RDC : M23, la preuve par l’image d’un soutien étranger

Le dossier de la rédaction
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Depuis le 20 octobre, le M23 a réussi en quelques jours à conquérir une partie du Nord-Kivu. Le gouvernement congolais estime que l’armée rwandaise opère sous couvert de cette rébellion et dit détenir des renseignements sur des agissements hostiles de l’Ouganda. ACTUALITE.CD a recueilli des témoignages et analysé des images qui prouvent l’existence d’un soutien extérieur.

“Personne n’ose s’approcher de ces colonnes ou sortir son appareil pour les filmer”, explique une habitante de Kiwanja dans le Nord-Kivu qui préfère garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. “On a tous été étonnés par leur uniforme et leur équipement. On connaissait le RCD, le CNDP, le M23 de 2012. Ces gens qu’on voit sont des militaires rwandais”. Pourtant, certains ont osé filmer et ces vidéos ont surpris les congolais comme les observateurs étrangers. Depuis l’embrasure de leurs portes, des habitants de localités occupées ont pu filmer des colonnes de présumés rebelles qui ont tout d’une armée régulière, casques, uniformes assortis, portes-munitions, moyens de communication, gourdes, sacs à dos. 

En dehors de la garde républicaine, rares sont les unités de l’armée congolaise qui disposent de ce type d’équipements. Moins encore les groupes armés qui pullulent dans l’est de la RDC. Eux se contentent souvent d’uniformes dépareillés et de kalachnikovs, pour la plupart issus des stocks de l’armée congolaise.

Pour l’armée congolaise, c’est un secret de polichinelle. « Je vous ai montré à vous les médias des militaires rwandais avec leur pièce d’identité, des armes, des uniformes de l’armée rwandaise, aujourd’hui, il n’y a plus de doute sur l’identité de ceux qui nous attaquent», assure le colonel Guillaume Ndjike, porte-parole des opérations Sukola II.

« C’est le Rwanda qui se cache sous le label du M23 ». Depuis janvier, l’armée congolaise a arrêté au moins 5 militaires rwandais sur son sol et en a présenté certains à la presse. Elle avait également montré à des journalistes à la mi-juillet des bottes siglées RDF, des casques et uniformes semblables à ceux de l’armée rwandaise qu’elle disait avoir récupérés sur le champ de bataille. 

ACTUALITE.CD a obtenu trois vidéos montrant des colonnes de présumés M23 entièrement équipés comme des militaires d’une armée régulière, deux proviennent de Kiwanja officiellement sous contrôle du M23 depuis le 29 octobre dernier et une présentée comme tournée à Tongo, tombé le 16 novembre. Deux autres vidéos ont été filmées par le M23, elles montrent ceux qui ont mené la contre-offensive contre les deux chars engagés par les FARDC près du pont de Mabenga, en plein parc des Virunga. Confronté à certaines de ces vidéos, le porte-parole militaire du M23, Willy Ngoma, assure que “c’est le M23”. Pour preuve, le rebelle envoie toute une collection de photos de lui, arborant différents uniformes. 

Les habitants des zones occupées le confirment, les rebelles du M23, les vrais, ont toutes sortes d’uniformes, la plupart de vieux uniformes FARDC, puisqu’en 2012 beaucoup avaient fait défection de l’armée congolaise. À Kiwanja, on a vécu l’occupation par le RCD Goma, les massacres commis par le CNDP en 2008 et l’arrivée du M23 en 2012. Un commerçant de la ville est catégorique : “contrairement au M23 de 2012, ceux qui sont entrés à Kiwanja ne sont pas vraiment de simples rebelles. Nombreux paraissent en bonne forme, sont propres et bien équipés. J’ai déjà été au Rwanda et rien qu’à leur manière de se comporter, je peux vous dire que ce sont des militaires rwandais”.

Les cinq vidéos collectées par ACTUALITE.CD retracent les événements du 11 au 20 novembre 2022. Le vendredi 11, ce sont les FARDC qui sont à l’offensive et parviennent à s’infiltrer derrière les lignes ennemies. Le M23 dénonce alors une attaque menée conjointement avec des groupes armés. Les FARDC semblent en passe de laver l’affront de la prise de Rutshuru et de Kiwanja quelques jours plus tôt, mais elles se retrouvent dans les jours qui suivent repoussées jusqu’à une vingtaine de kilomètres de Goma et progressent sur d’autres axes. Cette progression fulgurante d’un mouvement qui avait été défait en 2013 étonne y compris des experts étrangers comme le chercheur américain Jason Stearns, fondateur du Groupe d’Etudes sur le Congo : “le M23, ils n’étaient plus qu’à quelques centaines dans les camps de réfugiés en Ouganda et au Rwanda. Mais ils contrôlent aujourd’hui un très vaste terrain militaire qui va de Rutshuru jusqu’à Masisi, de Bunagana jusqu’au sud, et ils ne peuvent pas tenir ça et avancer vers Goma tout seuls”. Pour cet ancien membre du groupe d’experts de l’ONU, même si le M23 a pu recruter depuis, ils ne peuvent pas dépasser un effectif de 1500-2000 rebelles aujourd’hui. Le territoire de Rutshuru à lui seul fait 5 289 km2. Jason Stearns trouve cette progression d’autant plus suspecte qu’en 2008 et 2012, il avait déjà documenté qu’à chaque “opération militaire d’envergure” d’une rébellion pro-rwanda, comme la prise de Rumangabo ou de Goma, “il y avait une intervention de l’armée rwandaise”. 

