En République Démocratique du Congo, de nombreuses femmes enceintes font face à des défis psychologiques et émotionnels complexes, note le docteur Armand Kunzi, spécialiste en santé mentale. Les violences sexuelles, en particulier, ajoutent une couche de complexité à cette période déjà sensible. Pour mieux comprendre les enjeux spécifiques à cette situation et les solutions possibles, le spécialiste a livré une interview au Desk Femme d’Actualité.cd
Docteur, quels sont les principaux défis psychologiques auxquels font face les femmes enceintes en RDC, et plus particulièrement celles ayant subi des violences sexuelles ?
Dr. Armand Kunzi: Les femmes enceintes en RDC, et plus encore celles qui ont subi des violences sexuelles, font face à un ensemble de défis psychologiques complexes. Il y a tout d'abord le traumatisme du viol lui-même, qui peut entraîner des symptômes tels que l'anxiété, la dépression, les troubles du sommeil, et des difficultés à faire confiance. Ensuite, la grossesse, qui peut raviver les souvenirs traumatiques et générer des sentiments de culpabilité, de honte et de colère. Enfin, les conditions de vie souvent précaires et l'absence de soutien social peuvent aggraver ces difficultés.
Quels sont les signes qui doivent alerter l'entourage d'une femme enceinte ayant subi un viol ?
Dr. Armand Kunzi: Il est important d'être attentif aux signes suivants :
- Des changements comportementaux: retrait social, irritabilité, difficulté à se concentrer.
- Des troubles du sommeil: insomnies, cauchemars.
- Des troubles alimentaires: perte ou prise de poids importante.
- Des pensées suicidaires: des idées noires, des envies de se faire du mal.
- Des difficultés à prendre soin de soi et de son bébé: négligence des soins prénataux.
Si vous constatez ces signes chez une femme enceinte, n'hésitez pas à l'encourager à consulter un professionnel de santé mentale.
Comment ces expériences traumatiques peuvent-elles impacter la grossesse et la santé mentale de la mère et de l'enfant ?
Dr. Armand Kunzi: Les traumatismes non traités peuvent entraîner des complications pendant la grossesse, comme une tension artérielle élevée, un faible poids de naissance ou un accouchement prématuré. Chez la mère, cela peut se manifester par des troubles anxieux, des dépressions, des difficultés à établir un lien avec le bébé et un risque accru de comportements à risque. Chez l'enfant, les conséquences peuvent être des troubles du comportement, des difficultés d'apprentissage et des problèmes de santé mentale à long terme.
Quels sont les facteurs de protection qui peuvent aider ces femmes à mieux traverser cette épreuve ?
Dr. Armand Kunzi: Un soutien social fort, une prise en charge médicale adaptée, une thérapie psychologique spécialisée et un environnement sécurisant sont des facteurs clés. Les groupes de soutien pour les femmes victimes de violences peuvent également être très bénéfiques. Il est essentiel de normaliser le fait de demander de l'aide et de combattre la stigmatisation.
Comment l’environnement familial et social peut-il concrètement influencer la santé mentale des femmes enceintes dans ces situations ?
Dr. Armand Kunzi: L'environnement familial et social joue un rôle crucial. Un soutien familial et amical peut atténuer les souffrances psychologiques. En revanche, le rejet, la stigmatisation ou la minimisation de la violence subie peuvent aggraver les traumatismes. Il est important de créer un environnement sécurisant et bienveillant autour de ces femmes.
Quels types de thérapies sont les plus efficaces pour accompagner ces femmes ?
Dr. Armand Kunzi: Les thérapies cognitivo-comportementales, les thérapies émotionnelles focalisées et les thérapies corporelles peuvent être très efficaces pour aider ces femmes à gérer leurs émotions, à développer des stratégies d'adaptation et à reconstruire leur estime de soi. Il est important de choisir une thérapie adaptée à chaque situation et de travailler en étroite collaboration avec la patiente.
Quels sont les bénéfices d’une prise en charge psychologique pour ces femmes ?
Dr. Armand Kunzi : La prise en charge psychologique permet aux femmes d'
exprimer leurs émotions de manière sécurisée et être écoutées sans jugement.
- Travailler sur les traumatismes pour les dépasser et prévenir les complications psychologiques à long terme.
- Développer des stratégies d'adaptation pour gérer le stress et l'anxiété liés à la grossesse.
- Renforcer leur estime de soi et leur confiance en l'avenir.
- Établir un lien positif avec leur bébé malgré les circonstances difficiles de la conception.
Comment les professionnels de santé peuvent-ils accompagner ces femmes au mieux ?
Dr. Armand Kunzi: Les professionnels de santé, notamment les médecins, les sages-femmes et les psychologues, ont un rôle essentiel à jouer. Ils doivent :
- Identifier les femmes à risque et les orienter vers un suivi psychologique.
- Créer un climat de confiance et d'écoute active.
- Collaborer avec les réseaux sociaux pour assurer un suivi global et personnalisé.
- Former les professionnels de santé aux spécificités des traumatismes liés aux violences sexuelles et à la grossesse.
Quels sont les défis à relever pour améliorer l’accès aux soins psychologiques pour ces femmes en RDC ?
Dr. Armand Kunzi: Les défis sont nombreux
- Le manque de ressources: peu de psychologues formés et spécialisés dans les traumatismes.
- La stigmatisation: les violences sexuelles sont encore taboues en RDC.
- L'accès aux soins: les structures de santé mentale sont souvent absentes ou insuffisantes.
- La complexité des situations: chaque femme a une histoire unique et des besoins spécifiques.
Il est donc nécessaire de:
- Développer des programmes de formation pour les psychologues et les autres professionnels de santé.
- Mettre en place des services psychologiques accessibles et adaptés culturellement.
- Sensibiliser l'opinion publique sur l'importance de la santé mentale des femmes enceintes.
- Collaborer avec les organisations de la société civile pour renforcer les réseaux de soutien.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka