Appels d'offre de 16 blocs pétroliers: une décision irrationnelle et insensible (Opinion)

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La République Démocratique du Congo (RDC) abrite une des plus importantes forêts tropicales au monde, couvrant la moitié de sa superficie totale. Considérée comme le deuxième poumon vert de la planète après la forêt amazonienne, cette riche forêt d'écosystèmes, de faune et de flore incomparable est aujourd’hui menacée par l’attribution des licences d'exploration pétrolière par Kinshasa à travers le ministère des hydrocarbures. Rien qu’en 2020, la RDC a perdu 1,31 million d’hectares de forêt naturelle d’après les données du Global Forest Watch. 

Ce géant d’Afrique centrale regorge aussi d’importantes concentrations d’hydrocarbures dans ses sols, et a récemment lancé un appel d’offres international portant sur l’exploitation de 16 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers en vue de développer ce secteur:  le Bassin côtier (3 blocs), la Cuvette centrale (9 blocs) et le Graben Tanganyika (4 blocs), menaçant ainsi entre autre des parcs nationaux comme celui de la Salonga et des Virunga et autres Aires Protégées destiné à la conservation de la nature. Cela fait résonance à la volonté du gouvernement exprimée par le ministre des hydrocarbures d'augmenter la capacité de production par dix, de 22.000 barils jour aujourd’hui à au moins 200.000 barils jour.

Ces investissements dans les hydrocarbures, perçus comme une aubaine économique par les autorités congolaises, sont non seulement nocifs à l’environnement, mais aussi à l'origine d’impacts considérables sur les communautés locales et populations autochtones, notamment en termes de maladies respiratoires, de déplacements massifs, d'expropriations et de perturbation de leurs activités socio-économiques. Après avoir tiré d’énormes profits, les entreprises pétrolières laissent derrière elles des sites dénudés, appauvris et pollués, au grand dam des populations riveraines qui ne jouissent pas du tout de la manne pétrolière.

Rapports scientifiques alarmants qui restent ignorés…

Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) indique que les températures ont, de manière générale, augmenté de 1,1°C depuis le début de l’ère industrielle craignant que le seuil critique de 1,5°C de l’accord de Paris, soit déjà atteint d’ici 2030. Les concentrations dans l’air de méthane et de dioxyde de carbone émis par la combustion de combustibles fossiles, sont les premières causes du réchauffement climatique selon les conclusions de ce rapport. Malgré l’urgente nécessité de changer de système énergétique, et les risques environnementaux et sociaux énormes que représente l’extraction de pétrole et de gaz, des projets d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazière dits ‘de développement’ continuent à émerger un peu partout dans le monde, alimentés par la crise énergétique consécutive à la guerre russo-ukrainienne. 

Déjà confronté à de sérieux défis sociaux et environnementaux, le gouvernement semble décidé à se lancer dans l’exploration pétrolière et gazière. Un choix non seulement irrationnel mais aussi insensible envers les personnes et leurs conditions de vie, les écosystèmes et le climat. Les activités d'exploration de pétrole ne feront qu’aggraver les impacts de la crise climatique sur les aires protégées ainsi que les communautés riveraines dont les moyens de subsistance dépendent des ressources et activités de ces parcs. Selon le rapport publié en 2013 par le cabinet Dalberg Global Development Advisors, les investissements dans la production d’énergie renouvelable, la pêche et l’écotourisme pourraient générer 1,1 milliard de dollars par an, et créer 45.000 emplois permanents à l’Etat congolais. En 2020, le Parc National des Virunga (PNVi) a généré plus de 81 millions USD grâce aux activités de tourisme, d'électricité et d’agriculture selon le bilan présenté au 4ème Forum sur l’alliance Virunga

Quid du leadership climatique de la RDC?

Le gouvernement congolais est un allié des citoyens et doit agir dans l'intérêt de ses populations en les protégeant et en créant des opportunités qui sont favorables aux moyens de subsistance des communautés et qui protègent les ressources naturelles de la région plutôt que de favoriser les intérêts des sociétés titulaires de permis d'exploration. La RDC doit poursuivre sans relâche ces effets de réduction de gaz à effet de serre prévus à l'horizon 2030 dans les contributions nationales. D’autant plus que le pays co-organisera avec l’Egypte la prochaine conférence des parties sur le changement climatique (COP27), il doit donner de bons exemples dans la lutte contre la crise climatique. Dans ce cadre, les solutions telles que l'accès à une énergie propre et les engagements en matière d'atténuation des changements climatiques doivent guider les efforts visant à développer des sources d'énergie renouvelables. 

Nous appelons le gouvernement à respecter et mettre en application les lois de la République et les conventions internationales sur la protection de l'environnement et les droits des communautés. Ceci passe par la priorisation des investissements dans les énergies renouvelables et dans l'accès aux services de base, la promotion des  activités économiques alternatives dans les aires protégées qui favorisent le développement durable des économies locales tout en garantissant que le pays génère des revenus indispensables.”

Auteurs

Christian Hounkannou, Organisateur Régional, 350Africa.org 

Bantu Lukambo, Directeur de IDPE (Innovation pour le Développement et la Protection de l'Environnement)