Est de la RDC : Un programme médico-chirurgical de MSF sauve les vies de nombreux rescapés de violence armée en Ituri

Un rescapé d'attaque armée à Djugu pris en charge à la clinique Salama
Un rescapé d'attaque armée à Djugu pris en charge à la clinique Salama

En Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, les violences armées persistantes font des milliers de victimes parmi des civils depuis fin 2017, période de naissance de la milice CODECO dans le territoire de Djugu. Cette milice qui a étendu au fil du temps son rayon d’influence, jusque dans les territoires de Mahagi et Irumu a éclaté en plusieurs factions aggravant la vulnérabilité des populations. Les civils sont les principales cibles d’attaques armées à caractère communautaire. Ces atrocités causent les déplacements massifs des habitants principalement à travers les territoires de Djugu, Mahagi et Irumu. 

Selon un rapport de MSF, 18% de la population de l’Ituri sont des déplacés à cause de conflits armés. La plupart des déplacés sont des rescapés, blessés par armes blanches et à feu et nécessitent des soins appropriés en vue de survivre. Pour répondre à ces besoins, MSF a mis en place un projet médico-humanitaire à Bunia qui prend en charge des blessés graves, victimes de violence armée.

Une violence inouïe

Entre janvier et mars de cette année, la violence s’est accentuée particulièrement à Djugu et le nombre des victimes a sensiblement augmenté. Les attaques des miliciens CODECO ont notamment visé des déplacés dans les sites de Djaiba et Lodha, faisant plusieurs dizaines de victimes. Vendredi 11 avril, ACTUALITE.CD a visité l’unité médicale implantée par MSF à Bunia à la clinique Salama. Certains patients visités portent de graves plaies sur des corps presque entiers. Des effractions visibles témoignent de l'ampleur de la violence subie. C’est l’horreur.

Cécile (nom d’emprunt), 39 ans, avec ses six enfants, font partie des déplacés, rescapés des attaques coordonnées des miliciens sur le site Djaiba. Il y a deux mois, ses enfants dont la situation s’est améliorée, sont retournés à Djugu avec leur père. Cécile, enceinte, grièvement blessée au dos, à l’avant-bras droit et à la jambe droite, poursuit les soins à Salama.

« Je ne sais pas pourquoi cet incident m’est arrivé. C’était la nuit, vers 00H00, des personnes armées que je n’ai pas identifiées, nous ont attaqués, pénétré notre cabane en bâche pour nous blesser. Il y a eu plusieurs blessés dont mes six enfants. Des jeunes de bonne volonté nous ont transportés jusqu’à la base de la Monusco et cette dernière nous a amenés à l’hôpital de Fataki d’où MSF nous a évacués à Bunia », a témoigné Cécile, perplexe voyant son avenir sombre suite à ses blessures.

La violence armée en Ituri semble être oubliée alors que ses conséquences sont incalculables. « Si on peut plaider pour que la guerre cesse, ce serait une bonne chose pour que les gens vivent en paix. Après l'hôpital, je ne sais pas comment je vais vivre », a ajouté la patiente.  

Emmanuel est agriculteur, âgé de 37 ans, blessé au cours d’une attaque sanglante des miliciens CODECO dans la nuit de 24 mars sur le site des déplacés de Lodha, dans le territoire de Djugu. Il est également pris en charge à la clinique Salama à Bunia.

« J’étais au champ dans la journée. Le soir je suis allé tôt au lit car étant fatigué. J’ai subitement entendu des gens crier dehors. Et en sortant, j’ai vu les corps de cinq personnes tuées. Je me suis échappé pour me réfugier à la base de la Monusco. Au total, six personnes ont été tuées. Cette nuit-là, les casques bleus ont aidé à stabiliser tous les blessés et le lendemain nous avons été évacués à Bunia. En arrivant ici, j’étais dans une situation critique, maintenant ça évolue grâce à MSF qui nous aide beaucoup », a confié Emmanuel, père de plus de 10 enfants, blessé par machette à la hache.

Il explique qu’avant cet événement tragique, « les gens étaient déjà inaccessibles à cause de l’insécurité ». Ce qui lui fait penser à son avenir en tant qu’agriculteur après sa guérison. « Après ici, je ne sais pas ce qui va arriver. Que le gouvernement fasse tout pour rétablir la sécurité dans nos villages. Il n’est pas normal que les gens soient décapités comme des animaux alors que l’Etat est là », déplore-t-il.

