents régimes qui se sont succédés en Rdc depuis l’indépendance jusqu'à ce jour. La situation est catastrophique sur presque tous les plans : sécurité, justice, infrastructures, économie, etc. Tous les signaux sont au rouge. L’appareil étatique lui-même est en désarticulation, à voir les différentes crises au sein des institutions. Des crises entre les principaux regroupements politiques au pouvoir qui ont des conséquences directes sur le fonctionnement de l’Etat, avec conséquences, des Assemblées provinciales de plus en plus en conflit avec leurs gouverneurs, des crises au parlement par leaders politiques interposés, des crises de collaboration au sein du gouvernement.
La faillite de la Rdc a été constatée par plusieurs analystes, il y a quelques années déjà, notamment, l'anthropologue David Van Reybrouck, dans son ouvrage, "Le Congo une histoire", paru en 2010, à l'occasion des 50 ans d'indépendance de la Rdc, ainsi que le sénateur congolais Modeste Mutinga, dans une lettre ouverte adressée au Président de la République, en 2013, intitulée : "Faillite d'un État en Rdc".
La situation du pays est en effet lamentable à tous égards. Si la Rdc était une entreprise, il y a longtemps qu'elle aurait été déclarée en faillite. Mais à l'instar de plusieurs entreprises publiques déjà en faillite et dont il refuse de reconnaître la réalité, l'État congolais s'obstine à ne pas reconnaître la gravité de sa situation, au lieu de prendre des mesures efficaces pour assurer son avenir.
L’Etat congolais n’est plus en mesure d’assurer les fonctions régaliennes reconnues à un Etat. L'État congolais ne sait assurer ni sécurité, ni justice, encore moins le social à ses citoyens. Un État, c'est un territoire, une population et un gouvernement. Sans conteste, le territoire et la population sont là. Mais le gouvernement n'est pas en mesure de garantir la vie, ni la survie à la population sur ce territoire.
Les fonctions régaliennes d'un État sont notamment : lever une armée pour assurer la sécurité du territoire et de ses citoyens ; faire des lois et les faire appliquer pour assurer la justice à ses citoyens ; mettre en place des infrastructures pour améliorer les conditions de vie à ses citoyens, battre la monnaie, prélever l’impôt et assurer l'économie pour garantir le bien-être à sa population. Le reste, il peut le déléguer.
Mais c'est depuis plusieurs décennies que l'État congolais n'est plus en mesure d'assurer ces prérogatives. Essayons de faire le point sur ces attributs de l'État.
I. LA SÉCURITÉ
C'est depuis 1996 que le pays est dans une insécurité quasi permanente. L'État congolais est incapable de surveiller ses frontières qui sont devenues des passoires pour n'importe quel aventurier. Le territoire congolais sert de refuge aux groupes armés étrangers, alors que ces derniers ne peuvent aucunement opérer dans leurs propres pays : Fdlr, Adf, groupes armés burundais, etc. Ces forces opèrent allègrement comme un État dans un État : Ils perçoivent des taxes, exploitent des ressources naturelles, jugent et exécutent des Congolais depuis plusieurs années, sans que l'État n'ait le contrôle de ces territoires pour protéger sa population.
La force est à la loi, dit-on. Mais l'Etat congolais a perdu le monopole de la force et de la violence sur son territoire. Lever une armée au Congo n'est pas la prérogative de l'État seulement. N'importe quel aventurier, Congolais ou étranger est à même de lever une armée et opérer en seigneur sur le territoire congolais, comme à l'époque féodale, sans que l'État soit en mesure de l'en empêcher, si ce n'est que négocier avec lui et à ses conditions. Aussi, la Rdc bat le record en nombre de groupes armés et des rebellions dans l'histoire des États modernes. L'État congolais s'est montré impuissant face aux groupes armés qui terrorisent sa population. Des semi-lettrés passent de statut de civil ou de simple soldat à celui d'officier supérieur de l'armée nationale, par ce qu'ils ont pris des armes. Ainsi, l'armée compte aujourd'hui des officiers qui n'ont été dans aucune école militaire. Leur seule compétence, c'est d'avoir pris en otage une portion du territoire et de la population. Dans ces conditions où l'État ne peut protéger ni territoire, ni sa population, certains nationaux s’organisent en milices dites d'autodéfense et qui finissent malheureusement par opérer exactement comme les autres groupes armés, en exploitant les ressources naturelles et la population.
