Ngobila : un arrêté hors-cadre suivi d’un démenti hors-norme

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Il y a quelques jours, les congolais vivants à Kinshasa, Capitale de la République Démocratique du Congo, ont été désagréablement surpris par la signature et la publication par voie des médias d’un arrêté du Gouverneur de la Ville de Kinshasa portant permutation des Bourgmestres et Bourgmestres adjoints des Communes dans la Ville de Kinshasa.

Certaines critiques dirigées contre ledit arrêté ont principalement porté, d’une part, sur le défaut de qualité et sur l’incompétence matérielle manifeste du Gouverneur, et d’autre part, par le fait qu’il s’agit d’un signe avant-coureur de manque de volonté politique d’organiser les élections locales.

A dire vrai, les permutations des autorités des entités administratives ne constituent pas ni zone de non-droit, ni une inconstitutionnalité généralisée. S’il est vrai qu’en 1992, le Président Joseph MOBUTU avait permuté des commissaires de zones, aujourd’hui appelés Bourgmestres, et que cela a inspiré l’actuel Bourgmestre pour commettre cet acte perturbateur, la forme et la technique d’organisation politique de l’Etat de l’époque n’est ni de près ni de loin la même que l’actuelle.

En 2019, permuter et nommer les Bourgmestres et leurs Adjoints en fondant s’appuyant sur les dispositions de la Constitution de 2006 et sur la loi de 2008 sur la libre administration des provinces, n’est ni plus ni moins l’œuvre d’un marabout mal inspiré. Pour permuter ou nommer, une seule condition : déconcentration administrative, avec comme conséquence l'existence d'une seule personne morale territoriale avec un seul pouvoir exécutif centralisé. D’où la nécessité d’un bref rappel sur la forme et la technique d’organisation politique et administrative actuelles de l’Etat en RDC, avant de dire un mot sur l’arrêté hors cadre suivi d’un communiqué hors norme pris le 16 août 2019 à Kinshasa.

A. La forme et l’organisation administrative actuelle de l’Etat en RDC

En droit constitutionnel moderne, on distingue deux formes de l’Etat : l’Etat unitaire et l’Etat fédéral.

1. Etat unitaire

Par Etat unitaire on veut dire qu'il n'y a qu'un seul pouvoir politique qui s'applique à tous les citoyens. C’est le principe d'immédiateté qui s’applique, c'est-à-dire que le pouvoir est immédiat sans intermédiaire : relation directe entre le pouvoir central et les citoyens. Et que même s'il y a des pouvoirs locaux, ce qui est assez indispensable dans des Etats-nations de grande taille, ces pouvoirs locaux n'ont qu'un rôle partiel et n'ont ce rôle que par décision/délégation du pouvoir central. C'est lui qui décide qu'une partie du pouvoir sera exercé au niveau local. Et la République Démocratique du Congo est, au regard de la Constitution du 18 février 2006, un Etat unitaire.

De là (de la notion d’Etat unitaire) il y a des sous distinctions qui apparaissent : cette forme unitaire n'empêche pas que soient attribuées des compétences au niveau local. Là on distinguera les choses suivant que ces autorités locales tirent leur autorité du pouvoir central ou au contraire si (mais agissant par délégation du pouvoir central) elles tirent leur autorité d'élection locale.

Autrement dit, l'autorité qui exerce son pouvoir central est elle désignée par le pouvoir central ou élue par le pouvoir local ? Dans le premier cas on parlera de déconcentration : le pouvoir reste attribué par le pouvoir central. Dans le second on parlera de décentralisation, c'est-à-dire qu'il y a finalement plusieurs centres de décisions, les autorités sont élues à la base par le pouvoir local.

a. La déconcentration

La déconcentration est un système d’organisation administrative dans lequel est créée à la périphérie des relais du pouvoir central. Comme le disait Odilon Barrot : « dans le cadre de la déconcentration c’est toujours le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche ». C’est donc toujours l’Etat qui agit mais pour être plus efficace, il rapproche certaines de ses autorités de ses administrés. En termes plus juridiques, les organes centraux de l’administration d’Etat installent des agents, les services déconcentrés, afin d’agir dans des aires géographiques délimitées, les circonscriptions administratives dépourvues de la personnalité juridique. Elles sont aussi appelées, par opposition aux ETD, EAD : entités administratives décentrées, dépourvues de la personnalité juridique.

En 1992, le Zaïre était un Etat unitaire déconcentré, d’où la permutation régulière des commissaires de zone par le Président MOBUTU.

b. La décentralisation

Dans le cadre de la décentralisation, la relation centre-périphérie est aménagée différemment puisque ce sont de véritables centres de pouvoir qui sont créés et installés à la périphérie. De manière plus juridique, l’Etat transfère à des collectivités territoriales un certain nombre de compétences exercées sous son contrôle. Le maître mot de la décentralisation est donc l’autonomie, qui se traduit en termes plus juridiques par le principe de la libre administration des collectivités locales.

