En exil depuis un an, Claudel-André Lubaya, ancien député national et figure politique de la RDC, s'exprime pour la première fois sur les raisons qui l'ont poussé à quitter le pays. Dans cette interview exclusive avec ACTUALITE.CD, il revient sur son départ forcé, la situation politique actuelle et ses réflexions sur le processus électoral de 2023. Alors qu'il espère un jour retourner dans son pays, il partage sa vision critique du régime en place et les défis auxquels fait face la RDC.
ACTUALITE.CD : Claudel-André Lubaya, bonjour.
Claudel-André Lubaya : Bonjour.
ACTUALITE.CD : Pourquoi êtes-vous entré en exil ?
Claudel-André Lubaya : Je n'ai jamais choisi l’exil. Je m’y retrouve par la force de choses. Pour des raisons évidentes, je me suis vu dans l’obligation de rester momentanément en dehors du pays depuis maintenant un an. Dans un pays devenu une prison à ciel ouvert et où les opposants politiques, les activistes de la société civile, et les acteurs des médias vivent en liberté conditionnelle, je m’étais trouvé dans la pénible obligation de sortir du pays pour préserver ma liberté.
ACTUALITE.CD : Quand avez-vous pris cette décision ?
Claudel-André Lubaya :
J’ai été poussé à quitter le pays lorsque je me suis rendu compte, sur la base d’indices à ma disposition, corroborés par des sources objectives, que mes opinions devenaient une source d’inquiétude pour ma modeste personne. Officiellement, je ne fais l’objet d’aucune poursuite judiciaire, ni d’une quelconque enquête. Mais nous savons comment les choses fonctionnent.
ACTUALITE.CD : En avril 2024, un proche de Corneille Nangaa, aujourd’hui condamné, a déclaré que vous faisiez partie de l’AFC. Qu’en dites-vous ?
Claudel-André Lubaya :
J’avais suivi cette affaire, non sans étonnement. Fort heureusement, comme le dit un célèbre dicton de Chancel Bemba, « la justice de Dieu y en a », et la vérité a fini par triompher. Et dès l’ouverture du procès devant la haute cour, le prévenu qui m’avait nommément cité en avril était revenu sur sa déclaration, affirmant qu’il l’avait fait sous la pression, selon ses propres dires. J’avais salué son courage. C’est cela la justice de Dieu que j’ai évoquée précédemment. En revanche, l’adversité politique ne peut être transformée en inimitié, c’est malveillant.
ACTUALITE.CD : A quel moment vous êtes-vous senti en insécurité dans votre propre pays ?
Claudel-André Lubaya :
C’est peu avant la tenue des élections de décembre 2023 que des informations concordantes en ma possession m’ont conduit à prendre la décision de m’éclipser. Des personnes œuvrant dans les services m’ont alerté et je n’avais qu’u seul choix, me mettre momentanément à l’abri. Je ne le regrette pas du reste.
ACTUALITE.CD : Vous avez refusé de participer au processus électoral de 2023, pourquoi ?
Claudel-André Lubaya :
Le processus électoral de 2023 était vicié dès le départ. Lors de l’examen de la loi organique modifiant l’organisation de la CENI, et ensuite lors de l’adoption de la loi électorale, j’ai travaillé avec les collègues du G13. Toutes les propositions de réformes ont été falsifiées par l’union sacrées, qui avait décidé d’imposer sa propre vision de la ceni et du processus électoral. La suite, on la connaît. Et dès ce moment-là, il était clair que ce processus allait souffrir d’un sérieux handicap faute de transparence et d’intégrité.
ACTUALITE.CD : En 2018, à Kananga, vous aviez demandé à la population de voter pour Félix Tshisekedi. Regrettez-vous ce choix aujourd’hui ?
Claudel-André Lubaya :
Non, je n’ai aucun regret. En 2018, ce choix était dicté par un contexte bien précis, avec un régime de 18 ans, et une page qu’il fallait tourner. J’avais un choix à faire, et je l’avais porté sur le candidat de l’UDPS, sur base de l’histoire du parti et de son projet de société. Malheureusement, dans les faits, c’est le jour et la nuit, si bien que personne n’évoque aujourd’hui le projet de société de l’UDPS. Même si aujourd'hui, nous nous retrouvons avec un dirigeant qui, au lieu d’être un démocrate, se révèle être un despote.
ACTUALITE.CD : Comment expliquez-vous ce changement ?
Claudel-André Lubaya :
L’État de droit, qui était l’un des projets phares, comme la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ont été mis entre parenthèses. A la place, le pays se découvre gouverné par un despote qui n’a que faire de la Constitution et des lois de la république ; qui viole les droits humains et l’assume en déclarant qu’il n’avait que faire des droits humains ; ce qui est très grave. Dit-il s’il faille que les maloko etonda, etonda. Tel est l’état d’esprit de monsieur Tshisekedi. Et ce n’est pas pour ça que des milliers de personnes ont adhéré à ce parti. Ce n’est pas non plus pour cette raison que certains ont payé de leur vie en s’engageant dans l’Udps.
