Les relations entre l’Europe et l’Afrique doivent être renouvelées. C’est en substance ce que soutient le ministre d’État belge, André Flahaut, qui prône des relations basées sur le respect mutuel, tenant compte des possibilités de chacun et où personne n’impose à l’autre des choses à faire. Face à ACTUALITE.CD, le ministre francophone du Budget, de la Fonction publique et de la Simplification administrative a dépeint le rapport des forces qui caractérise les relations entre les deux continents et plaide pour un renouveau.
En RD Congo, l’accord du 31 décembre qui sonne le retour en force de la diplomatie vaticane sera mis en œuvre, mais par tranches, soutient André Flahaut, qui déclare que malgré le monde à consommation rapide dans lequel nous vivons, il va falloir du temps pour voir la réalisation de certaines choses.
<b><i>Comment se définit votre intérêt pour l'Afrique ? </i></b>
Après 12 ans et demi passés dans le gouvernement fédéral et 4 ans à la présidence de l’Assemblée nationale et déjà 3 ans au niveau de la Communauté française de Belgique aujourd'hui, j’ai toujours eu le souci du contact avec le continent africain, parce que je considère que l’Europe s’est élargie trop vite vers l’Est en négligeant l’axe de solidarité naturelle qui est celui de l’axe Sud-Nord, Nord-Sud ou Sud-Sud. Et après les périodes et épisodes des décolonisations bâclées ou d’abandons pur et simple qui se sont produits dans le chef de la Belgique par rapport au Congo. On a laissé tomber le peuple congolais à un certain moment. À partir de 1999, on a pris conscience de la nécessité de renforcer cet axe de solidarité avec le continent africain et je crois que c’est ça l’avenir de l’Europe ! C’est la solidarité avec le continent africain et plus particulièrement aussi avec le Centre-Afrique, sans oublier le pourtour méditerranéen. Et si on avait développé une politique de partenariat sérieux, concret, durable et un peu plus désintéressé, je crois que nous aurions déjà évité aujourd’hui quelques problèmes que l’on considère comme des problèmes majeurs de la migration.
<b><i>Dans une de vos publications, vous dites que les relations euro-africaines "méritent un partenariat renouvelé. Vous dites plus loin qu'il faudra renoncer aux "vieux réflexes paternalistes". Ne pensez-vous pas que le problème de gouvernance en Afrique impose le regard de l'Europe?</i></b>
Contrairement à ce que l’on croit, tous les pays européens ne s’intéressent pas tant que ça, à l’Afrique. J’ai assisté à des réunions entre ministres de la défense où pour que l’on parle de la RD Congo, il fallait insister lourdement. Pour arriver à ce qu’une délégation se rende sur place , il fallait mettre une pression pour convaincre de l'intérêt d’aller sur le terrain pour se rendre compte que finalement la RD Congo n’est pas un petit pays. C’est un peu comme entre Madrid et Saint Pétersbourg. Et donc, ça ne se réduit pas à une unité. Il y a des diversités réelles et si on ne comprend pas ces diversités, si on ne mesure pas la différence entre la réalité de Kinshasa et les réalités dans les villes des provinces, on abordera le problème d'une mauvaise façon en n'apportant pas les bonnes solutions. Donc, je dirai que les pays qui s’intéressent à l’Afrique aujourd’hui et à la RDC en particulier, doivent le faire de façon désintéressée et sans arrière-pensée affairiste ou colonialiste.
<strong>Que voulez-vous dire par là?</strong>
Qu'il faut prendre garde dans notre chef à ne pas imposer des modèles<i>. </i>Un des problèmes aujourd’hui qui est vécu en RD Congo et dans certains pays d’Afrique et qui suscite d’ailleurs des réactions de la part de ces pays, c’est que la communauté internationale veut imposer des modèles à travers la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI). On impose des règles de gestion budgétaire et d’austérité budgétaire qui quelque part pénalise les populations dans la satisfaction des besoins primaires.