Si dans la déconcentration l’Etat et ses entités locales ne constituent qu’une seule personne morale, les entités territoriales décentralisées (ETD) sont dotées, de droit de la Constitution, de l’autonomie juridique, de l’autonomie administrative ou organique et de l’autonomie fonctionnelle.

En effet, l’autonomie juridique veut dire que ce sont des personnes juridiques distinctes de l’Etat. Il s’agit, en RDC, des : ville, autre que la Ville de Kinshasa ; Commune, Secteur et Chefferie (Article 3 de la Constitution du 18 février 2006), alors que les quartiers, districts, territoires, villages et groupements ne sont que des entités administratives déconcentrées dépourvu de l’autonomie juridique.

L’autonomie organique ou administrative veut simplement dire que les entités territoriales décentralisées s’administrent « librement par des conseils élus ». Alors que les autorités administratives déconcentrées sont nommées par l’Etat.

Et l’autonomie fonctionnelle, incluant l'autonomie financière, voudrait que les organes des entités décentralisées gèrent par leurs délibérations leurs affaires propres (affaires urbaines, communales, du Secteur et de la Chefferie). Bref, elles sont compétentes pour prendre en charge les intérêts des populations concernées. Jusqu’avant 2006, la RDC était un Etat unitaire décentralisé.

2. Le fédéralisme

Un Etat fédéral, ou la Fédération d’Etats, est une union d’Etats (Etats fédérés) qui débouche sur la création d’un nouvel Etat (l’Etat fédéral). Les Etats fédérés ne disparaissent pas pour autant : ils disposent d’une relative autonomie, mais l’Etat fédéral qui se superpose à eux n’est que le produit de la participation des Etats fédérés.

Les Etats fédérés sont autonomes sur le plan non seulement administratif, mais aussi législatif et surtout constitutionnel. Chaque Etat fédéré a sa Constitution. Cette Constitution est le fruit d’un pouvoir constituant propre. Elle n’est donc pas accordée voire élaborée par l’Etat fédéral qui, lui aussi au plus haut niveau, a sa propre Constitution. C’est l’autonomie constitutionnelle organique. La Constitution de l’Etat fédéré peut réglementer tout ce qui n’est pas prévu par la Constitution fédérale, c’est l’autonomie constitutionnelle matérielle. Cette autonomie est le critère qui permet de distinguer le fédéralisme du régionalisme.

Le régionalisme, qui n’est pas une forme de l’Etat mais une technique d’organisation administrative de l’Etat est autrement appelé « décentralisation politique », par opposition à la « décentralisation administrative ».

a. Le régionalisme

Si les entités territoriales décentralisées ne sont dotées que d’une autonomie juridique, administrative et fonctionnelle, les entités territoriales régionalisées dont, par-dessus tout, dotées d’un pouvoir politique propre. D’où le sens de « décentralisation politique ». Certains auteurs disent qu’il est l’antichambre du fédéralisme, c’est dire donc qu’il manque aux entités territoriales régionalisées un pouvoir constitutionnel pour qu'elles deviennent des Etats fédérés dans un Etat fédéral.

b. Quid de la RDC ?

Au sens de l’article 2 de la Constitution du 18 février 2006, les Provinces, au nombre de 25, et la Ville de Kinshasa, Ville au statut des Provinces, sont des entités territoriales régionalisées.

La RDC est donc un Etat unitaire, dans sa forme, et un Etat régionalisé, dans son organisation administrative.

Cependant, les entités territoriales décentralisées sont dotées de la personnalité juridique et forment des personnes morales à part entière. Leurs autorités exécutives respectives, appelées Bourgmestres, sont élues au suffrage indirect par les conseillers communaux élus par la population locale, et non nommés par une quelconque autorité centrale.

L’Etat, les Provinces et les ETD forment des personnes juridiques distinctes. Le Gouverneur de la Ville, pour ce qui concerne Kinshasa, quoi qu’étant autorité administrative et exécutive suprême de l'entité régionalisée dans laquelle se trouvent les ETD qui sont ses subdivisions, n’a ni qualité ni compétence matérielle de prendre par arrêté un acte de nomination, même provisoire, ni de permutation d’un Bourgmestre dûment élu. C’est une faute lourde non excusable, et qui appelle qu’elle soit sanctionnée.

Quant au Communiqué du démenti, rien que dans sa forme, il est inexistant. Un acte ne peut pas être certifié conforme par son auteur. Voilà des fautes graves qui ne méritent aucun pardon.

Le droit est beau, mais le raisonnement en droit est difficile.

Grâce MUWAWA L., DESK JUSTICE