Il existe plusieurs associations à Kinshasa qui sensibilisent autour de la drépanocytose. Cette semaine, le desk femme d'Actualité.cd est allé à la rencontre de Keyt Ngwanza et Merlyne Matondo qui ont chacune monté une ONG pour renforcer la lutte contre cette maladie. Offrir des soins holistiques, mener des campagnes de sensibilisation au test d’électrophorèse ou encore favoriser l’intégration sociale des malades. Leur combat a été déclenché par le même évènement: la perte d’un membre de famille.
« Tout a commencé en janvier 2015 quand j'ai perdu mon frère David Ngwanza. Il avait à peine 10 ans, il était drépanocytaire. Animée d'un sentiment de révolte, je me suis posé énormément de question, notamment sur l'existence de cette maladie qui nous arrache des êtres chères,» confie Keyt Ngwanza.
Merlyne Matondo se souvient des souffrances de son oncle paternel, décédé à 35 ans. « Je voyais toutes ses peines, comment les membres inférieurs et supérieurs de son corps se déformaient, les douleurs qu’il ressentait. Il a pu obtenir un diplôme de graduat en économie mais il est décédé à 35 ans. J’étais aux petits soins à ses côtés. A l'époque, nous n’avions pas une connaissance claire de cette maladie dans la famille. La drépanocytose semblait avoir des origines occultes », dit-elle.
Avec une prévalence estimée à 2 % chez les nouveau-nés, la République Démocratique du Congo occupe la troisième place au monde et est le deuxième pays d’Afrique le plus impacté par la maladie (après l’Inde et le Nigéria). Les estimations font état de près de 50 000 naissances avec la drépanocytose dont près de la moitié décèdent avant 5 ans selon un article publié en 2020 sur le Plan national de lutte contre la Drépanocytose en RDC.
Merlyne Matondo a fait la médecine et s’est spécialisée dans la dentisterie. Mais une formation interuniversitaire en drépanocytose, lui permettra de devenir une experte drépanologue. « Il existe un protocole des soins établi par l’OMS et le Programme National de la lutte contre la drépanocytose (PNLD) mais il n’est pas appliqué à la lettre au niveau des instances sanitaires par défaut des moyens », explique la jeune femme.
En 2018, Keyt Ngwanza participe au concours « Miss Francophone Afrique ». Elle présente son projet la Voix des drépanos, une association sans but lucratif. Ce qui lui permet d’être élue en tant qu’ambassadrice.
« Nos principaux objectifs consistent à proposer des méthodes pouvant réduire le taux de naissances des enfants présentant la forme homozyte SS, favoriser l’intégration des drépanocytaires au sein de la société et mener des campagnes de sensibilisation sur la prévention de la drépanocytose », dit-elle.
Plus de 60 enfants pris en compte
Après deux ans de descentes dans les hôpitaux et orphelinats traitant de la drépanocytose, Merlyne Matondo a mis en place DrépaCoeur. 15 enfants y sont pris en charge de façon particulière.
« C’est en 2020 que l’Etat congolais a reconnu juridiquement DrepaCoeur. Nous voulons améliorer la prise en charge médicale et apporter un support socio-culturel aux enfants drépanocytaires issus des familles démunies, souvent dans les communes reculées de Kinshasa. Nous avons 15 drépanocytaires âgés de 3 à 17 ans. Ils ne sont pas tous scolarisés. Il faut un programme personnalisé pour les enfants drépanocytaires. Ils font souvent l'objet d'hospitalisations, des crises vaso-occlusives, des complications telles que des thromboses », plaide-t-elle.
A Keyt Ngwanza d’ajouter, « Nous prenons en charge plus de 50 drépanocytaires actuellement. Nous organisons des activités récréatives et des séances de sensibilisation ».
Une génération sans drépanocytose et une prise en charge multidisciplinaire pour les malades
Keyt Ngwanza espère une génération sans drépanocytose en RDC. Mais cela passe par une prise de conscience du danger et de la soumission au test d’électrophorèse.
« La plus grande difficulté dans cette lutte est liée à la communication avec les personnes saines. La plupart d’entr’elles restent sceptiques en ce qui concerne la drépanocytose. 25% des congolais portent des gènes drépanocytaires (AS) et cela devrait nous alerter tous. Une telle génération est possible si seulement chaque jeune accepte de se soumettre à un test d’électrophorèse qui permet de connaitre le statut hémoglobinique », a affirmé Keyt Ngwanza.
Merlyne Matondo décrit le niveau de prise en charge holistique que nécessite cette maladie. « La drépanocytose est une maladie très complexe et demande une prise en charge multidisciplinaire (les médicaments, les soins infirmiers, la nutrition les neurologues, les traumatologues, les psychologues, les hématologues etc. ) . Il existe toujours des points de démarcation entre deux drépanocytaires de même âge. Leurs crises ne se ressemblent pas, en conséquence, la prise en charge aussi diffère. Il faut un protocole adapté à chaque cas », précise-t-elle.
Par ailleurs, le plus grand projet de DrepaCoeur consiste démystifier cette maladie et bâtir un centre spécialisé dans la prise en charge des crises de la drépanocytose. La Voix des Drépanos plaide aussi pour un accompagnement de l’Etat congolais et des organisations internationales dans la prise en charge des cas tel que cela est fait pour les personnes vivant avec le VIH/SIDA.
Keyt Ngwanza est détentrice d’un diplôme de licence en économie monétaire de l’Université Protestante du Congo (UPC) 2021. Merlyne Matondo est diplômée en Science bucco-dentaire de l’Unikin depuis 2017.
Prisca Lokale