L’Actualité de la semaine vue par Jeanne Grâce Mabiala

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Jeanne Grâce Mabiala

De la révision du protocole d'accord pour les opérations conjointes contre les ADF dans l’est du pays par les FARDC et UPDF à la prolongation de la suspension temporaire de l’exportation du cobalt congolais en passant par la signature par l’UE des nouvelles conventions pour soutenir l’assainissement à Kinshasa et la formation professionnelle dans le Kasaï-Central; la semaine qui vient de s’achever a été riche en actualités. Retour sur chacun des faits marquants avec Jeanne Grâce Mabiala.

Bonjour Madame Jeanne Grâce Mabiala. Pouvez-vous nous parler de vos activités et votre parcours ?

Jeanne Grâce Mabiala : je suis ingénieur de formation en raffinage et pétrochimie et membre du parti politique "Mouvement Débout Congolais" (MDC)

L’ARECOMS a annoncé la prolongation de la suspension temporaire de l’exportation du cobalt pour trois mois supplémentaires. Comment jugez-vous cette mesure, notamment ses impacts sur l’économie locale, les artisans miniers et les revenus de l’État ?

Jeanne Grâce Mabiala: Cette décision, bien que stratégique sur le papier, est à double tranchant. Sur le fond, encadrer et structurer la filière du cobalt est une nécessité si nous voulons reprendre le contrôle de nos ressources. Toutefois, la prolongation de cette suspension a un impact direct sur les revenus des artisans miniers qui vivent au jour le jour. Cela fragilise également les recettes de l’État à court terme. Le risque est que cette mesure, sans accompagnement réel sur le terrain, aggrave la précarité des communautés minières tout en réduisant la compétitivité de notre pays sur le marché mondial.

Cette suspension vise officiellement à mieux encadrer la filière stratégique. Pensez-vous que cette démarche va réellement améliorer la transparence ou favoriser certains intérêts particuliers ?

Jeanne Grâce Mabiala: Je reste prudente. L’objectif affiché daméliorer la transparence est noble, mais dans le contexte congolais, nous avons trop souvent vu de belles intentions servir de couverture à des arrangements opaques. Si cette suspension n’est pas accompagnée d’un audit indépendant, d’un dialogue franc avec les acteurs du secteur artisanal et d’une traçabilité rigoureuse des flux de cobalt, elle risque de ne profiter qu’à une minorité bien connectée, au détriment de l’intérêt général.

FARDC et UPDF révisent actuellement leur protocole d'accord pour les opérations conjointes contre les ADF dans l’est du pays. Que pensez-vous de cette coopération militaire transfrontalière ?

Jeanne Grâce Mabiala: Face à des groupes armés transnationaux comme les ADF, une coopération militaire régionale est indispensable. Les FARDC seules ne peuvent pas contenir une menace aussi mobile et structurée. Toutefois, cette coopération doit être fondée sur un cadre juridique clair, respectueux de la souveraineté nationale et du droit international humanitaire. Une révision de ce protocole est une bonne chose si elle vise une efficacité accrue et une meilleure coordination des opérations sur le terrain.

Est-elle efficace ou suscite-t-elle des préoccupations en matière de souveraineté ?

Jeanne Grâce Mabiala: Elle est utile, mais elle soulève aussi de vraies préoccupations. Lorsque les troupes étrangères opèrent sur notre sol, il y a toujours un risque de dérive, d’abus ou d’ingérence. Il faut donc que les opérations conjointes soient strictement encadrées, évaluées de manière transparente, et que les Congolais soient informés des résultats. Il est inacceptable que notre population reste dans le flou sur des actions menées en son nom.

Le gouverneur de Kinshasa a annoncé un retour progressif des sinistrés dans leurs quartiers après les récentes inondations. Quelle est votre évaluation de la gestion de cette crise par les autorités ?

Jeanne Grâce Mabiala: La gestion a été réactive, mais pas proactive. On a vu des gestes de solidarité, des efforts pour reloger temporairement certaines familles, mais cela reste largement insuffisant. Il n’y a pas eu d’anticipation, ni de véritable plan d’évacuation. La communication était souvent confuse. Cela démontre une fois de plus que nous ne sommes pas préparés aux urgences climatiques dans nos villes.

Quelles mesures structurelles recommanderiez-vous pour prévenir à l’avenir de tels drames, surtout dans un contexte urbain fragile comme Kinshasa ?

Jeanne Grâce Mabiala: Il faut repenser totalement l’aménagement urbain. D’abord, interdire les constructions dans les zones inondables et réinstaller dignement les familles concernées. Ensuite, investir dans des infrastructures de drainage robustes, adaptées à l’augmentation des pluies due au changement climatique. Enfin, lancer une grande campagne de sensibilisation à l’environnement urbain, appuyée par des programmes d’assainissement de proximité. Cela demande de la volonté politique, mais surtout une planification à long terme, au-delà des mandats électoraux.

L’Union européenne a signé de nouvelles conventions de financement pour soutenir l’assainissement à Kinshasa et la formation professionnelle dans le Kasaï-Central. Quel regard portez-vous sur la pertinence de ces investissements par rapport aux besoins urgents de la population ?

Jeanne Grâce Mabiala: Ces initiatives répondent à des besoins fondamentaux : l’assainissement de Kinshasa est une urgence sanitaire et écologique, et la formation professionnelle au Kasaï-Central est essentielle pour offrir un avenir à notre jeunesse. Ces investissements sont donc pertinents, mais leur impact dépendra entièrement de leur exécution sur le terrain. Il ne faut pas que ces projets deviennent des vitrines de coopération, sans effets réels pour les populations ciblées.

Selon vous, quels mécanismes devraient être mis en place pour garantir que ces fonds soient utilisés de manière efficace et sans détournements ?

Jeanne Grâce Mabiala: Il faut impérativement instaurer une gouvernance tripartite des fonds : autorités nationales, partenaires techniques internationaux et société civile. La transparence budgétaire, l’audit régulier des dépenses et la publication des résultats doivent être non négociables. Un système de plainte citoyenne accessible, accompagné d’une plateforme numérique de suivi des projets, permettrait aussi d’impliquer la population et de réduire les risques de détournement.

Propos recueillis par Nancy Clémence Tshimueneka