Parmi les premières femmes metteur en scène en RDC, Marie Stella Kitoga a ouvert la voie à de nombreuses femmes dans le monde du théâtre congolais. À travers ses pièces de théâtre, elle a abordé des thèmes sensibles tels que la violence envers les femmes, les inégalités sociales et les défis de la société congolaise. Son travail a contribué à éveiller les consciences et à susciter le débat. Dans une interview accordée au Desk Femme d’actualité.cd, elle revient sur son parcours, ses motivations et perspectives d’avenir.
Pouvez-vous vous présenter et retracer votre parcours artistique ?
Marie Stella Kitoga: je suis diplômée de l'Institut National des Arts, où j'ai fait les études dramatiques, l’option réalisation scénique. Cette option était au départ réservée aux hommes, c’est peu après qu’elle a été ouverte aux femmes. Il y a eu avant moi deux femmes qui ont choisi cette option et je suis la troisième. Mais avant ça, je faisais déjà du théâtre scolaire. Après mes études, j’ai été engagée à l’institut national des arts, au centre d’étude théâtral (CEDART).
J’ai fait deux ans à la cellule danse, puis j’ai été affectée pour enseigner la dramatique. J’ai fait 13 ans dans l’enseignement. Je donnais les cours d’Improvisation, d’interprétation, d’expression corporelle, de diction etc. Entretemps, je suis restée dans la pratique de la mise en scène au Congo. J’étais metteur en scène libérale. Je pouvais obtenir des contrats ou travailler avec des compagnies. J’ai accompagné beaucoup de troupes.
J’ai été metteur en scène et formatrice du théâtre de l’archidiocèse de Kinshasa, parce que j’accompagnais et formais en théâtre les futurs prêtres, encore séminaristes de Saint Kaggwa, Jean Paul premier, Jean XXIII. J’ai fait de la sensibilisation, et on a ensemble avec mes aînées, créé un groupe qu’on appelait FCEDART sous l’impulsion de Marie Thérèse, la première femme à avoir fait l’INA et qui était membre du conseil national des femmes au ministère du genre, famille et enfant, aujourd’hui. Dans notre groupe, on avait comme ligne de conduite monter des spectacles de sensibilisation sur la violence faite aux femmes, sur la santé, la salubrité… sur beaucoup de sujets touchant la population. On voulait, par le théâtre, amener le public à prendre conscience.
En 2002, je suis partie vivre en Belgique, où j'ai poursuivi mon parcours artistique. J'ai obtenu une licence en sciences théâtrales à l'Université de Louvain-la-Neuve, ce qui m'a permis d'acquérir de nouvelles compétences et d'élargir mon champ d'action. Depuis, je travaille comme animatrice culturelle, consultante et formatrice, en mettant à profit mon expérience et mes connaissances en matière de théâtre et de médiation interculturelle.
J’ai également suivi une formation de deux ans comme agent de développement et de médiation inter culturelle à Bruxelles. Et depuis, tout ce que je fais c’est avec une approche inter culturelle. Je viens de tourner un film l’année dernière sur le Docteur Mukwege. Je tourne aussi dans des courts, longs métrages, des séries. Jusqu'à aujourd'hui, je continue à œuvrer dans l’art dramatique, qui est différent du théâtre et dans lequel on retrouve plusieurs rubrique dont le théâtre.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au théâtre ?
Marie Stella Kitoga: Je me suis intéressée au théâtre très tôt en tant qu’élève. J’ai toujours été fascinée par les acteurs et j’aimais bien regarder du théâtre. Lorsque je me suis lancée dans l’art dramatique, les professeurs me confiait beaucoup de responsabilités et là, j’ai compris qu'au-delà d’être interprète, je pouvais être metteur en scène, donc créer le monde sur scène. Ça m’a toujours fascinée.
Quels ont été les auteurs, les metteurs en scène ou les pièces qui vous ont le plus influencées ?
