RDC : immersion dans le quotidien d'une femme de droit (Magistrat) 

RDC : immersion dans le quotidien d'une femme de droit (Magistrat) 

Ikabu Bebia Mujinga est magistrate. Elle travaille depuis plus de 20 ans au parquet général de Kinshasa-Matete, situé sur le petit boulevard de la quatrième rue Limete Résidentiel. Entre perception de la femme dans le secteur judiciaire, gestion des dossiers et défis, le Desk Femme de Actualité.CD vous propose une plongée au coeur  de cette profession du point de vue féminin.

Dans une salle d'environ 3/6 mètres qu’elle partage avec ses deux autres collègues, les journées de Mme Ikabu commencent généralement à 09 heures.  Dans son bureau, des dizaines de fardes sont rangées sur la table, dans ses tiroirs et sur les étagères.


Tout le monde l’appelle IBM, des initiales de son nom. « Cela fait partie des usages dans les différents parquets », explique-t-elle. En effet, chaque magistrat est identifié sur base des lettres tirées de ses noms. Il peut s’agir de deux ou trois lettres. L’essentiel est de retrouver quelques lettres de son nom.


A 14h00, IBM prend sa première tasse de café. " C'est pour tenir jusqu'à au moins 20 heures ", rassure-t-elle, tout sourire. A peine  sa tasse entamée jusqu'à la moitié, que déjà, une nouvelle file indienne se dresse à l'entrée de son bureau. Des familles de plaignants, des avocats, des officiers militaires, et autres attendent d'être reçus. Entre-temps, elle ne peut avaler son déjeuner en présence d'une personne étrangère. " La bouche du magistrat est sacrée. On ne doit pas la voir mâcher ", souligne-t-elle.  

30 minutes plus tard, défilement et appels téléphoniques reprennent. Dossier X, il faut transférer au Procureur Général, Dossier Y, il faut imprimer, il faut instruire, porter des corrections à un autre, (…) C’est depuis  le 01 Juillet 1996 qu’elle travaille en tant que Magistrat.   

« Ma plus belle expérience, c’est d’être désignée à ce poste », s’exclame-t-elle, évoquant ses dures années de stage professionnel. Et d’ajouter, « La magistrature est certes une fonction publique, du fait de veiller au respect des textes de lois qui régissent notre pays. C’est surtout une grande responsabilité, il faut décider du sort de ses semblables, de leur liberté d’aller et venir et même de leur bien-être ».


Un métier à multiples exigences  


Pour Madame Ikabu, être « Magistrat » impose des normes à respecter. « Le premier est de bien réussir son cursus humanitaire et académique (il s’agit notamment des règles grammaticales, de l’orthographe des mots et autres). Le second est d’avoir la maîtrise de soi et des situations, mais aussi de la persévérance, la détermination, la patience ».

Et si l’on veut se démarquer des autres femmes évoluant dans le même secteur, il faut « répondre aux mêmes exigences que celles imposées aux hommes. Accepter de répondre par des compétences plutôt que le favoritisme », insiste-t-elle. 

La femme dans le secteur judiciaire, une guerre contre les pesanteurs culturelles


Sur les 4.000 magistrats que compte la RDC, les femmes représentent environ 20 % soit 700.  Qu’est ce qui explique cette sous-représentativité des femmes dans l’appareil judiciaire congolais ? Ikabu Bebia Mujinga évoque les pesanteurs culturelles. « Pendant longtemps, la société congolaise a considéré que les hautes fonctions, celles qui nécessitent un passage à l’université étaient des domaines uniquement réservés aux hommes. Les hautes études étaient l’apanage des hommes. Ainsi, la femme était orientée vers les travaux ménagers, les activités champêtres… C’est un mythe qui est en train de disparaître. Mais cela a eu des impacts considérables sur les compétences des femmes dans tous les secteurs de la vie en RDC et la justice n’a pas été épargnée ».

Prenant  par exemple le cas de la Cour Constitutionnelle, où Alphonsine Kalume Asengo Cheusi est la première et l’unique femme membre de cette cour, elle renchérit, « Est-ce que l’on a laissé aux femmes magistrates le choix de faire partie de cette équipe ? Non. Je pense que si tel était le cas, les femmes accepteraient de travailler dans la Cour Constitutionnelle. Cependant, on parle ici d’un choix opéré dans un environnement fortement dominé par les hommes. La femme est bien capable de faire au-delà de ce que l’on attend d’elle. Nous avons eu en RDC, une première femme élue Présidente de l’Assemblée Nationale, nous avons actuellement une femme membre de la Cour Constitutionnelle, avec le temps, nous allons également avoir une femme Chef d’Etat. La femme rencontre un milieu à prédominance masculine mais elle doit dépasser ces barrières et affirmer son leadership ».


Des pistes pour booster la représentativité des femmes et réformer le secteur de la justice


« Il faut une prise de conscience de la femme elle-même, en ce qui concerne ses capacités, ses compétences. Si les mentalités de reléguer la femme en second plan ont été entretenues pendant des années, il faut également du temps pour revaloriser cet être, » souligne IBM. 


Comme tous les domaines de la vie publique, Madame Ikabu estime que la justice a également subi l’influence de la politique. « Lorsque la politique est mal faite, on considère que même ceux qui évoluent dans la justice sont des menteurs », dit-elle. Pour y remédier, elle propose le respect de la séparation des pouvoirs, bien qu’actuellement, de manière générale, il y ait un vent nouveau pour l’indépendance de la justice.


Concilier son statut de femme de droit et femme au foyer 


Ikabu Bebia Mujinga, substitut du procureur général du parquet de Kinshasa-Matete, est également mère d’un garçon et de cinq filles. « Cela va faire 25 ans que je suis mariée. J'ai intégré la magistrature l'année de mon mariage. Ma toute dernière fille a 16 ans, l'aînée fait également des études de droit, la deuxième fait des études d’économie, la troisième va terminer son cycle de graduat en communication cette année, et les deux dernières sont écolières », confie-t-elle. 


La prière occupe une place de choix dans son foyer. Car, dit-elle, « tous les matins, nous nous réunissons en prière et échangeons avant de vaquer chacun à ses occupations ». Être femme de droit et tenir son foyer en ordre serait une chose facile, à condition d’être « organisé. Mais aussi d’avoir à ses côtés un homme capable de comprendre ce que sa partenaire vaut pour sa société et qui puisse s’adapter à cela ».

Ikabu Bebia Mujinga appelle les jeunes filles à profiter de la jeunesse pour mieux écrire l’histoire du Congo. « Le chemin a déjà commencé à être déblayé pour que vous puissiez devenir des véritables actrices de développement de la nation congolaise. Il faut saisir cette occasion et bâtir le Congo de demain. Vous êtes des personnes merveilleuses mais  il faut que tous ces atouts (au niveau intellectuel et physique) soient capitalisés pour un Congo meilleur ».

Prisca Lokale