Du lancement des jeux de la Francophonie à la clôture des opérations d'enregistrement des candidatures pour les législatives nationales, en passant par la signature d'une charte des médias en ligne pour lutter contre les discours de haine en période électorale, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Tisya Mukuna passe en revue ces faits marquants.
Bonjour Madame Tisya Mukuna et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités et votre parcours ?
Tisya Mukuna : Je suis la fondatrice et CEO du café La Kinoise dont la plantation se trouve à Mont-Ngafula et notre usine de transformation à Kingabwa. Nous produisons donc un café 100% congolais. J'évolue surtout dans l'agro-industrie et je suis vice-présidente des jeunes entrepreneurs à la Fédération des Entreprises du Congo (FEC).
Du 28 juillet au 06 août, la RDC organise la neuvième édition des jeux de la Francophonie. Quelles sont vos attentes par rapport à cet évènement ?
Tisya Mukuna : les jeux de la Francophonie sont un évènement sportif majeur et très important. Bien entendu, nous espérons que tout se passe bien, qu’il y ait une sécurité qui encadre bien ces jeux et qu’il y ait beaucoup de joie et de partage. Le point commun de tous ces pays qui se réunissent aujourd’hui, c’est la langue. Cette dernière est le meilleur moyen pour échanger. Nous souhaitons beaucoup d’échanges et de partages. Et en tant que Congolaise, nous espérons qu’il y aura ce partage de cultures au-delà des sports, des concerts. J’attends surtout que l’on puisse découvrir le Congo avec les Congolais, l’artisanat congolais, la mise en avant du made in Congo, de notre savoir-faire et savoir-être dans la gaieté et la bonne humeur.
La RDC s’est battue pour réaliser sa promesse de tenir cet évènement après deux reports et malgré le contexte de crise que traverse le pays à l’approche des élections. Que représente cela pour vous ?
Tisya Mukuna : la RDC a tenu parole et c’est vraiment à notre honneur. Je trouve que ces jeux de la Francophonie sont les jeux de tous les Congolais. Ils ne sont pas dans une classe politique ou une classe socio-professionnelle. D’où que l’on vienne, ce sont les jeux de la Francophonie pour tous. Et j’ai vu le travail communicationnel qui a été fait autour de ces jeux, comment le Ministre Muyaya et les équipes ont fait en sorte que tous les Congolais puissent se les approprier. Il faut le reconnaître, c’est une fierté pour tous les Congolais. Cela représente aussi qu’il y a de la combativité. Il y a aussi des choses qui ont été mises en place, notamment les infrastructures pour ces jeux. J’espère qu’elles seront bien entretenues après les jeux et bien gérées. Nous voyons ce qui a été fait au niveau du stade Tata Raphaël et espérons que dans trois ans, il sera aussi beau. Tout le travail qui a été fait au niveau de la Société Nationale d’Electricité ou de la Regideso démontre que tout est possible en République Démocratique du Congo, il suffit juste de la volonté. Nous avons eu de la volonté pour la Francophonie, il faudra maintenir tout ce travail pour le pays.
Des professionnels et organisations des médias ont mis en place une charte des médias en ligne pour lutter contre les discours de haine pendant la période électorale. Que faut-il pour que cette initiative produise un réel changement dans la sphère numérique congolaise ?
Tisya Mukuna : aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, il y a une certaine violence dans les échanges, surtout sous le couvert de l’anonymat. Je pense que pour lutter contre les discours de haine, il faut déjà responsabiliser les gens, les mettre face à leur responsabilité. Qu’il puisse y avoir des sanctions quand une personne dépasse sa liberté de penser et devient insultant, voire menaçant. Sous d’autres cieux, il est possible de traquer ces personnes-là et les traduire en justice dans la vraie vie. Il faudrait que les gens arrêtent de se dire qu’internet c’est la fausse vie, parce que les écrits restent. La haine aussi. Il est intolérable d’utiliser internet pour véhiculer la haine. En période électorale, il faudrait pouvoir confronter les idées, des visions avec des arguments et non pas la haine.
En ce qui concerne les législatives nationales, la CENI a clôturé les opérations de dépôt et traitement des candidatures le 24 juillet. Parmi les grands absents, le parti ECiDé de Martin Fayulu et le FCC de Joseph Kabila qui n’a pris part à aucune étape du processus. Votre point de vue sur leur position ?
Tisya Mukuna : ces deux partis sont dans l'opposition et ils ont décrié le processus électoral. Maintenant, ne pas poser de candidature est un acte radical. Mais si c'est comme cela qu'ils voient leurs stratégies, alors on ne peut qu'observer et voir ce que cela produira en termes de résultat dans les prochains jours. Est-ce une tactique ? Est-ce un geste de mécontentement ? Dans tous les cas, c'est leur liberté et je la respecte. Je suis curieuse de voir comment va évoluer le processus électoral. En tant que citoyenne congolaise mais aussi en tant que personne qui voudrait voir bouger les choses et apporter un souffle nouveau à notre pays, ce que je fais déjà à travers mon travail. Et donc, tout le processus m'intéresse énormément, mais pour le moment, observons.