Marie Stella Kitoga: J’ai été influencée par plusieurs auteurs dont mon maître Mikanza Mubieme, mon professeur Mbala Kanga, Ndundu Kivuila, par les aînées filles de l’INA. Mais aussi par des pièces et plumes d'auteurs africains que je lisais.
Quelles sont les principales pièces que vous avez écrites et mises en scène ?
Marie Stella Kitoga: pour terminer mes études, il fallait que j’écrive une pièce comme metteur en scène. Fallait que je monte cette pièce comme travail de fin d’études, j’ai écrit la pièce « pourquoi j’arrive », par la suite j’ai écrit beaucoup de petites scènes. J'ai créé des spectacles en tant que metteur en scène. J’ai monté beaucoup de pièces, parce que je devrais le faire chaque année. Mais surtout des pièces engagées, qui défendent la justice, qui abordent les thèmes de l’injustice sociale, la discrimination.
Quels sont les thèmes récurrents dans vos œuvres ?
Marie Stella Kitoga: L’amour, la jalousie, l’injustice sociale etc. Je commence d’abord par tomber amoureuse d’une pièce, lorsque je sens que je peux la monter, je le fais en tenant compte de mes moyens et de ma force, mais aussi du nombre de personnages.
Quel type de public souhaitez-vous toucher avec vos créations ?
Marie Stella Kitoga: Je monte les spectacles pour tout public. Ça dépend de la thématique ou du thème souhaité.
Quel héritage aimeriez-vous laisser à travers votre travail ?
Marie Stella Kitoga: J’aimerai laisser à travers mon travail, l’amour du travail bien fait. En prenant en compte tous les paramètres. J’aimerais également que le Congo comprenne que le théâtre a une place très importante dans la vie parce que ça élève l’esprit. Qu’il y ait beaucoup de salles de spectacles pour que les gens aillent au théâtre. J’aimerai que mon travail continue à inspirer, surtout les femmes, parce qu'être femme et metteur en scène est une grande fierté.
Comment avez-vous surmonté les obstacles pour devenir la première femme metteur en scène de la RDC ?
Marie Stella Kitoga: En tant que première femme dans ce métier, ça n’a pas été facile, au départ, c'est un métier réservé aux hommes. J’ai donné le meilleur de moi même pour convaincre d’abord lors de mon parcours universitaire surtout que j’étais étudiante mariée. Je fournissais beaucoup d’efforts pour être toujours à la hauteur. Une femme metteur en scène a encore beaucoup plus d’atouts qu’un homme parce quelle est d’abord une femme, mère, soeur et comprend mieux les émotions et sensations pour mieux les orienter. C’est comme ça que je me suis adaptée très rapidement et je me suis vue acceptée et portée par presque tout le monde.
Quel rôle le théâtre peut-il jouer pour promouvoir l'égalité des genres en RDC ?
Marie Stella Kitoga: Le théâtre est une activité qui fait la promotion de l’égalité de genre, il a pour mission de divertir et d'éduquer. En tant qu’élément éducateur, il joue un rôle très important dans la promotion de l’égalité homme-femme. À travers le théâtre, on peut sensibiliser, conscientiser sur les maux qui touchent la société. C’est pourquoi en créant notre troupe FCEDART, nous abordions des thématiques ayant trait à l’émancipation de la femme, lutte contre les VBG, la problématique du divorce, du mariage forcé, problématique liée aux femmes danseuses dans des orchestres etc.
Quels sont vos projets futurs?
Marie Stella Kitoga: continuer à œuvrer dans l’art dramatique comme je le fais toujours. Et contribuer à l’épanouissement culturel de mon pays. Mais aussi transmettre tout ce que j’ai eu la chance de recevoir à travers l'art que j’ai pratiqué toute ma vie. Cet art qui m’a fait vivre et vibrer. J’aimerais que mon pays retrouve sa superbe culture. Qu’il redevienne un pays où on célébrait les écrivains avec l’union des écrivains zaïrois, un pays où on avait le théâtre national, un pays avec des cinémas, un pays où on célébrait le folklore, un pays où les artistes inspiraient plus, un pays où on valoriserait l’art et la culture comme le socle de la société.
Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka