Des nouvelles mesures contre la propagation de la Covid-19 aux cas de viols rapportés par OCCHA parmi les familles victimes de l'éruption du Nyiragongo, en passant par l'affaire "jeeps des parlementaires",... la semaine qui s'achève a été très mouvementée. Décryptage avec Léonie Kandolo, activiste sociale et experte en bonne gouvernance.
Bonjour Madame Léonie Kandolo et merci d'avoir accepté de nous accorder de votre temps. Là semaine a été marquée par les nouvelles décisions des autorités de la ville de Kinshasa par rapport à la Covid-19. Notamment, les amandes à payer pour le port des masques, l'organisation des funérailles et autres. Comment avez-vous accueilli ces décisions ?
Léonie Kandolo : Bonjour Desk Femme. Par rapport aux décisions qui ont été prises dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, je pense qu'il était important de faire respecter les gestes barrières, le port des masques. Je pense qu'il était aussi important de faire de la sensibilisation dans les cités pour expliquer aux populations le bien fondé du respect des mesures barrières et du port des masques. C'est bien d'instaurer les amandes, mais il faudrait aussi savoir qu'elles sont très élevées parce que 10.000 FC équivalent à 5$. Et donc, la plupart des gens ne pourront même pas être en mesure de payer ces amandes. Aussi, les Kinois recevront-ils une quittance après payement de ces amandes, à quoi va servir cet argent ? Il faudrait penser à la traçabilité de ces amandes. En bref, il était important de voir le niveau de vie de la population et imposer une amande qu'elle sera en mesure de payer. Une personne qui n'a pas 10.000 FC va forcément négocier avec le policier qui l'interpelle, peut-être qu'elle en payera 2.000 enfin de compte, l'État est lésé parce que la personne commet plutôt un acte de corruption et le policier un corrupteur.
La limitation du nombre des passagers à bord des bus, des taxis et des motos a entraîné l'augmentation des prix des courses par les propriétaires des ces moyens de transport, une réalité vécue en mars 2020 lors de l'annonce d'un probable confinement de la ville. Selon vous, comment les autorités pouvaient-elles empêcher une telle scène à se répéter ?
Léonie Kandolo : Je pense qu'il faut d'abord réfléchir avant de lancer des telles mesures. Les taxis-bus, les motos-taxis, ont des versements à faire en fin de journée. À partir du moment où l'on réduit le nombre des passagers, ils sont pénalisés et la population également, étant donné que le montant de la course va devoir augmenter. Deuxième, il faudrait se demander si toute la population kinoise aura la possibilité de se trouver un transport. Une grande partie de la population vient du district de la Tshangu, de toutes les communes périphériques pour se rendre en ville. Je pense encore une fois qu'il fallait, comme dans plusieurs autres pays, faire respecter le port des masques dans les transports en commun. Plutôt que d'apporter des solutions, ces mesures ont créé du désordre, le couvre-feu n'a pas pu être respecté, ce qui a poussé les autorités à faire marche arrière. Une fois de plus, il faudrait adapter les décisions aux modes de vie et besoins des populations.
Tout comme le confinement de la ville reporté en 2020, la même décision de limitation du nombre des passagers à été revue par les autorités après des conséquences sur la population kinoise. Finalement, qu'est-ce qu'il faut pour une meilleure gestion de la pandémie à Kinshasa ?
Léonie Kandolo : Pour une meilleure gestion de la pandémie, il faut de la pédagogie au niveau des communes, des rues, des quartiers, il faut des massages à la télévision, au niveau de toutes les radios et autres médias, si l'on veut que le port du masque soit respecté. Montrer aux gens le réel danger de la troisième vague. Concernant la vaccination, j'ai reçu hier (25 juin), ma première dose d'Astrazeneca parce que je pense qu'il est important de se protéger, de protéger sa famille et sa communauté.
L'affaire des jeeps, un don du Chef de l'État aux élus nationaux ou un crédit de la Chambre basse du parlement estimé à plus 200.000.000 de dollars américains, a animé les débats sur les médias et les réseaux sociaux cette semaine. En ce moment où la réduction du train de vie des institutions est réclamée par la société civile, quelle attitude devraient adopter les bénéficiaires de ces jeeps selon vous ?
Léonie Kandolo : Le problème de ces jeeps est celui de la vision de ceux qui animent les institutions. Je me rappelle que le point 5 du communiqué fait par l'Assemblée nationale mentionne que les députés méritaient mieux que ces véhicules. Je m'interroge, si des personnes qui représentent une population aussi pauvre que les populations congolaises doivent se permettre un tel langage. À chaque législature, les députés ont toujours reçu des véhicules qu'ils ont payés. Est-ce ce que nous attendons d'eux ? Ils ont été élus pour légiférer en faveur du bien-être des populations. Or, nous voyons qu'en fin des comptes, les intérêts personnels (avantages, salaires élèvés) priment sur le bien-être des populations. Avec tous les besoins que les populations peuvent avoir, concernant le paiement des enseignants, la grève du personnel soignant, la réduction du train de vie des Institutions, est-ce que l'acquisition de ces jeeps rentre dans ce cadre.
