RDC- dépigmentation de la peau: "Je pense qu’il va falloir déconstruire le modèle social" (Jean-Lumbala, psychologue)

Photo/ Actualité.cd
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Des marchés aux maisons spécialisées dans le traitement de la peau, les produits éclaircissants sont vendus à des prix très variés à Kinshasa.  Certains artistes comédiens, musiciens, créateurs de contenu sur les réseaux sociaux n'hésitent pas à en faire usage. Qu’est-ce qui serait à la base de ce phénomène? Comment y mettre fin ? Le psychologue Jean-Lumbala et le sociologue Gauthier Musenge ont donné leurs points de vue. 


Dr.Gauthier Musenge estime que le problème s’explique à deux niveaux. Une tendance développée par la société et un complexe lié à la race. 


« Nous sommes dans une société où la femme est valorisée par le mariage (sur le plan culturel). Une femme qui est aimée par un homme, qui est mariée se sent épanouie. Cela est suffisant pour qu'elle soit réellement intégrée dans la société par rapport à une femme célibataire et sans engagement (…). Les femmes ont constaté que les hommes sont plus attirés par les femmes au teint clair. C’est ainsi que la plupart se font brunir la peau pour devenir attirantes. Les femmes brunes se croient belles, et la plupart estiment que pour être belle, il faut absolument être brunes », explique-t-il avant d’évoquer un morceau de Zaiko Langa Langa, "Oyo ateli té akolia Bonne année Té". 


Pour lui, la "Bonne année" renvoie à la fête, au bien-être. Mais il y a une condition pour profiter de cette fête, c’est de brunir la peau. 


Et d’ajouter, « Cela s’explique aussi par le complexe de l’homme noir vis-à-vis de l’homme blanc. L’homme noir croit que l’homme blanc est le modèle de perfection et il veut éclaircir sa peau pour imiter la perfection. Ce qui est totalement faux ». 


Une variété des produits


Si les lotions, les crèmes et autres tubes étaient les plus vendues à Kinshasa, d’autres formats voient le jour. Notamment, les injections et les gélules. Pour Gautier Musenge, rien n’est nouveau sous ce soleil. Les marques peuvent varier mais pas le contenu. 


« Ce phénomène existe depuis de nombreuses années. Les mêmes formats, savons, tubes, pommades, injections, gélules, lotions, crèmes. Déjà vers les années 70, les jeunes faisaient recours à ces produits. Au fil des ans, les maisons de fabrication et les marques varient, mais les formats restent les mêmes. Nous avons connu Mekako, Jaribu, Ambi et il y a d’autres produits aujourd’hui qui deviennent de plus en plus disponibles », a-t-il soutenu. 

Déconstruire le modèle social, prendre des mesures


Que faire pour mettre fin à la dépigmentation de la peau ? Les deux experts proposent des pistes. 


« Je pense qu’il va falloir déconstruire le modèle social. Quand la tendance de la société va changer, il y aura des impacts. En Afrique par exemple, les femmes fortes sont bien intégrées alors qu’en Europe il faut être mince. C’est-à-dire que tant que l’on sera gros en Europe, on se sentira mal même si l’on suit un traitement psychothérapeutique pendant 5 ans parce que la société véhicule cette image de la femme. Cela s’applique également sur l’usage des produits », a fait savoir le psychologue. 


Au sociologue Gauthier Musenge de renchérir, « il y a bien une façon d’arrêter ce phénomène. Certains pays en occident ont interdit l’importation et la vente des produits éclaircissants pour la peau. Ceux qui veulent acheter ces produits se rendent en Afrique. Si les Etats africains décident d’interdire la fabrication, l’importation et la vente de ces produits sur leurs territoires, la consommation deviendra très difficile. Et cela va encourager les jeunes à préserver leur peau des impacts de la dépigmentation. Ces produits neutralisent la mélanine et la peau devient vulnérable », a-t-il conclu. 


Pour rappel, Gauthier Musenge est professeur à l’Université catholique du Congo (UCC). Le psychologue et sexologue Jean Lumbala travaille depuis une quinzaine d’années entre la Belgique et la RDC au sein de l’hôpital Médecins des Nuits à Kinshasa.

Prisca Lokale