Le porte-parole militaire du M23 réfute cette idée. «Nous sommes des grands combattants, nous le M23, rappelez-vous lorsque nous avons récupéré la ville de Goma, tout le monde avait vu, c'est le même effectif », assure Willy Ngoma. Pour expliquer la performance du M23 version 2022, il parle de « six ans » d’entraînement dans les hautes montagnes dû “ maquis de Sarambwe” depuis 2017. « Rien que le climat nous a formés. Dans le froid, dans la faim, nous avons tenu », raconte-t-il.

Beaucoup parmi les anciennes figures du M23 ont décidé de ne pas se joindre à cette nouvelle rébellion. “Moi, je n’allais pas attendre pendant 10 ans dans un camp qu’on vienne régler notre situation”, explique un ancien officier du M23 qui vit aujourd’hui loin de la région des Grands Lacs. “À l’époque, le Rwanda et l’Ouganda nous ont abandonnés, je n’allais pas recommencer ces bêtises. Pour gagner quoi?”. L’ancien rebelle confirme ce que dit Jason Stearns. “Sans l’armée rwandaise, jamais nos frères auraient pris tout ce territoire”. Il explique toutefois qu’il y a eu ces derniers mois des recrutements dans les camps de réfugiés et des campagnes de levée de fonds au sein de sa communauté. “Mais rien de tout ça ne peut permettre de lever une telle armée”. Un autre ancien du M23 explique cette absence des grandes figures du M23 par un “changement de générations”. “Ceux qui sont revenus, ce sont des junior officers”, explique-t-il. “10 ans après, tout le monde s’était refait une vie”. 

Pour le député national Juvénal Munubo, élu du Nord-Kivu et membre de la commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale depuis 2012, “tout converge”. "Ce qu’on me rapporte, c’est qu’on voit des militaires rwandais, des militaires qui ne parlent que kinyarwanda et anglais dans le territoire de Rutshuru”, explique-t-il. Juvénal Munubo rappelle aussi que le groupe d’experts des Nations-unies a récemment dénoncé ce soutien de l’armée rwandaise au conseil de sécurité de l’ONU. 

Dans son rapport confidentiel de juillet 2022, le Groupe dit “avoir obtenu des preuves solides de la présence de membres des RDF et d’opérations militaires menées par ces derniers dans le territoire de Rutshuru entre novembre 2021 et juillet 2022”. Il explique également avoir interrogé “des témoins oculaires, des sources des FARDC, des acteurs de la société civile et des autorités locales” qui ont tous raconté la même chose : “Le 24 mai 2022, un grand nombre de troupes des RDF marchant en colonnes sont arrivées du côté rwandais de la frontière et sont entrées en RDC par au moins quatre points d'entrée, à savoir Kabuhanga, Chegera, Kibaya et Kasisi”.

“Les autorités rwandaises s’en cachent à peine. Quand le gouvernement congolais s’en prend au M23, on voit le gouvernement rwandais le défendre. On sent une sensibilité”, estime Juvénal Munubo. L’élu du Nord-Kivu note aussi que ce “nouveau M23”, plutôt que de concentrer ses forces sur Goma, “s’en prend aussi à des bastions FDLR”. 

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Matériels semblables aux uniformes rwandais que l’armée congolaise dit avoir récupérer sur les champs de bataille

L’un des chefs de Tongo confirme que dans son groupement, les présumés rebelles ont d’abord ciblé deux camps FDLR.  “C'est depuis 2011-2012 que nous vivons avec les FDLR ici". Lui ne confirme pas l’identité de ceux qui se présentent comme le M23. “Ils sont dans des positions jadis occupées par les FARDC. Il n’y a eu aucun échange avec les habitants jusque-là. On les voit passer sans rien dire. On a peur de les approcher, tout ce que l'on fait, c'est de nous mettre à l'abri”. Le chercheur franco-allemand et ancien du groupe d’experts, Christophe Vogel note aussi que  les axes choisis “sont les zones où les FDLR et/ou leurs dissidences sont historiquement fortes”. “Tongo en particulier est la porte qui ouvre vers le cœur de la zone d'influence FDLR”, ajoute-t-il.