Des cas d'accidents entraînant la mort des passagers ou des conducteurs sont enregistrés de plus en plus sur la RN1 entre Tshikapa et Matadi. Le plus récent a fait deux morts et un blessé grave à Kisantu. Selon vous, que devraient faire les autorités d'une part et les conducteurs d'autre part, pour lutter contre ces accidents ?
Léonie Kandolo : en RDC, nous devrions savoir que le code de la route n'est pas réellement respecté. Il est essentiel que tous les conducteurs (des camions, voitures, motos, taxis-bus) puissent avoir obtenu, dans les règles, leurs permis de conduire avec maîtrise du code de la route. En ce qui concerne les camions, il faudrait vérifier la surcharge tant en personne qu'en marchandise au niveau des péages. Il faut sanctionner les camions surchargés, le non-respect du code de la route, aussi bien sur les routes nationales que sur les autres. La police a un très grand rôle à jouer. Nous l'avons réalisé ces derniers jours à Kinshasa. Les éléments de la police ont été mis en action. Il faudrait qu'ils soient également déployés sur les routes nationales pour que nous ne connaissions plus ces drames.
La RDC est depuis le 19 juin en pleine campagne Tolérance zéro immédiate contre les violences sexuelles et basées sur le genre. Pendant ce temps, une proposition de la mise en place du Fonds pour les survivant.e.s et des soins holistiques n'a pas encore été adoptée notamment par l'Assemblée nationale. Serait-ce une occasion de ramener le sujet sur la table ?
Léonie Kandolo : le lancement de la campagne Tolérance zéro immédiate est pour la RDC une bonne chose. Certains pays des Grands Lacs avaient déjà procédé au lancement, il y a quelques années en solidarité avec notre pays, au regard des atrocités qui s'y commettaient. En 2010, la RDC avait été qualifié de la capitale du viol, par Madame Margot Wallström, envoyée spéciale de l’ONU pour les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits. C'est à ce moment là que l'idée de lancer la campagne Tolérance zéro immédiate a été lancée. Et donc, le Fonds pour les survivant.e.s est très important pour les zones en conflits. Sanctionner est bien, mais si nous voulons une réconciliation, il faudra aussi dédommager ces femmes, ces jeunes filles, ces enfants et même certains hommes qui ont subi des violences pour qu'ils puissent se réinsérer dans la société. Ils ont pour la plupart été obligés à quitter leurs villages, ils sont discriminés (...) et pour pouvoir reconstruire leurs vies, ils ont besoin de le faire tant psychologiquement que matériellement et socialement.
Que faudrait-il faire concrètement pour faire cesser les violences sexuelles en RDC, sachant qu'elles ne concernent plus uniquement les zones en proie aux conflits armés ?
Léonie Kandolo : Quand on parle des violences sexuelles, on voit souvent en premier lieu les zones de conflits mais c'est aussi une réalité courante dans nos villes, nos cités et qu'elles ne sont pas très prises au sérieux. Il faudrait faire une meilleure vulgarisation autour des violences sexuelles et basées sur le genre, il ne faudrait pas que la personne victime se sente coupable, il faut sanctionner les auteurs des viols, mettre en place, au niveau de la police et des instances judiciaires des personnes spécialisées dans ce domaine pour savoir encadrer les victimes. Lutter contre les arrangements à l'amiable, les mariages précoces, en parler au niveau des écoles, insérer ce programme dans les cours d'éducation civique pour que les jeunes filles puissent se protéger et que les jeunes garçons comprennent que les femmes ne sont pas des objets.
OCCHA rapporte qu'au cours des 20 premiers jours qui ont suivi l’éruption du Volcan Nyiragongo, au moins 68 cas de Violences Basées sur le Genre (VBG) dont 81% sont des cas de viol ont été répertoriés dans les zones de santé de Karisimbi, Goma, Kirotshe et Nyiragongo. Que faire pour garantir la sécurité des femmes et des filles, sinistrées dans ces zones ?
Léonie Kandolo : Dans toutes les périodes où les personnes sont dans un état de vulnérabilité (les conflits, les dénuements dans les camps), toutes les formes de violences augmentent. Cela a aussi été observé lors du confinement dû à la Covid-19. Il faudrait donc éduquer les communautés parce qu'il se trouve qu'une catégorie de personnes profite de ces situations. Ces cas doivent être sanctionnés doublement.
Un dernier mot ?
Léonie Kandolo : Nous sommes dans une période de reconstruction de notre pays et de l'État de droit. Dans cette appropriation du mode de vie que nous voulons, nous devrions être très regardant dans tout ce qui se passe, sur les dépenses, la corruption, les VSBG, nous ne devons rien laisser passer. Tout doit être mis à nu et sanctionné, sachant que toutes les personnes qui ont eu une parcelle de pouvoir dans ce pays sont redevables devant la loi et doivent des comptes aux citoyens, qu'il s'agisse de l'exécutif, du législatif ou autre. Merci.
Propos recueillis par Prisca Lokale