Festival Amani : la paix a de nombreux visages

Ph. Droits tiers/Festival Amani
Ph. Droits tiers/Festival Amani

Le festival Amani existe maintenant depuis près de dix ans. Mais bien que le nom soit tout un programme, la paix n'est pas arrivée dans la région. Cette semaine encore, des milliers de personnes se sont déplacées à la suite des combats à Kitshanga. Il y a quelques jours, c’étaient des nouvelles bouleversantes de Kasindi - l'attentat à la bombe contre une église. Le festival dont le slogan est "playing for change, singing for peace" n'a, bien sûr, jamais pu empêcher des événements aussi terribles, mais il peut les braver. Car les voies vers un avenir meilleur sont nombreuses, et le festival Amani les ouvre et les renforce année après année.

Changer l'image de l’Est du pays

Le simple fait qu'un événement culturel d'une envergure internationale se déroule dans l'est du Congo est important. Car cela corrige l'image qu’en ont tant de gens qui ne connaissent la région des Grands Lacs que comme un lieu de violence, de déplacement des populations ou de travail des enfants dans les mines.

Le festival Amani a, au contraire, pu montrer au monde à quel point cette image est unilatérale. Montrer comment on danse, on crée et on discute ici est extrêmement important, surtout à l'heure où la région fait à nouveau négativement la une des journaux du monde entier.

Mais le festival veut aussi donner à certaines populations dus de nos concitoyens une autre image de l'est du Congo : Les gens qui veulent quitter cet endroit à la recherche d'une vie meilleure ailleurs et qui risquent souvent leur vie dans cette quête. S'ils oublient, ne serait-ce que trois jours, leurs soucis quotidiens accablants et voient plutôt ce qu'ils peuvent changer ici, cela peut leur donner l'espoir nécessaire de prendre les choses en main.

Apprendre et créer ensemble

En réalité, c'est ainsi que le festival avait commencé : En 2012, sans aucune expérience dans l'organisation d’événements de cette envergure, des membres du Foyer Culturel de Goma s'étaient tout simplement lancés dans la conception de ce que le public découvrira en 2014 comme le Festival Amani. Aujourd'hui, ces pionniers sont des gestionnaires d'événements professionnels, des collecteurs de fonds ou des techniciens en son et lumière. Aujourd'hui encore, des centaines de bénévoles acquièrent chaque année de nombreuses compétences : ils écrivent par exemple leur premier texte pour un site web, apprennent à s'occuper d'artistes internationaux de manière professionnelle ou à utiliser une caméra. Nombre de ces bénévoles organisent aujourd'hui leurs propres festivals et ateliers à Goma et dans les environs.

Le festival Amani leur permet également d'accéder aux connaissances d'experts culturels, de politiciens ou de professeurs d'université. En effet, chaque année, des panels discutent des problèmes et de solutions concrètes en rapport avec divers thèmes tels que la promotion de la paix, la liberté d'expression, l'égalité des chances dans l’éducation, etc. Plus de 30 radios communautaires diffusent ce savoir dans les provinces de l’Est  et dans quelques pays de la région.

Les contacts créés lors du festival sont extrêmement importants, surtout pour l'avenir des artistes encore peu connus. De nombreux artistes locaux se sont déjà produits sur des scènes en France, en Belgique ou en Égypte grâce aux contacts qu’ils ont pu établir pendant le festival. De telles expériences leur permettent de ramener dans la région des compétences et des idées nouvelles.

Soutenir l'économie

Ce sont ces petits pas, souvent personnels, qui permettent à l’économie de prospérer à long terme. Le festival soutient aussi directement les jeunes dans cette démarche en leur permettant de présenter leurs idées entrepreunariales innovantes à un jury d'experts. Si ces idées sont prometteuses, ils ne reçoivent pas seulement un soutien financier, mais participent également à des formations sur les compétences de gestion ou apprennent les principales étapes de la création d'une startup. Jusqu'à présent, 21 microentreprises ont déjà été créées. Elles fabriquent par exemple des foyers et du charbon à partir de l'écorce de noix de palme ou transforment des déchets plastiques en pavés durables.

Le festival Amani génère également lui-même des revenus, des emplois et des recettes fiscales dans la région, notamment en faveur des hôtels et des restaurants, aussi bien qu’en faveur des agences de tourisme et des entreprises de spectacle. Le secteur informel en profite également lorsque 36 000 visiteurs, plus de 300 artistes et plus de 800 bénévoles se réunissent pendant trois jours. Les affaires des personnes qui proposent autour du festival des unités téléphone, des brochettes ou des courses sur leurs motos marchent exceptionnellement bien pendant la période du festival.

Surmonter les différences

Lorsque des grands noms de la musique du monde se retrouvent sur une scène, cela rassemble énormément de monde. Le festival Amani parvient à attirer des personnes de couches sociales très différentes : avec un prix d'entrée abordable fixé à un dollar par jour, cette fête ouverte à tous joue un rôle particulièrement important pour une société qui veut surmonter un passé difficile. Car cela ne peut réussir que si tout le monde peut participer. Ainsi, de nombreuses personnes sont en contact avec des sujets qu'elles n'auraient peut-être pas abordés autrement. C'est ce qui se passe par exemple dans l'espace associatif, où plus de 50 ONG présentent leur travail de manière ludique – par exemple sur la prévention des mines antipersonnelles, l'égalité des genres ou l’analphabétisme.

Le festival renforce aussi de manière plus explicite l'ouverture envers d'autres personnes et groupes. La population de Goma a par exemple vécu des expériences difficiles avec ses forces de sécurité. Pour surmonter de telles expériences, le festival a invité en 2019 le brass band français appelé Mortal Combo, lequel est composé de 15 musiciens qui ont collaboré avec des musiciens de l'armée et de la police congolaises.

Les ateliers de plusieurs jours pour les poètes slameurs de toute la région mettent notamment l'accent sur la cohabitation des peuples autour des Grands Lacs - cette année, une attention particulière est portée sur la lutte contre les discours de haine. Les personnes qui passent leurs messages de manière poétique et celles qui écoutent leurs textes sur scène ne céderont guère à quelque slogan xénophobe que ce soit.

Au-delà de Goma

Cette année, pour de raisons de sécurité, le festival Amani a été exceptionnellement délocalisé dans la ville de Bukavu. Depuis plusieurs semaines, des centres culturels du Sud-Kivu se joint aux organisateurs pour mettre en place l’évènement, davantage de bénévoles de Bukavu pourront profiter de l'occasion d'apprendre de nouvelles compétences en tant que bénévoles, de nouer des contacts avec leurs modèles artistiques, de trouver de nouveaux partenaires économiques ou tout simplement de s'évader du quotidien pendant trois jours.

Maria-Theres Schuler,

Anthropologue sociale

Bénévole au festival Amani

Ph. Droits tiers/Festival Amani