Pour le M23, c’est contre les rebelles hutus rwandais que la RDC devrait se liguait. « Ce sont des FDLR qui sont des étrangers, pas nous, nous sommes les dignes fils de ce pays, nous luttons pour une cause noble pour qu'il y est un changement dans ce pays », estime Willy Ngoma, son porte-parole militaire. Par voie de communiqué, le M23 a régulièrement dénoncé les discours de haine et des attaques contre la communauté tutsie ou rwandophone.

Lors du point de presse hebdomadaire du 22 novembre, le ministre de la communication Patrick Muyaya a estimé que le Rwanda “est déterminé à maintenir cette partie de la RDC sous instabilité” et qu’il “a commencé à opérer sous couvert du M23”. Pour le porte-parole du gouvernement, “il faut se référer aux propos du secrétaire général des Nations Unies ou de Madame Bintou qui parlent d’une armée. Dans leur refuge diplomatique, ils ne citent pas le Rwanda, mais les faits sont ceux-là”.

ACTUALITE.CD a interrogé cinq sources onusiennes et trois diplomates qui confirment une incursion rwandaise sous couvert du M23. En plus des vidéos et images en circulation, des drones ont pu photographier ces colonnes.  Des spécialistes en armes se sont penchés sur toutes ces images. Certains des uniformes et des équipements utilisés seraient les mêmes que ceux employés par l’armée rwandaise au Mozambique.

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Une colonne filmée à Kiwanja ressemble à celle de l'Armée rwandaise au Mozambique. ACTUALITE.CD a comparé les images.

Pourtant, à ce jour, rares sont les pays et organisations, y compris sur le continent africain, qui dénoncent une intervention rwandaise. Les Etats-Unis et le parlement européen font figure d’exception. Ils ont demandé à Kigali de mettre un terme à ce soutien. "Les militaires rwandais traversent la frontière en permanence à travers les montagnes. L’Onu les voit passer mais les divisions au sein du conseil de sécurité bloquent une condamnation claire du voisin rwandais", note un observateur étranger. Pour lui, les Etats membres du conseil sont "co-responsables d’une situation humanitaire qui ne cesse de se dégrader".

Un autre aspect n’est pas à négliger : Après le Bangladesh, l’Inde et le Népal, le Rwanda avec ses 13 millions d’habitants est aujourd’hui le quatrième pays contributeur de troupes de l’ONU avec plus de 5700 casques bleus et policiers déployés pour le compte de l’ONU hors du territoire rwandais. Alors que les troupes de Laurent Nkunda, soutenues par Kigali, continuent de menacer la paix de l’est du Congo, le Rwanda “a commencé par une modeste contribution en mai 2005 avec le déploiement d'un observateur militaire auprès de la Mission des Nations Unies au Soudan”, selon le site des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Depuis, les casques bleus rwandais ont été déployés en Centrafrique, au Mali, au Soudan du Sud et en Haïti. Ironiquement, parmi les militaires rwandais dont on soupçonne qu’ils sont morts au Congo ces dernières semaines, on retrouve d’anciens casques bleus. Patrick Nyamvumba, chef d'État-major de l’armée rwandaise et ministre de l’intérieur, aujourd’hui cité par des sources militaires congolaises et d’anciens rebelles pro-rwanda comme l’un des parrains du M23, a été lui-même force commander de l’UNAMID au Darfour.

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Lire la liste des pays contributeurs en troupes (ONU) ici.

Alors que l’Ouganda annonce le déploiement de 1000 militaires au sein de la force de l’EAC, des doutes pèsent aussi sur Kampala. “Il y a des éléments de terrain qui renseignent qu’il y a des agissements qui nous sont hostiles du côté de l’Ouganda”, a également dit le ministre Patrick Muyaya lors du point de presse hebdomadaire du 22 octobre. En juin dernier, le président de l’assemblée nationale Christophe Mboso avait ouvertement parlé d’une “complicité” et d’une “implication” de l’Ouganda. Il a réitéré en novembre les mêmes soupçons. Mais rares sont les officiels congolais qui avancent des arguments. “La population d’Ishasha m’a rapporté que des militaires ougandais avaient traversé la frontière avant la prise de Rutshuru”, assure le député Juvénal Munubo. Ce spécialiste à l’Assemblée des questions militaires rappelle qu’une grande partie de la frontière avec le Rutshuru, c’est l’Ouganda plus que le Rwanda. “C’est aussi plus facile de ravitailler le M23 depuis l’Ouganda. Côté Rwanda, il y a des montagnes à traverser”, ajoute-t-il. 