Même lorsqu'il demande du renfort auprès des autres Etats pour tenter de faire face à la situation, l'Etat congolais n'arrive toujours pas à contrôler totalement son territoire. La présence des armées d'autres pays et des forces des Nations Unies qui sont au Congo depuis une vingtaine d'années n'ont rien changé. Des dizaines de morts chaque jour enregistrés à Béni sont les reflets de l'incapacité de l'État congolais à garantir la sécurité à ses citoyens.
II. PAS DE PEUR DU GENDARME
Même la police n'arrive pas à assurer la sécurité civile. Aussi, les populations des grandes villes comme Kinshasa sont livrés aux lois des ''kuluna'', des '"wewas' et autres chauffeurs de taxis-bus qui mettent en danger la vie des paisibles citoyens, sous les regards des policiers impuissants.
Des jeunes gens opèrent en groupe de bandits dans les bas quartiers de Kinshasa avec des armes blanches, depuis plusieurs années. Ils blessent les passants, visitent et pillent des maisons, sans que la police soit en mesure de les en empêcher. Les mototaxis ne répondent à aucune règle. Un motard peut transporter jusqu'à quatre personnes sur sa moto, de surcroît, des enfants de moins de dix ans, en uniformes scolaires et passer sous le nez d'un agent de la police de roulage. Les motos circulent sans plaque d'immatriculation, les motards sans casques ni permis de conduire. Alors qu'il y a quelques années seulement, même les bicyclettes étaient immatriculées et payaient des taxes.
En Rdc, il n'y a plus la peur du gendarme. Un conducteur de véhicule peut brûler allègrement le feu rouge et s'arrêter juste après, sous l'indifférence totale d'un agent de la police qui fait semblant de n’avoir rien vu. N'importe qui, officiel ou taximan peut rouler à sens contraire sur le boulevard sans que personne ne l'interpelle. L'Etat est mort sur les routes en Rdc.
III. LA JUSTICE
L'Etat congolais n'est plus en mesure d'assurer la justice à ses citoyens. Du premier au dernier citoyen, les Congolais ne font plus confiance en la justice. L'impunité est instituée en règle et la justice est en faveur du mieux offrant ou du plus puissant. Des dossiers scandaleux et qui font l’objet de clameurs publiques sont classés sans suite. Le chef de l'État peut empêcher l'installation du Sénat pour cause de corruption et demander à la justice d'enquêter, le dossier est classé sans suite et la vie continue. Des scandales comme l'affaire de détournement de 15 millions de dollars des comptes du trésor public, les scandales sexuels où sont impliquées les plus hautes autorités provinciales ou les stars de la musique sont classés sans suite.
Rares sont des dossiers qui connaissent un dénouement équitable. Les affaires publiques comme les affaires privées sont scandaleusement manipulées au vu et au su du public qui y assiste impuissant. Même les lois sont taillées sur mesure pour satisfaire aux intérêts des puissants. Les hautes juridictions qui devraient être des modèles et servir de référence battent elles-mêmes le record en termes de scandale et d'injustice. Aller en justice équivaut à apprêter d'abord de l'argent pour assurer l'issue du procès, même si on a raison.
IV. LES INFRASTRUCTURES
Il est des attributions de l'État d'ériger des gros ouvrages pour faciliter la vie à ses citoyens. La Rdc s'est lancée dans la construction des gros ouvrages au début des années 70 grâce à la manne du cuivre, dont certains éléphants blancs. Mais l'État a négligé d'entretenir ou d'améliorer des ouvrages essentiels, que ce soit ceux hérités de la colonisation que ceux construits après l’indépendance.
Dans le domaine du transport, par exemple, les chemins de fer qui étaient un maillon important de l'économie congolaise et qui assuraient le gros du transport des personnes et des marchandises ont été abandonnés. Il en est de même des bateaux qui jouaient un rôle important dans ce circuit. Les routes de dessertes agricoles sont devenues des bourbiers.
