Grève et manifestations au Nord-Kivu, adoption et création d'une commission parlementaire d'enquête, rencontre entre Bintou Keita et les députés nationaux, la semaine qui s'achève a été marquée par des actions et plaidoyers en faveur de la paix à l'Est du pays. Le Desk Femme d'Actualité.cd vous d'y revenir en détails avec Gisèle Kapinga, avocate au barreau de Kinshasa/Gombe, présidente de l'association des femmes avocates de la RDC (AFEAC) et membre du Réseau Rien Sans les Femmes (RSLF).
Bonjour Madame Gisèle Kapinga et merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. La semaine qui s’achève a débuté avec l’appel à une grève lancé par une dizaine d’associations dans le territoire de Butembo, Beni et Lubero pour exiger le départ de la Monusco accusée de passivité face aux massacres à grande échelle qui ponctue le quotidien des habitants. Selon vous, quelles stratégies devrait utiliser la Monusco pour rassurer les populations de ces villes?
Gisèle Kapinga : je pense que nous devons faire la part des choses. L'une des missions de la Monusco consiste à assurer la protection des civils. Elle vient en appui à un devoir de l'État congolais. C'est ce dernier qui définit la politique de défense et conduit les opérations militaires. Ce qui se passe à l'Est est cruel. Des personnes sont tuées tous les jours. Nos compatriotes qui habitent dans ces villes devraient interpeller les autorités. La situation de l'Est ne concerne pas uniquement les habitants de cette région mais toute la population congolaise. Nous devons tous nous unir pour que cessent les massacres dans cette région. Il y a un tas d'accusations qui pèsent contre la Monusco et nous avons des services des renseignements. Ils devraient lancer des enquêtes pour savoir si les allégations portées contre elle sont vraies ou fausses.
Mercredi 7 avril, l’Assemblée nationale a adopté la résolution créant la commission parlementaire chargé d'enquêter sur la situation sécuritaire dans 8 provinces du pays (Ituri, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema, Haut-Uele, Bas-Uele, Haut-Katanga et Haut-Lomami). Quelles sont vos attentes par rapport à cette commission ? Avez-vous des recommandations ?
Gisèle Kapinga : je salue la création de cette commission. Elle tombe au moment opportun. Une commission d'enquête parlementaire a généralement pour mission de recueillir les informations sur une situation donnée et dans ce cas précis, des informations sur les massacres perpétrés à l'Est et soumettre les résultats à l'Assemblée nationale. J'attends d'elle de bien accomplir sa mission. Je pense surtout à la protection des personnes ressources ( les témoins) parce que souvent, les assassinats succèdent au travail d'une commission d'enquête. Que cette commission ne dévoile pas leurs identités. En termes des recommandations, qu'à l'issue des enquêtes et lorsque les conclusions seront présentées à l'Assemblée nationale, que toutes les personnes impliquées de près ou de loin aux massacres soient déférées devant la justice. En tant que mouvement de femme, nous soutenons la mise en place du Tribunal pénal international pour la RDC. Nous pensons que si les massacres continuent, c'est parce qu'il y a impunité.
Jeudi, Bintou Keita a également rencontré les députés du Nord-Kivu à Kinshasa pour la situation sécuritaire au Nord-Kivu. Ils ont obtenu des assurances de la part de Mme Keita notamment en ce qui concerne le renforcement des troupes de la brigade d’intervention à Beni. Il y a aussi la question des moyens techniques et financiers à doter aux FARDC. Les députés se sont engagés à s’impliquer mais, que devrait faire concrètement l’Etat Congolais ?
Gisèle Kapinga : je salue la rencontre entre les députés du Nord-Kivu et le numéro 1 de la Monusco à Kinshasa. Le dialogue devrait être permanent. Pour les FARDC, je pense que les réformes sont très utiles pour le domaine de la sécurité en RDC. C'est au cours de ces réformes que l'on peut déceler des failles, évaluer, remodeler et relancer les actions. Les réformes vont permettre de mettre aussi en place un programme de renforcement des capacités de nos militaires et un appui en logistique.
