1.– Il y a beaucoup à dire sur le débat sur le changement ou la révision de la Constitution (« le Débat »). C’est normal, ce vieux parchemin qui n’a chez nous que l’âge de nos derniers errements, 18 ans, pour être précis, est sensé être le socle de notre désir de construire ensemble notre être national. Notre Constitution nous « constitue » et cette tendance que nous avons d’en changer à chaque étape de notre histoire, illustre qu’en tant que nation, nous ne sommes pas encore assez bien constitués ou plutôt que nous ne savons pas assez de quoi nous sommes faits (constitués).
PRÉALABLES JURIDIQUES
2.– Beaucoup de questions juridiques ont été soulevées à l’occasion du Débat. Sans m’attarder sur chacune d’entre elles, je note :
3.- Sur quoi se fonde la légitimité d’un Changement de Constitution ? La Constitution de la RDC a refusé de se faire hara-kiri en prévoyant des dispositions permettant sa mort et son remplacement par une autre constitution. Les constitutions, en général, ne font pas « ça ». Elles se donnent vocation à être perpétuelles, sauf les constititons transitoires. Toutefois, Cette souveraineté populaire primaire justifie le pouvoir du peuple d’adopter une nouvelle Constitution à l’occasion d’un référendum régulièrement organisée avec un vote transparent et libre.
4. – La Constitution de la RDC peut être révisée, sous la réserve portée par son article 220 qui interdit les révisions touchant à certaines matières.
5.- L’article 220 qui verrouille certaines dispositions constitutionnelles en empêchant leur révision, peut-il lui même être révisé ? Certes, on ne trouvera nulle part l’interdiction expresse de le modifier. En théorie, l’article 220 peut être révisé. Mais s’arrêter à ce constat serait superficiel. Une modification éventuelle de l’article 220, visant la suppression de la limitation des révisions ou excluant certaines matières de cette limitation, constituerait en réalité un Changement de constitution plutôt qu’une Révision. L’article 220 en constituant un socle dur de principes constitutionnels indérogeables prescrit que ce socle dur représente l’identité de la Constitution de 2006. Dès lors, faire sauter le verrou qui protège ce socle en modifiant l’article 220 ferait naître une nouvelle Constitution. Ce qui exclut de se passer de référendum.
Y A-T-IL DES MOTIFS POUR RÉVISER LA CONSTITUTION OU LA CHANGER ?
6.- La Constitution de 2006 n’est pas une œuvre parfaite. Mais c’est un instrument qui fonctionne ; fonctionnel et qui peut fonctionner. Par ailleurs, la constitution constituant le fondement, la fondation, de l’Etat (de droit), il importe d’en assurer une certaine stabilité.
7.- Il faut dès lors distinguer parmi les motifs pour modifier la constitution, les simples malfaçons techniques et les inadéquations à une vision ou une ambition particulière.
8.- Ma vision sur la Constitution de la RDC. J’estime que notre pays, dans le sens plein de ce mot, se déclinant dans l’imaginaire comme le lieu physique, rêvé et pensé de nos êtres et de nos avenirs, s’inscrivant politiquement en Nation, certes balbutiante mais ancrée profondément dans la confluence de notre histoire et de nos perspectives, et se décrivant juridiquement en Etat fragile mais étrangement résilient face à des pulsions centrifuges et de spasmes de déchirement, j’estime que notre pays ne peut pas grandir dans la vision inscrite dans notre Constitution actuelle, et cela dit suivant les axes principaux suivants : l’abandon du principe d’exclusivité de la Nationalité congolaise ; le droit constitutionnel pour chaque congolais installé dans un pays dans lequel existe une représentation diplomatique de participer à tous les scrutins nationaux, le droit pour les congolais de l’étranger de bénéficier de députés et de sénateurs, un nouveau drapeau (abandon de l’étoile léopoldienne) et des symboles liés directement à notre culture (motifs artistiques de nos arts traditionnels par exemple), nouvel hymne qui devrait raconter plus encore la préexistence de nos peuples au fait de la colonisation (la Constitution devrait contenir le texte même de cet hymne, contrairement à l’actuelle) ; statut de langues officielles pour nos langues nationales ; régime présidentiel avec un gouvernement qui relèverait beaucoup plus d’un cabinet (anglais ou américain) ; la forme bicamérale du parlement devrait subsister ; les gouverneurs de province élus au suffrage universel mais maintien des assemblées provinciales qui perdraient simplement le pouvoir de censurer le gouverneur ; limitation constitutionnelle du nombre des membres du gouvernement ; mandats présidentiels et parlementaires de 7 ans renouvelables ; principe de parité obligatoire au niveau des listes de candidatures pour les élections sur liste.
POURQUOI CE N’EST PAS LE MOMENT PROPICE POUR UN CHANGEMENT DE CONSTITUTION ?
9.- J’estime que le Changement n’est pas politiquement envisageable en ce moment pour la simple raison que la force politique au pouvoir (« Pouvoir »), qui la porte ne justifie pas d’une vision globale et cohérente sur laquelle le projet s’appuyerait.
10. Un changement de Consitution est un événement crucial dans l’histoire d’un pays, la manière un peu légère (sans vision et sans feuille de route) par laquelle la force politique au pouvoir est en train de la mener me fait craindre que le pays ne rate cet important (et à mon avis ineluctable) rendez-vous.
11.- Les interrogations sur la volonté de détourner le changement de Constitution de son but et de l’utiliser pour permettre une remise à zéro des mandats, qui permettrait au Président actuel mais également à l’ancien, de revenir malgré la consommation de leurs doubles mandats respectifs, sont légitimes.
12. Mon opinion est que pour permettre un travail de réflexion et de discussion apaisé, un tel Débat devrait avoir lieu en début de premier mandat d’un Président élu. Car celui-ci aurait potentiellement pas grand-chose à gagner d’une remise à zéro des mandats.
ET MAINTENANT QUE VA-T-IL SE PASSER ?
13.- Mon pronostic est que je doute que l’Opposition soit en mesure de mobiliser efficacement la population pour empêcher le projet de Changement, particulièrement à Kinshasa, surtout que le Pouvoir ne leur facilitera pas la tâche, y compris en utilisant des méthodes anti-démocratiques d’atteintes à la liberté d’expression. Par ailleurs, la population congolaise ne se réveille politiquement que la veille des fins mandats. Il semble donc que la stratégie du Pouvoir de lancer ce débat en ce moment et non à quelques mois de la fin du second mandat du pouvoir a été judicieuse et a tiré les leçons des obstacles rencontrés par Kabila à l’approche de la fin de son deuxième mandat sur tous ses desseins rééls et supposés. Et je doute également de sa capacité de l’Opposition ensuite, de pouvoir mobiliser les élécteurs pour faire triompher le « non » au Référendum.
14. – Il faut surtout noter que c’est la qualité de ce que nous sommes qui rendra efficace n’importe quel texte constitutionnel. Et que si notre qualité en tant que peuple, mais surtout la qualité de notre personnel politique ne s’améliore pas, nous risquons de notre vivant de changer plusieurs fois de constitution.
(Vous pouvez retrouver une version plus longue de ma tribune sur la revue juridique en ligne https://awa-afrika.com)
Par BIA BUETUSIWA Hervé-Michel, Citoyen et Juriste
Bia Buetusiwa Hervé Michel est avocat, écrivain et éditeur congolais. Chercheur et formateur en droit, il est également connu pour son activité culturelle en particulier dans le domaine littéraire sous le pseudo Tata N’longi Biatitudes.