La République Démocratique du Congo a célébré l’enseignement cette semaine. Une nouvelle occasion de réfléchir sur les conditions d'études et la paie des enseignants. Entre témoignages, propositions et sanctions, Actualite.cd vous fait découvrir les “points sexuellement transmissibles”, une des méthodes informelles de réussite dans les universités kinoises en dehors du "branchement" et de la tricherie.
Dans le milieu estudiantin congolais, on parle de "points sexuellement transmissibles" (PST) pour qualifier cette pratique qui consiste à octroyer des points à certains étudiants en majorité des filles en échange de certaines avances voire carrément de relation sexuelle. Devenue monnaie courante dans certaines universités, la rédaction femme d’Actualité.cd vous propose un focus sur cette pratique.
“Les enseignants vendent les points contre le sexe”
" Les PST deviennent une réalité pendant les délibérations. Les enseignants savent que c'est à ce moment que les étudiantes sont prêtes à tout pour passer de classe. C’est un moment propice pour régler leurs comptes avec les filles qui ont refusé leurs avances au courant de l’année. Ils leurs vendent les points par le sexe. J'en connais certains, je ne vais pas les citer(...) je ne veux pas être poursuivie. Mais, c'est une réalité par ici," explique Daniela, chef de promotion adjoint à l’Institut Pédagogique Nationale (UPN).
Gracia Ngambi a débuté ses études universitaires depuis 7 mois. Elle a déjà eu vent des PST. "J'ai appris que certaines étudiantes ont eu des difficultés dans un cours l'année dernière. Elles sont allées se plaindre auprès du chef de département qui a invité ce professeur à s’expliquer devant le recteur" révèle l’étudiante en première année de graduat gestion d'entreprises.
A l'Université Protestante au Congo et l’Université Catholique du Congo, les étudiantes ignorent cette réalité
Lina Mujinga est en deuxième licence en Droit Economique et Social de l'Université Protestante au Congo."C'est ma cinquième année dans cette université. Durant mon cursus, je n'ai jamais vécu cette réalité. Quand j'avais des échecs dans un cours, je faisais toujours une rétrospective et je réalisais que l'erreur venait de moi. A partir de ce moment là, je me remets au travail pour réussir en seconde session" affirme Mushiya.
"Je n'ai pas encore entendu parler des PST depuis que je suis à l'UCC. Mes sœurs ont également étudié ici mais elles n’ont jamais abordés ce sujet à la maison" explique Eunice Kasba, deuxième graduat en Économie et Développement.
Pour Venicia Sangamay, l’oeil attentif de l’église catholique empêche ce genre de pratique sur le campus . "Franchement, je n'ai pas encore entendu parler des PST à l'UCC. C'est peut-être parce que ça n'a jamais eu lieu. Peut-être aussi parce ça passe inaperçu ou alors que les gens craignent les catholiques, ils savent qu'ils sont un peu regardant dans ce domaine" souligne Venicia.
Les PST sont sanctionnés dans certains établissements
Dans une institution dont le responsable a requit l’anonymat, un professeur a été renvoyé. " Il y a dix ans, nous avons fait partir un professeur. Une étudiante est venue se plaindre, le professeur était une sommité mais, nous l'avons fait partir" révèle le responsable, qui lie cette décision à l'éthique de son établissement. "Nous sommes une institution d'enseignement supérieur universitaire confessionnel. Toutes les pratiques ayant attrait au harcèlement sexuel sont complètement interdites et prohibées parce qu'en dehors de la formation intellectuelle et scientifique, notre formation porte aussi sur l'éthique. S'il s'avère qu'un professeur attitré, un chef des travaux ou un assistant s'adonne à ces pratiques, ça ne se discute pas. C'est un monsieur qui n'a pas sa place ici " confirme l’autorité.
Néanmoins, il tient tout de même à apporter des précisions, "il peut arriver qu'une étudiante qui n'a pas bien travaillé veuille porter atteinte à la réputation d’un enseignant. Pour cela, nous exigeons toujours des preuves tangibles".
À l'UPN, Mireille Mokeli a été élue Déléguée départementale. C’est elle qui est chargée d’enregistrer les plaintes de son département "Je gère le département de la faculté de psychologie et sciences de l'éducation de G1 à L1. C'est à peu près 159 étudiants par auditoire. S'il arrive qu'une étudiante vienne se plaindre, à notre niveau, nous prenons ses coordonnées pour les transmettre auprès des autorités qui vont ensuite lancer des enquêtes. S’il y a des preuves, l'enseignant va surement être sanctionné. Mais, jusqu'ici, je n'ai pas encore enregistré un seul cas" dit Mireille Mokeli.
Pistes et solutions
Emmanuel Luyatu a été élu Porte-parole des étudiants congolais. Pour lui, une décision doit provenir du ministère de l'enseignement supérieur et universitaire (ESU) pour mobiliser toutes les institutions éducatives du pays sur ce phénomène. “ La question des points sexuellement transmissibles est un phénomène qui ruine la bonne qualité de l’enseignement au congo. On les retrouve dans presque toutes les universités du pays. Et comme d’habitude, les victimes sont celles qui se trouvent en position de faiblesse” dit-il avant d’ajouter “ Pour l’éradiquer, des mesures claires et précises doivent provenir du ministère de l’ESU. Une décision qui doit être précédé par un rapport des étudiants du Congo” dit-il.
Actions concrètes dans les universités
Pour lutter contre les points sexuellement transmissibles et les autres formes de harcèlement sexuel, l'association “Si Jeunesse Savait” travaille en collaboration avec certaines universités de Kinshasa. “ Nous recherchons les cas, nous organisons des réunions d'informations et de sensibilisation dans 3 universités partenaires ( IFASIC, ISC, et UPC) et aussi à l'ISP qui est une université de contrôle dans le cadre de notre projet” explique Richine Masengu, la coordonnatrice de cette association tout en poursuivant “ nous exhortons les victimes à dénoncer le harcèlement sexuel pour donner plus d’ampleur à ce phénomène. Aux académiques et administratifs nous leur demandons de s'engager dans cette lutte car le harcèlement sexuel terni l'image des universités et instituts supérieurs du pays. Ils ne sont pas l'abri des sanctions prévues par l'article 174 du code pénal de notre pays” conclut-t-elle.
Prisca Lokale