RDC : Le Prix Nobel Mukwege déplore la persistance des “massacres collectifs” des civils à Beni (Interview)

Le Prix Nobel Denis Mukwege en conférence de presse à Panzi

Dr Denis Mukwege a accordé, ce mardi 9 octobre 2018, une interview à ACTUALITE.CD. Ce gynécologue et responsable de l'hôpital de Panzi, consacré, vendredi dernier, Prix Nobel de la paix pour son engagement en faveur des femmes victimes des violences sexuelles, déplore l'insécurité grandissante dans l’Est du pays notamment la poursuite des tueries des civils à Beni. Il en appelle à la prise de conscience et à l’implication de tous pour trouver des solutions aux multiples problèmes congolais.

Comment vous sentez-vous en tant que Prix Nobel de la Paix ?

Je reste le docteur Mukwege que vous avez toujours connu.                                   

Prenez-vous cette récompense comme une responsabilité ou une interpellation ?

A partir du moment où ça intéresse le travail que nous faisons, je crois que ça interpelle. Ça nous interpelle de faire encore plus. C’est un espoir que toutes les victimes auront droit à une réparation méritée. Et que, nous tous, nous avons la responsabilité de leur donner cette réparation. Les gens s’interrogent sur des violences qui se commettent dans les conflits armés. Les corps des femmes deviennent des champs de bataille et que nous pouvons tous joindre nos forces pour tracer une ligne rouge pour que cela ne se passe plus. Parce que c’est une arme redoutable qui détruit une personne, qui détruit sa famille.

Considérez-vous votre travail comme une conséquence de la situation sécuritaire dans le pays ?

Pas du tout. Vous savez avant la guerre, j’étais le seul gynécologue obstétricien dans ma province alors que, ma vocation, c’était de lutter contre la mortalité maternelle, donc donner aux femmes la possibilité d’obtenir des soins obstétricaux de qualité. C’est pendant presque 15 ans que j’ai fait ce travail. Je me suis donné la joie de protéger la vie des femmes. Et après il y a eu la guerre qui a subitement commencé et qui a détruit ce rêve en créant une nouvelle pathologie. J’ai été au mauvais endroit et au mauvais moment. Alors j’étais obligé de prendre mes responsabilités pour traiter ces femmes. Je n’étais jamais formé pour ça, je n’y avais aussi jamais pensé de ma vie que je lutterais un jour contre ce fléau qu’on connaît actuellement en RDC.

Comment évaluez-vous la situation sécuritaire depuis la guerre jusqu’aujourd’hui ?

Il faut se référer à ce qui vient de se passer à Beni. Je crois que nous ne pouvons pas nous dire que la situation s’améliore parce que les massacres collectifs continuent. Il faut nous impliquer. Chaque Congolais doit s’interroger sur ce qu’il doit faire pour que ce Prix Nobel de la Paix, qui vient d’être octroyé à la RDC, puisse aider à ramener réellement la paix.

Et la responsabilité de cette insécurité revient à qui, selon vous ?

Vous, personnellement, qui doit assurer votre sécurité ? Ce sont les autorités de la République. Elles ont la responsabilité régalienne de protéger les Congolais et leurs biens. Ce que nous vivons, il ne faut pas les nommer autrement. Nous avons besoin de la paix.

Comment trouvez-vous la déclaration du gouvernement qui vous accuse d’instrumentaliser votre travail à des fins politiques ?

Je ne vais pas entrer dans ce débat. On ne peut pas rester dans des discussions stériles continuellement. Je crois qu’il faut prendre la mesure de la gravité des choses et se dire qu’est-ce que, moi, je fais pour endiguer le mal (Ndlr : des exactions qui sévissent dans l’Est du pays). Parce que si on continue à dire que j’instrumentalise, alors c’est comme si j’ai la capacité de tromper le monde entier sauf les Congolais qui voient les choses à leur façon.

Que pensez-vous de ceux qui ont beaucoup souhaité vous voir briguer un mandat en tant que président de la République ?

Etre candidat de la République ne va rien changer si les Congolais eux-mêmes ne s’impliquent pas ou ne prennent pas leur responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui. Les médias aussi doivent sensibiliser les gens à prendre conscience. Je suis médecin et je dois faire mon travail. Le gouvernement aussi doit faire son travail.

Interview réalisée par Stanys Bujakera Tshiamala