A l’Assemblée provinciale de Kinshasa, la pétition contre Godé Mpoyi n’a pas réussi. Pendant ce temps, le gouverneur Maweja au Kasaï Oriental aussi ne veut pas se soumettre à la motion lancée contre lui, qui a pourtant réussie. Selon vous, qu’est-ce qui motive ces pétitions et ces motions ?
Gisèle Kapinga : je ne sais pas dire exactement ce qui motive ces motions et ces pétitions, j'en ignore les motivations. Cependant, la loi congolaise assigne des missions aux assemblées. Notamment le contrôle du gouvernement provincial, des services locaux, et lui donne également le pouvoir de mettre en cause la responsabilité du gouvernement provincial ou d'un de ses membres par une motion de censure ou de défiance. Si toutes ces procédures le sont conformément à la constitution et aux règlements intérieurs des différentes assemblées provinciales, c'est normal. Si elles sont par contre faites en violation de la loi, les victimes ont le droit d'introduire des recours.
Au cours de la célébration du centenaire Kimbanguiste, le Chef de l'Etat a sollicité des présidents des deux chambres du Parlement, de prendre des dispositions afin d’ériger la journée du 6 avril en jour « férié et chômé ». Que pensez-vous de cette recommandation du chef de l'Etat ?
Gisèle Kapinga : le vœux du Chef de l'État reste encore un souhait. La parole du président de la République n'a pas force de loi. C'est aux élus nationaux de pouvoir étudier cela et en décider par le vote. Simon Kimbangu est un personnage historique dans la religion en RDC.
Cela va faire deux mois depuis que Sama Lukonde a été nommé premier ministre et l’annonce de son gouvernement d’environ 40 personnes et 30 % de femmes. Qu’est-ce qui bloque la sortie dudit gouvernement selon vous ? Quel impact sur le pays ?
Gisèle Kapinga : parmi les raisons qui bloquent la sortie du gouvernement Sama Lukonde, il y a notamment la question de la représentativité des femmes. Ce n'est qu'un prétexte. Je lance un appel aux partis politiques, présentez les noms des femmes qui luttent dans vos partis et non les membres de vos familles. Les parties prenantes devraient penser aux impacts économiques de cette attente et proposer le plus rapidement possible, un gouvernement.
Corneille Nangaa a présenté son rapport sur la gestion de la CENI et le processus électoral. Il a notamment fait savoir que les « élections peuvent être organisées en 2023 avec ou sans réformes électorales ». Partagez-vous cet avis ?
Gisèle Kapinga : les élections sans réformes électorales, c'est de la pire démagogie. Nous parlons d'un État des droits, cela consiste au respect des textes. Et actuellement, la CENI doit absolument passer par les réformes pour avoir des élections crédibles et apaisées. Je propose et je pense que de nombreuses personnes pensent comme moi que le retour aux scrutins présidentiels à deux tours est utile, la suppression du système de seuil qui a favorisé les uns au détriment des autres et la plupart des candidats avaient du mal à comprendre cette matière. Il y a également la dépolitisation de la CENI qui doit être prise en compte. La problématique des suppléants au sein du parlement, que la loi électorale intègre l'obligation du quota de la femme dans les liste des partis politiques, dans l'administration publique, le recensement de la population. Il faut nécessairement des réformes avant les élections.
Si vous étiez en mesure de présenter une feuille de route pour mettre fin au problème d'impunité et d'insécurité en RDC, quels en seraient les trois points primordiaux?
Gisèle Kapinga : la réforme du secteur de la sécurité, l'installation d'un tribunal international pour la RDC, que les conclusions de la commission d'enquête soient prises en considération, et l'intensification de la diplomatie avec les pays voisins de la RDC. Dans la recherche de la paix à l'Est, on ne devrait pas uniquement condamner les pays voisins mais aussi collaborer avec eux.
Propos recueillis par Prisca Lokale