RDC : « je devais déployer mes ailes, affirmer mon identité personnelle », le parcours de Joelle Kona (avocate)

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Ancienne étudiante de l’Université protestante au Congo (UPC), Joëlle Kona est depuis 2009, avocate, membre du cabinet Matadi Wamba. Relation, communication, sérieux dans le travail et affirmation de soi, tels sont les éléments qui lui ont permis de se faire une carrière dans ce secteur. 


Fille du Bâtonnier national, Joëlle Kona  a pourtant connu des débuts difficiles, marqué notamment par une crise d'identité. «Je suis fille d'un avocat de renom, c'est donc lui qui représente actuellement l'ordre des avocats de toute la République. Lorsque j'ai commencé ma carrière, les gens m'identifiaient directement à mon père. J'avais un problème de nom. Dès que je prenais la parole, ils évaluaient la pertinence de mes interventions par rapport à lui, mes arguments, mon niveau et parfois me mettaient en comparaison avec des aînés (...) Ce n'était pas évident de s’adapter, se faire une place, affirmer son identité. Cela a vraiment mis du temps et devenait un lourd fardeau », se rappelle-t-elle, après 12 années de service. Cependant, avec plus d'assurance elle ajoute « Je devais déployer mes ailes, trouver mon style propre et mon écriture, je voulais affirmer mon identité en même temps, sous le coaching de mon père.» 


Une carence de rôle modèle féminin


Après ses études, Joëlle Kona va travailler avec Geneviève Decamps, à la tête d'un cabinet composé essentiellement de femmes. C'est là qu'elle acquiert les compétences organisationnelles et une culture de travail. En 2009, lorsqu’elle prête serment officiellement et intègre le cabinet Matadi Wamba, Joelle Kona rencontre un autre défi. Il n'y a pas suffisamment de femmes dans ce secteur. « Je pense que l’on représentait le 1/5 -ème de l’effectif total. Ces femmes ne s'affirmaient pas comme tel, je ne me retrouvais pas. Il y avait pourtant des associations de femmes juristes aussi (...). Par la suite, j’ai vu cette évolution. Les femmes commençaient de plus en plus à intégrer ce secteur, à se soutenir, à prendre la parole, à gérer des grands cabinets. Aujourd’hui, le nombre de femmes ne cesse d’augmenter », confie-t-elle. 


« Les gens ont commencé à s’habituer à moi entant que Joëlle Kona »


Tout sourire, Maître Kona affirme avoir atteint son objectif, celui d’imposer son image. « J’ai pris une décision. Je venais avec ma formation, ma perception du droit. Il est vrai que j’avais eu des débuts difficiles, mais j’apprenais des choses, le jargon, les articles. J’ai développé ma propre façon de parler, de développer, de défendre, mon écriture, mon expression (parce qu’il faut un talent oratoire aussi), et j’ai commencé à imposer cela. Je voulais que les gens me découvrent personnellement. J’ai bâti Maître Joëlle Kona et je l’ai proposé au public.»
Et d’ajouter, le bilan positif que j'ai de ces 12 années de service, c'est que les gens se sont habitués à moi en tant que Joëlle Kona plutôt que Joelle, la fille du bâtonnier national Matadi Wamba. Se confier, confier leurs dossiers à ma modeste personne, me faire confiance, la collaboration avec les confrères et consœurs, je trouve que la persévérance paie et le travail est apprécié avec le temps. J’ai vraiment une expérience très positive de cette profession que j’aime beaucoup. " 


Des salaires décents pour une justice juste


Dans son bureau installé en plein centre-ville, équipé d'un climatiseur, d'une chaise, un tiroir,  une table de bureau et des rideaux, elle souhaite que tout juriste travaille dans des conditions un peu plus décentes. 
« Le métier d’avocat est un métier libéral. Nous travaillons tous dans un secteur privé. Nous nous organisons en cabinets d’avocats et nous proposons des prestations de services se rapportant au droit. Nous sommes rémunérés sur base des honoraires que nous paient nos clients », explique-t-elle.