<b>Mais il y a tout de même un problème de gouvernance…</b>
Je suis d’accord avec vous ! Mais on ne va pas régler le problème de l’utilisation des moyens d’un pays d'un coup. Là, c’est une autre lutte qu’il faut faire, c’est la lutte contre la corruption. Ce que je veux dire est qu’il eut fallu construire de façon logique, compréhensible par tout le monde pour faire adhérer à un système, à une démarche quelque part, parce que le peuple congolais est un peuple citoyen. Si on pouvait être un peu plus politique dans le bon sens du terme ici en Belgique comme les Congolais le sont eux-mêmes : parce qu’ils parlent du fonctionnement de leurs communautés, de leurs provinces et ils connaissent des gens et ils veulent participer. Donc, il y a là un potentiel important à mettre en œuvre et c’est la raison pour laquelle, je plaide, par exemple, que l’on désigne rapidement des accompagnateurs du processus plutôt que des observateurs des élections.
<strong>La question sur les élections reste délicate...</strong>
Aujourd’hui, le problème est que le rythme, le planning des élections ont été établis quelques fois en oubliant totalement les difficultés organisationnelles. Je ne parle pas ici du financement, je dis simplement que pour organiser les élections en période de pluie dans certaines parties du Congo, ce n’est pas évident. Et pourtant, on a fixé des choses pendant la saison de pluie. Ensuite, dire qu’on va faire une élection, ce n’était pas facile d’enregistrer les électeurs. Donc, pour les élections, je crois qu’il est important de dire, dès à présent, aux gens de la Majorité et de l’opposition que les élections sont importantes, elles doivent se tenir dans de bonnes conditions, il faut accélérer le processus d’enregistrement, la communauté internationale doit pouvoir donner des signaux de bonne volonté pour amener les moyens nécessaires. Désignons dès à présent des accompagnateurs du processus qui prendront en compte la réalité géographique et politique, qui rencontreront les acteurs de façon ouverte. Je crois que ça sera un premier élément de réconciliation.
<b>Vous avez soutenu dans vos publications, je cite </b><b><i>"L’humain doit constituer le fil rouge du partenariat. Impossible de bâtir des sociétés prospères sans protéger les plus âgés ni sans investir pour les plus jeunes". Mais quand on voit la jeunesse, par exemple, en Afrique et en RDC, elle nage dans rien du tout. Il n’existe aucune politique d’orientation…</i></b>
Si on veut redéfinir les relations durables et avec des solutions concrètes, il faut faire des choses concrètes sur le terrain. Mais les gens doivent mesurer que si on veut vraiment faire du concret en terme d’éducation et de la santé, il faut utiliser deux techniques. Une première technique de proximité et effectivement, il faut travailler dans des endroits ciblés avec des acteurs locaux. Mais utiliser une politique de formation des formateurs, pas uniquement construire un hôpital ou un dispensaire qui fait bien dans la conscience de celui qui le fait et une fois qu’il est parti, le projet tombe. Il faut que ça puisse continuer à exister après. Et alors, il faut accompagner les décideurs politiques que ça soit au niveau des provinces ou au niveau global pour développer la politique de solidarité, par exemple, les mutuelles de santé. Le même processus peut être utilisé pour l’éducation. Il est clair aussi qu’au niveau du gouvernement, les aides qui viennent de l’international doivent aussi porter sur ces matières. Les dérives au niveau international, c’est que l’on met dans ce qu’on appelle coopération ou aide des opérations strictement commerciales. On se donne un masque d’humanité pour se donner bonne conscience, mais en fait, les intérêts qui sont poursuivis, c’est des intérêts économiques et financiers importants.
<b>En plus clair, ça veut dire?</b>
Il est clair que quand vous avez un budget qui est déjà raboté par des exigences internationales pour rembourser des dettes qui ont été sans doute contractées par des précédentes dictatures et que l’on continue à rembourser, il faut peut-être les annuler, mais aussi il faut que l’argent ainsi récupéré puisse être injecté dans les secteurs prioritaires et d’avenir tels que l’éducation, la santé, l’agriculture. Donc, les besoins primaires. Quand vous avez un budget raboté et qu’en plus de ça, vous avez des problèmes de sécurité aux frontières et des problèmes immenses dans d’autres secteurs, forcément, les priorités qui devraient être dans un sens, viennent derrière.
<b><i>En quoi se définissent les relations UE-Afrique. Le 5ème sommet UE-Afrique se tiendra en novembre prochain à Abidjan. Est-ce une France-Afrique version amplifiée? </i></b>
D’abord, l’UE quelque part en termes de politique extérieure, ça fait des années qu’elle se cherche. Je crois qu’il faut néanmoins saluer le travail de la nouvelle Haute représentante, madame Mogherini, qui n’est pas facile parce que dégager une cohérence européenne pour avoir une politique unifiée en matière d'Affaires Étrangères et de Défense, ce n’est pas évident. Le véritable problème qui se pose avec l’Europe, c’est de voir dans quelle mesure, elle est capable de parler d’une seule voix sans arrière-pensée de certains de ses membres pour son approche de la politique africaine. Et ça, il y a encore énormément du travail à faire.