Pour les cartes d’électeurs dont les écrits s’effacent, la CENI a annoncé pour le 02 août l'opération de délivrance des duplicatas. Selon vous, cette initiative va-t-elle permettre de lever les critiques autour de la délivrance des cartes ?
Tisya Mukuna : tous les Congolais qui ont une carte d'électeur sont enregistrés dans une base de données. Pourquoi ne pas confier l'édition et l'impression de ces cartes à une entreprise qui permettrait d'avoir des cartes qui ne s'effacent pas. Vu l'urgence, je comprends la situation des duplicatas mais à long terme, il faudrait revoir tout simplement l'édition des cartes. Il y a des entreprises congolaises capables d'offrir ces services sans que les écrits ne s'effacent.
Par ailleurs, Bukavu a encore enregistré des morts et plus de 20 maisons calcinées à la suite à un incendie le week-end dernier. Ces drames sont très récurrents dans cette ville. Pensez-vous qu’il y ait possibilité de les contenir ?
Tisya Mukuna : ce qui se passe à l'Est est une tragédie. On a des massacres, des affrontements, la nature qui se déchaîne aussi avec le volcan (...) les solutions pour l'Est doivent être durables. Précisément pour Bukavu, je suis très touchée et très attristée par les maisons qui ont été calcinées. Je pense que nous devrions nous concentrer à 100% pour trouver des solutions à long terme pour l'Est. C'est l'une des priorités de tout congolais et j'espère que l'on peut aussi développer dans ce cadre, des services de combattants du feu, des pompiers équipés et formés pour l'étendue du territoire. Il est temps de repenser l'exercice de ce métier en RDC.
En ce qui concerne l’assassinat du député national Chérubin Okende, les leaders de l’opposition Katumbi, Sesanga et Matata attendent la démission des juges Dieudonné Kamuleta et Sylvain Lumu « pour favoriser une enquête indépendante ». Soutenez-vous cette démarche ?
Tisya Mukuna : je tiens premièrement à présenter mes condoléances à sa famille biologique et aux personnes qui l'ont porté dans leurs cœurs. On parle de l'assassinat d'un représentant de l'Etat et pour moi, ce n'est pas une question qui peut être prise à la légère. Aucune parole ne peut être dite sans connaissance des actes. Cela me paraîtrait hasardeux de devoir me prononcer sur cette question. Il est clair qu'il faut mettre plus de lumière autour de cet assassinat, il faut aussi condamner les auteurs de ce crime odieux.
Au niveau continental, des militaires nigériens ont renversé Mohamed Bazoum, démocratiquement élu en 2021. Dans un communiqué à la télévision nationale vendredi, le Chef de la garde présidentielle justifie l’acte par la montée de la violence des groupes terroristes. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Tisya Mukuna : les coups d'Etat en Afrique doivent cesser. L'Afrique, n'est-elle pas apte à avoir une démocratie ? Que nous faut-il ? Il y a d'autres façons de manifester son mécontentement face à la gestion étatique. Notamment, les grèves, le parlement qui saisit différents responsables du gouvernement (..) la voix de la force, la violence ne peut aucunement être cautionnée. L'Afrique est en construction. Elle se cherche encore. Aucun pays africain n'a fini la course du développement. Nous sommes tous en plein essor.
Au niveau international, la Belgique a décidé de refuser l’accréditation de Vincent Karega, désigné par le Rwanda pour être son nouvel ambassadeur à Bruxelles (plus important service diplomatique du Rwanda sur le continent européen). Comment analysez-vous cette décision de la diplomatie belge ?
Tisya Mukuna : la diplomatie belge a prouvé par sa décision qu'elle n'était pas d'accord avec le Rwanda. C'est un message fort contre les agissements du Rwanda mais aussi un message fort de soutien de la Belgique à la RDC. Il faut que ce genre de message soit réitéré dans tout le pays. Car, on ne peut pas tolérer la violence et les actes de barbarie. Le Congo est en train d'évoluer et le monde, notamment la Belgique, l'a compris.
Un dernier mot ?
Tisya Mukuna : l'actualité aujourd'hui, c'est beaucoup de mauvaises nouvelles parfois. Mais il y a aussi de bonnes choses qui se construisent. Il y a des gens qui se battent pour améliorer les situations, il y a des gens qui essaient de rendre ce monde meilleur. C'est aussi important de mettre la lumière sur eux, pour que tout un chacun, nous puissions garder espoir que oui, la vie n'est pas facile mais ce n'est pas trop tard pour qu'elle soit agréable.
Propos recueillis par Prisca Lokale