ACTUALITE.CD : Pourtant, l’Union sacrée se vante d’un bilan élogieux sur le plan sécuritaire, économique, et démocratique. Qu’en pensez-vous ?
Claudel-André Lubaya :
Ce bilan ne correspond pas à la réalité. Il suffit de voir la situation sécuritaire à l’Est, qui dure depuis des années, les grèves des enseignants et des médecins qui réclament des augmentations de salaire. L’état de nos routes est déplorable, et l’accès aux services de base comme l’eau et l’électricité est problématique. Le gouvernement avait promis de créer 6,5 millions d’emplois en 5 ans. Nous arrivons à la fin de l’année 2024, et ces emplois n’existent toujours pas. L’Union sacrée ferait mieux de sortir du déni pour regarder la réalité en face. Que personne ne s’y trompe et que personne ne croit tromper personne. Notre pays va mal et le premier à le reconnaître c’est Félix Tshisekedi lui-même. Sinon il ne demanderait pas encore du temps au peuple.
ACTUALITE.CD : Martin Fayulu pense que le pays traverse une crise sérieuse. Êtes-vous d'accord avec lui ?
Claudel-André Lubaya :
Oui, je suis d'accord. Le pays est en crise, et cette crise est multidimensionnelle : politique, sécuritaire, économique, sociale, éthique et morale, dans un pays qui a perdu tous les repères. Fondamentalement, il s’agit d’une crise de légitimité des institutions, issues des élections controversées, avec des résultats contestés. Le président Martin Fayulu est un acteur majeur de la scène politique congolaise, et il est normal que de son analyse, il propose une des pistes de solutions, qu’il appelle cohésion nationale. Je me dois cependant de rappeler que depuis 1960, le Congo a organisé plusieurs conciliabules entre politiciens, et les mêmes problèmes persistent. Je me pose donc la question de savoir si la voie proposée par Martin Fayulu serait la plus indiquée.
ACTUALITE.CD : Corneille Nangaa a décidé de prendre les armes. Soutenez-vous cette décision ?
Claudel-André Lubaya :
Depuis 2010, voici 14 ans, mon engagement politique est public, assumé et cohérent. Il ne fait l’ombre d’aucune ambiguïté pour être, à ce jour, frauduleusement raccordé. C’est indigne. L’ancien président de la CENI est un adulte, responsable des actes qu’il pose en âme et conscience. Il est libre de ses choix, y compris les personnes qui s’engagent avec lui. Leurs revendications comme leur organisation sont connues, il n’y a rien qui soit secret.
ACTUALITE.CD : L’UDPS milite pour la révision de la Constitution. Quelle est votre position ?
Claudel-André Lubaya :
Je pense que c’est un faux débat. L’UDPS est au pouvoir avec des objectifs clairs : bonne gouvernance, lutte contre la corruption, et le peuple d’abord. Ces objectifs ont-ils été atteints ? Si la réponse est non, la solution n’est pas de réviser la Constitution, mais de revenir à ces objectifs. A défaut, ils feraient mieux de reconnaître leur incapacité à redresser le pays et d’en tirer toutes les conséquences par une démission pure et simple. Le reste n’est que faux-fuyant.
ACTUALITE.CD : Quelle est donc la solution que vous proposez pour sortir le pays de cette crise ?
Claudel-André Lubaya :
En considérant notre contexte congolais, marqué par notre histoire et notre situation actuelle, je reste convaincu que pour envisager un avenir favorable, il est crucial de remettre en question nos pratiques politiques qui semblent avoir pris en otage le destin des Congolaises et Congolais, ainsi que du pays. Sans une remise en question profonde et une rupture avec ces habitudes confortables, il sera difficile d'entrevoir des meilleures perspectives. Seule une véritable honnêteté envers nous-mêmes pourra nous aider à trouver des solutions à nos défis qui persistent depuis soixante ans.
ACTUALITE.CD. Vous avez mentionné des concertations. Que représente le cadre des concertations ?
Claudel Lubaya:
Le cadre de concertation est une dynamique qui regroupe des forces politiques et sociales d'opposition. Il inclut des partis politiques, des mouvements citoyens, ainsi que des personnalités indépendantes. Face à l’exaspération et le désespoir du peuple, à la faillite de la gouvernance de l’État piloté par Félix Tshisekedi et au risque de délitement de notre Nation et les multiples dangers qui la guettent, monsieur Seth Kikuni et moi, avions lancé l’appel du 27 Mai 2024, invitant au rassemblement le plus large possible, des forces politiques et sociales ; à même de stopper la dictature qui s’enracine dans notre pays et au-delà construire une alternative destinée à redonner l’espoir à notre peuple meurtri. C’est la raison d’être du Cadre de concertation des forces politiques et sociales.
A ce jour, nous avons procédé aux consultations de différentes forces vives, organisé quelques manifestations publiques et les discussions se poursuivent pour parvenir à un accord mettant en place un front large contre la dictature.