<b><i>Est-ce l'UE et les États-Unis ne seraient pas en train de mener une sorte de nouvelle guerre froide en Afrique et particulièrement dans la Région des Grands Lacs où, par exemple, l’Angola qui est soutenu par les Américains ont tendance à jouer désormais le gendarme ?</i></b>
Je me souviens de ma première visite aux États-Unis en 1999, j’avais rencontré à l’époque des gens d’un Think tank conservateur. Je me souviens toujours de la présentation de la carte du monde, de l’influence des États-Unis, etc, où l'Afrique n’était pas mentionné. Je l’ai fait remarquer et c'était “No interest” à cette époque. Après le 11 septembre 2001, certains responsables politiques et militaires américains ont commencé à s’intéresser à l’Afrique et ils ont développé AFRICOM aux endroits où ils soupçonnaient des implantations d’Al Qaïda. Derrière cela, il y avait un souci de renseignement militaire, de contrôle de mouvements, des extrémistes et un repositionnement des Etats-Unis sur la carte de l’Afrique. Donc, je suis d’accord avec votre approche, on a effectivement plus qu’une guerre froide entre l’Europe et les États-Unis. Je crois que l’Afrique devient un territoire de confrontation des grandes puissances. Il y a un proverbe africain qui dit : “Quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre”. Et donc, parce qu’il y a des intérêts multinationaux énormes et un combat qui ne dit pas son nom, la population souffre et, évidemment, ceux qui s’en sortiront encore, ces sont les responsables qui d’une façon ou d’une autre trouveront des accommodements avec des gens qui viennent d’ailleurs.
<b><i>En RDC, le président Kabila est arrivé à la fin de son mandat depuis décembre dernier Le dialogue avec la CENCO a abouti à un accord. Quelle lecture faites-vous de la situation?</i></b>
Tout d’abord, je crois qu’on a vu, à l’occasion de ce qui s’est passé en RD Congo, une démonstration d’un retour de la diplomatie vaticane. Le pape actuel a effectivement réussi des choses sur Cuba et en faisant entrer en mouvement les évêques congolais, je crois qu’il a joué une carte importante avec des résultats dont on ne mesure peut-être pas maintenant les effets positifs. Mais, en tout cas, je ne désespère pas que ce qui a été négocié en un certain moment soit finalement exécuté par tranche et pas globalement. Peut-être avons-nous commis l’erreur de dire qu’il y a l’accord du 31 décembre et de demander le 2 janvier <em>“est-ce qu’il y a un Premier ministre?”</em>, etc. Le monde n’est pas ainsi fait. Je crois que l’on vit dans un monde de consommation rapide, mais il y a toujours besoin d’un certain temps pour mettre en œuvre des accords qui ont été signés. L’autre élément est qu’il y a un principe que les accords doivent toujours être respectés à quelque niveau que ce soit surtout quand ils sont signés au vu et au su de la communauté Internationale. Mais il faut aussi permettre la mise en œuvre. Alors, on me disait que les enregistrements (des électeurs) avancent à un rythme soutenu. Il y a là un signal qu’il faut voir. Je crois aussi qu’il y a un gouvernement. Bien entendu, ce n’est pas sans doute le Premier ministre qui était souhaité, on ne sait même pas les négociations qu’il y a eu. Un élément neuf est intervenu, <em>c’est la mort de Tshisekedi. Qu’est-ce qu’il a dit, fait ou recommandé ?</em> Il y avait une certitude, c’est qu’avoir le père et le fils à deux endroits clés de l’après signature, c’était très difficile. Est-ce qu’en un certain moment Félix Tshisekedi ne s’est pas rendu compte que c’était peut-être un piège, la primature ? Il allait devenir pratiquement la cible de tous les opposants parce que c’est lui qui devait finaliser la mise en œuvre des élections. L’autre élément est que nous devons veiller au travers des contacts avec tous les acteurs et aussi entre parlementaires, nous devons faire en sorte qu’il y ait une pression intelligente pour que soit mis en œuvre cet accord qui a été signé sous l’égide des évêques.
<b>Interview réalisée par Jacques Kini</b>