Baraka Sababu (30 ans), père de deux enfants, bénéficie également de la prise en charge médical de MSF à la clinique Salama à Bunia. Commençant au centre commercial de Nyamamba, sur la côte du lac Albert, il a été blessé par d’éclats d’obus le 28 février dernier lors des affrontements entre la milice Zaïre et la force marine des FARDC.

« Des obus étaient tirés par les marins, nous étions en famille quand un explosif est tombé dans notre rayon et j’ai été touché avec d’autres personnes. Une fille est morte sur le champ. Le lendemain, nous avons été transportés à bord d’une pirogue jusqu’à Tchomia, de là MSF a facilité notre évacuation jusqu’à Bunia », a-t-il expliqué.

Les blessures et la chirurgie

MSF a mis en place un projet chirurgical en collaboration avec la clinique Salama qui prend en charge des cas de blessés graves liés à la violence. La clinique comprend un bloc opératoire, une unité de triage, des blocs des soins intensifs et 45 lits installés pour accueillir les patients.

Les patients proviennent des zones en proie à l’insécurité, où des affrontements d’une part entre l’armée et les milices, et ces dernières entre elles d’autre part, font des victimes en grande partie parmi les civils.

« Les patients que nous recevons sont ceux qui ont été agressés par armes à feu ou armes blanches. On peut avoir ceux qui ont eu des balles au dos et qui ont traversé l’abdomen pour qui on est amené à faire des explorations pour retrouver les lésions, ou encore si ce sont des traumatismes liés à l’arme blanche, on doit soigner des plaies qui ont été affectées, parce qu’ils n’arrivent pas le même jour, parfois après 48 heures, il faut refermer les plaies.», a expliqué Dr Godefroid Bassara, chirurgien en chef à la clinique Salama.

En mars dernier, la clinique a reçu des vagues de blessés venus de Fataki et Tchomia où il y a eu résurgence de violence. Mais ce surnombre de patients est géré par la clinique grâce à l’appui de MSF qui, d’après les responsables sanitaires, augmente également les ressources en cas de besoin pour faire face à l’afflux de blessés.

« Avec l’appui de MSF, on arrive à les prendre en charge, on ne se plait pas trop. Lorsqu’il y a insuffisance de certains matériels, MSF comprend toujours et essaie de combler. S’il n’y a pas d’aide, nous au niveau local nous serons limités dans la prise en charge. C’est parce qu’il y a un support ici à Salama que ces blessés arrivent ici », a ajouté Dr Bassara.

La prise en charge psychologique

La prise en charge médico-humanitaire prend en compte aussi l’aspect psychologique, à part la chirurgie pour les blessés. Dans son rapport intitulé « Risquer sa vie pour survivre » publié en février dernier sur la violence en Ituri, MSF indiquait que les violences et les attaques contre les populations civiles provoquent des traumatismes psychologiques graves. La psychoéducation est l’une des méthodologies utilisées par les psychothérapeutes de MSF pour soulager les patients.

« Les plus récurrents sont les stress post-traumatiques, les troubles anxieux et la dépression. C’est ce que nous prenons en charge le plus souvent. Nous recevons des patients qui ont traversé une situation critique où la vie a été mise en danger, mais qui ont vécu dans le passé d’autres événements pour lesquels ils n’ont pas eu le temps de consulter un psychologue. Ce qui fait que les patients arrivent dans un état émotionnel, et du point de vue comportemental, ce sont des personnes qui s’isolent et qui ne veulent pas parler de leur vécu. Et nous les prenons en charge parce qu’il s’agit de problèmes de santé et nous les prenons en charge. Nous recevons les témoignages de patients ou de leurs accompagnants qui témoignent d’un changement remarquable », a signifié Jean de Dieu Cinyabuguma, superviseur santé mentale MSF à Bunia.

Le projet médico-chirurgical de MSF en collaboration avec la clinique Salama est en place depuis 2023. Plusieurs dizaines de blessés par balles ou armes blanches ont été traités et sont retournés dans leurs milieux. Dans le cadre de ce projet, MSF collabore également avec CICR afin que des patients amputés des jambes puissent obtenir des prothèses. De nombreux patients ont également bénéficié de la physiothérapie. La clinique Salama n’est que le centre de réalisation du projet médico-chirurgical pour des blessés graves liés à la violence mais aussi aux accidents. Mais d’autres cas légers sont pris en charge notamment à l’hôpital de Drodro, dans le territoire de Djugu. L’organisation médicale d’urgence appuie aussi la zone de santé d’Angumu (territoire de Mahagi). En tout, MSF appuie 15 zones de santé sur les 36 que compte la province de l’Ituri où l’organisation est présente depuis 2003. 

Patrick MAKI