Et de poursuivre, « Je pense que le service public en général en RDC est mal rémunéré, notamment parce que nous sommes dans un pays pauvre. Par rapport au travail que font nos magistrats, en comparaison à celui d’autres pays, les nôtres bénéficient d’un salaire de misère. Et ces choses occasionnent des cas de corruption. Les médecins, la police de circulation routière, les enseignants, les magistrats, toutes ces personnes accomplissent un travail noble pour l’Etat. Ils ont droit à une rémunération qui leur permette de vivre décemment. Quand ces conditions ne sont pas réunies, la conséquence, c’est la tentation à la déviation. Il y en a qui tiennent et d’autres plus nombreux qui tombent, » dit l’avocate. 


Aggraver la peine lorsque les cas de violences sexuelles concernent les mineur.e.s


Des cérémonies hautes en couleurs, des diplômes d'excellence, des reconnaissances au niveau national et international autour des violences faites aux femmes et filles sont organisées en RDC et sur la scène internationale. Pourtant ces cas ne cessent d'augmenter. 
"La majorité des cas de violences à l’égard des femmes ne sont pas portés devant la justice. Tantôt, les femmes sont appelées à céder aux arrangements à l’amiable, elles ne bénéficient pas du soutien de leurs familles, elles sont invitées au pardon, (…) les gens ont encore du mal à comprendre que dès le moment où une personne n’est plus en mesure de se défendre toute seule, cela devient un danger," déplore Joëlle Kona. 
En ce qui concerne les violences sexuelles impliquant les mineurs, elle propose de rendre la sanction plus sévère. « Les institutions nationales et internationales doivent s’impliquer. Il faut par exemple aggraver la peine lorsque ces cas impliquent les enfants. C’est notamment pour cette raison que la loi exclut la question de consentement lorsqu’il s’agit des mineurs. »


Des progrès significatifs dans l’appareil judiciaire


Bien qu'elle se réjouisse de la représentativité des femmes dans le secteur judiciaire congolais, Joëlle Kona signale la mise en place des tribunaux pour enfants, l’un des éléments qui permettent à la RDC de statuer sur la situation des personnes vulnérables.  
En termes de réformes à opérer dans le secteur judiciaire congolais, Joëlle Kona ajoute qu’il faudrait renforcer la justice en matière de médecine légale (la justice a un problème de preuves). Il y a des organes mais, il faut des moyens pour que ce secteur soit réellement opérationnel. Il faut également penser aux prisons, ainsi qu’à informatiser les données judiciaires. Elle souligne, « Ces objectifs peuvent être traités dans le temps et graduellement en touchant différents axes ».


Du relationnel à la bonne communication, ses astuces de travail


"Le relationnel, c’est ce qui fait que les gens viennent nous chercher. On ne peut pas faire de la publicité parce que la loi nous l’interdit mais grâce aux relations, on peut faire connaître ses réalisations et se faire consulter régulièrement. Le sérieux dans le travail, une réputation se construit étape par étape. La bonne communication, il faut savoir exprimer clairement sa pensée", a fait savoir Joelle Kona.
Une  des expériences  positives qu'elle garde de toutes ces années reste bien évidemment la défense des droits des femmes. Elle explique, "j’ai reçu de nombreux cas. Il m’est arrivé de traiter un cas et de recevoir des nouveaux cas recommandés. Les femmes ont commencé à avoir le courage de dénoncer des cas d'injustice et la justice aussi devient un appui considérable à la démocratie."


Joelle Kona est également présidente de la section RDC de l’Alliance internationale des femmes avocates, élue par les autres femmes membres de cette communauté. Elle arrive à son bureau à 8 heures sans savoir exactement à quelle heure quitter, lorsqu’il y a énormément de travail à faire. Elle est actuellement mère de deux enfants. Au sein du cabinet Matadi Wamba, elle a initié des nouvelles filières, telle que l'intégration des télécommunications. Parmi ses projets futurs, elle espère notamment intégrer le secteur politique congolais.

Prisca Lokale