Aussi la Rdc s'est transformée en un pays d'avion. Pour traverser son vaste territoire, il faut obligatoirement prendre un avion, alors que hier, on pouvait aller du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest en ralliant route, bateau et train. Et malgré que l'État a fait le choix de l'avion, ni les aéroports, ni les avions sont entretenus. Les crashs sont si fréquents au Congo que tous les aéronefs congolais sont interdits de survoler le ciel européen. C'est le manque d'entretien d'infrastructures de transport et du respect des normes qui est à la base d'accidents routiers, de naufrages de bateaux et des crashs d'avions qui se multiplient et fauchent la vie aux Congolais.
Soixante ans après l'indépendance, les infrastructures immobilières qui existent en provinces sont essentiellement celles laissées par le colon, encore qu'elles ne sont pas entretenues. Avec le démembrement des provinces et l'essaimage des universités, la plupart des gouvernorats, des assemblées provinciales et des universités sont logés dans des conditions non viables, sans parler du logement de leurs animateurs.
Le barrage d’Inga fonctionne aujourd’hui à 20 pourcents de sa capacité initiale, la plupart des turbines sont à l’arrêt faute d’entretien, privant des millions de Congolais d’électricité.
V. L’ECONOMIE
Comme tout pays qui veut réaffirmer son indépendance, la Rdc a décidé au début des années 70 de lancer sa propre monnaie, le Zaïre. Ce Zaïre lourd valait deux dollars américains à son avènement. Mais au fil de temps, le pays n'a pas assuré l'économie pour soutenir cette monnaie, si bien que cette monnaie ne valait plus grand'chose. Au changement du régime en faveur de l'Afdl, le gouvernement remplace le Zaïre monnaie par le franc congolais. Mais faute d'une économie forte, le franc congolais aussi a commencé à dégringoler.
Malgré ses potentialités économiques inestimables, le pays est au bas de l'échelle de l'économie mondiale. La Rdc est un pays pauvre dont la population vit avec moins de deux dollars par jour. La Rdc est aujourd'hui le 7ème pays le plus pauvre du monde, selon le classement FMI 2019.
Malgré que l'économie mondiale est en partie tributaire des ressources naturelles congolaises comme le cuivre, le coltan et le cobalt, etc., l'Etat congolais est incapable de rentabiliser ces potentialités en sa faveur et celle de sa population. Les décideurs se sont transformés en hommes d’affaires. Ils préfèrent travailler avec et pour le compte de leurs partenaires étrangers qui leur garantissent l'appui politique que de privilégier les intérêts de l'État et de la population. Ainsi, s'est mise en place une économie de prédation où la plupart des dirigeants, qu’ils soient civils ou militaires, ont leurs concessions minières et forestières dont la gestion opaque échappe aux fiscs. Avec l'argent pris à l'État, certains dirigeants congolais sont plus riches que l'État lui-même. Pendant ce temps, sa population est réduite à une précarité sans précédent.
VI. UN ETAT EN FAILLITE
Alors la question : si l'État congolais n'est pas en mesure de s'assumer et d'assurer ses fonctions régaliennes, s'il ne peut assurer la vie et la survie de sa population, que lui reste-t-il ? S'il ne peut assurer ni la sécurité, ni la justice, ni les infrastructures de base, ni l'économie, que lui reste-t-il ? C'est la question à laquelle ceux qui aspirent à des hautes fonctions publiques devraient d'abord répondre avant toute chose. Car il faut d'abord garantir la survie de cet État, sinon, il n’y aura plus rien à piller ni à diriger.
L'Etat congolais court un danger dans la situation où l'ont amené les capitalistes par la naïveté et l’avidité de ses dirigeants. Ceux qui ne veulent pas voir ce pays exister peuvent tomber sur le Congo et le dépiécer comme des vautours si l'Etat congolais ne sait pas se défendre lui-même. Voilà pourquoi, la grande priorité aujourd'hui pour le Congo est celle de la refondation de l'État qui de plus en plus n'existe que de nom. Au lieu de faire la politique de l'autruche, nous devons avoir le courage de le reconnaître la faiblesse de l’Etat congolais et réfléchir sérieusement à sa refondation.