Les témoignages sur la présence de troupes ougandaises en République démocratique du Congo sont plus rares. Un petit commerçant de Kiranga, un village congolais frontalier avec l’Ouganda, a affirmé avoir vu des soldats franchir à trois reprises la frontière en un mois alors qu’il se rendait à Kitagoma, poste frontalier, pour ses affaires. Selon lui, les militaires ougandais préfèrent emprunter des pistes secondaires pour se soustraire à la vigilance des habitants des grands postes frontaliers que sont Bunagana et Ishasha. “Le Swahili qu'ils parlent, c'est un Swahili de l'Ouganda, ils parlent également le Kiganda et l'Anglais”, explique encore ce commerçant. “Leurs armes n'ont pas de chargeurs comme les nôtres. Elles ont une place spécifique pour leur chargeur et un stick de bois devant le tenir. Nous nous rendons régulièrement en Ouganda et nous connaissons leurs armes”, insiste-t-il. Un habitant d’Ishasha assure pour sa part que “les pistes empruntées par les militaires ougandais sont situées entre Bunagana et Ishasha, notamment Kitagoma, Rugarama, Kasave”. Il dit les reconnaître à cause de leurs uniformes. Des témoins à Rutshuru et à Kiwanja affirment aussi avoir vu quelques groupes de rebelles avec des uniformes ougandais. 

“Pendant les combats, on n’a pas le temps de capturer les images de leurs véhicules, mais pour la plupart, ce sont des jeeps et des camions des armées rwandaise et ougandaise”, assure Jules Mulumba, porte-parole du groupe armé CMC et communicateur de la plateforme des résistants pour la défense de la patrie, une coalition mai mai qui se bat contre le M23 dans le territoire de Rutshuru. “Côté ougandais, ils coupent l’électricité quand il y a des incursions clandestines la nuit. Les militaires de l’UPDF prétendent toujours aux FARDC que c’était le moment de la relève et que c’est pour ça qu’ils ne voient pas les colonnes passer. Parfois, ce sont des UPDF, parfois des RDF, mais ils passent souvent par la frontière ougandaise”. Selon lui, c’était d’autant plus facile d’infiltrer des troupes rwandaises en Ouganda qu’à l’époque de la prise de Bunagana, les deux armées effectuaient officiellement sur le sol ougandais des exercices pour le compte de l’EAC. Selon un communiqué du ministère rwandais de la défense, 150 militaires et policiers rwandais ont, en effet, été envoyés en Ouganda entre le 27 mai et le 16 juin 2022. Bunagana était tombée le 13 juin entre les mains du nouveau M23. 

Le Rwanda envoie des troupes pour participer à l'exercice militaire de l'Eac en Ouganda

Pour le député du Nord-Kivu, Juvénal Munubo, “les déclarations à l’emporte-pièce du fils de Museveni”, Muhoozi Kainerugaba, “ce n’est pas à négliger”. “C’est un indice à verser au dossier” d’une possible complicité de l’Ouganda”, insiste-t-il.

Le 20 novembre 2022, Muhoozi Kainerugaba a, dans un tweet, affiché sa sympathie envers le groupe rebelle. Il réagissait à l’annonce que son  “grand frère bien-aimé, S.E. Uhuru Kenyatta, et mon oncle, S.E. Paul Kagame”, allaient conjointement demander au M23 de se retirer des territoires récemment capturés. Mais il ajoute deux heures plus tard que "personne ne devrait se moquer de nos frères du M23” et qu’ils sont “des partenaires sérieux pour la paix en RDC." 

Pour Juvénal Munubo, les autorités congolaises devraient éclaircir ses allégations à l’égard de l’Ouganda alors que Kampala dit se préparer à envoyer au Congo 1000 militaires au sein de la force de l’EAC. “Notre président, Christophe Mboso parle lui ouvertement d’un soutien de l’Ouganda, c’est le seul officiel congolais”, explique ce membre de la commission défense à l’Assemblée. “Donc des informations doivent être transmises à un certain niveau. Mais on déplore que la commission défense ne soit pas mieux informée par le gouvernement de ses découvertes”.

Les autorités rwandaises et ougandaises n’ont pas donné suite aux questions d’ACTUALITE.CD. Mais pour le M23, on ne peut pas parler d’un soutien extérieur. « Nous ne sommes soutenus par aucune armée. Vous ne connaissez pas l'UPDF et RDF, ces deux armées réunies si elles veulent faire la guerre avec un pays comme le Congo, en 3 jours, elles peuvent déjà arriver à Kisangani », affirme Willy Ngoma, porte-parole militaire du M23.

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RDC: Qui sont les soutiens locaux du nouveau M23? (Lien actif à 13H00)

Un dossier de Claude Sengenya et Sonia Rolley