RDC : décryptage du communiqué conjoint EAC-SADC (avec le Professeur Martin ZIAKWAU) 

Les Chefs d'Etat et de gouvernement de la SADC et de l'EAC
Les Chefs d'Etat et de gouvernement de la SADC et de l'EAC

La crise sécuritaire dans l’est de la République démocratique du Congo était au cœur du sommet conjoint SADC-EAC samedi dernier à Dar es Salam (Tanzanie). Les Chefs d’Etat de deux organisations sous-régionales ont salué la tenue de ces assises qui ont permis d'arrêter un certain nombre de résolutions censées apaiser la tension et instaurer la paix dans cette partie du pays où de violents combats entre l’armée et les rebelles du M23 ont aggravé la crise ces dernières semaines. Parmi les mesures prises, il y a le cessez-le-feu immédiat, l’ouverture immédiate de l’aéroport de Goma, la convocation dans les cinq jours suivants d’une réunion des chefs d’armées des pays de la SADC et de l’EAC en vue de déterminer les directives techniques du cessez-le-feu sur le terrain. Pour comprendre les enjeux, nous avons posé les questions au Professeur Martin ZIAKWAU, docteur en Relations internationales.

ACTUALITE.CD : Quelle lecture faites-vous du communiqué ayant sanctionné le sommet conjoint EAC-SADC ?

Martin ZIAKWAU : En fusionnant de manière structurelle les processus de Nairobi et de Luanda, les chefs d'État et de gouvernement de l'EAC et de la SADC compliquent inexorablement la quête de paix dans l'Est de la République Démocratique du Congo. 

L'union par fusion de ces éléments, jusqu'alors distincts, donnerait naissance à une réalité complexe. D'un côté, se dessine un processus (Luanda) qui n'appartient pas tant à une dynamique régionale au sens strict qu'à une interaction bilatérale, où un pays voisin, perçu comme un ennemi, se confronte à la RDC sous les bons offices de l'Union africaine au travers du Président de la CIRGL. De l'autre, un processus (Nairobi) se limitant à un cadre local, avec une assistance régionale (EAC), concernant les provinces de l'Est, où sévissent des groupes armés tant locaux qu'étrangers.

Il est non seulement possible mais aussi souhaitable de coordonner ces deux processus, afin de leur insuffler cohérence et harmonie, sans pour autant les amalgamer structurellement. En effet, un lien indéniable unit le problème bilatéral entre la RDC et le Rwanda à la question de l'activisme de ces groupes armés dans l'Est du pays. 

Point n'est besoin de rappeler qu'il y a des groupes armés rwandais dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Par ailleurs, il convient de souligner la présence de groupes armés étrangers originaires de l'Ouganda et du Burundi, ces deux Etats établissant une coopération "apaisée" avec la RDC pour contrer ces menaces.

Le Rwanda, quant à lui, semble avoir mal digéré les réticences congolaises à engager des opérations conjointes contre les groupes armés rwandais. Ces réticences trouvent leur origine dans les réactions vives des populations, en particulier celles de l'Est du pays, tirant les enseignements d'un passé douloureux.

ACTUALITE.CD : En quoi la fusion de deux processus poserait-elle vraiment problème à la RDC ?

Cette initiative pourrait bien constituer une brèche, un passage furtif permettant au Rwanda d'intervenir davantage dans des affaires considérées comme exclusivement congolaises. En ouvrant ainsi la voie, elle offrirait à Kigali des prétextes pour justifier habilement le rythme qu'il envisagerait d'imposer à la mise en œuvre de ses engagements, en particulier ceux relatifs à l'élaboration et à l'exécution des modalités de retrait de ses troupes du territoire congolais. 

ACTUALITE.CD : dans une précédente interview, vous aviez évoqué le besoin de redynamiser le processus de Nairobi au sein duquel le Gouvernement congolais avait affirmé vouloir échanger avec le M23 ...

Dans le cadre de la fusion des deux processus, la décision de relancer les négociations et le dialogue entre les parties étatiques et non-étatiques soulève un risque considérable de déviation du processus de Nairobi par rapport à son objectif initial. En effet, à son lancement en avril 2022, celui-ci devrait se cantonner à des consultations, et non à des négociations ou dialogue, que le gouvernement congolais mènerait exclusivement avec les groupes armés locaux, dans le but précis de leur désarmement, démobilisation et réinsertion sociale.

Lire: RDC : Différence entre les processus de Nairobi et de Luanda (Interview avec le Professeur Martin ZIAKWAU)

En insistant sur l’aspect négociable, les chefs d'État redirigent le processus de Nairobi vers une voie quelque peu périlleuse, car les négociations supposent des concessions réciproques en vue d’un compromis. Il convient de rappeler qu'un Rapport officiel de la RDC datant de 2023 mentionne l’existence de 252 groupes armés locaux et de 14 groupes armés étrangers.

Cette réalité a sans nul doute évoluée, influencée par les dynamiques de soutien de certains groupes armés envers les FARDC. Cependant, il faudra attendre de voir quelles seront leurs postures au moment où débuteront lesdites négociations.

ACTUALITE.CD  : Pouvons-nous considérer que ce communiqué est désavantageux pour la RDC ?

Je constate avec une certaine inquiétude que les termes de la paix envisagée dans ce communiqué s'éloignent considérablement de ceux que souhaite ardemment la RDC.

ACTUALITE.CD : concrètement, le cessez-le-feu décrété est-il susceptible de nuire à la RDC?

Il convient de noter que ce cessez-le-feu consacre tacitement une reconnaissance de l'occupation de vastes pans du territoire national par une armée étrangère, contre laquelle la RDC se trouve en lutte, et dont le retrait n’est nullement réclamé par les chefs d'État et de gouvernement. D'une part, le Sommet a "exigé" la reprise des négociations et du dialogue en ce qui concerne la RDC ; d'autre part, il a "recommandé" l'élaboration et la mise en œuvre des modalités de retrait des forces armées étrangères non invitées sur le sol congolais.

Le choix des verbes employés, à savoir "exiger" et "recommander", ainsi que l'absence de mention explicite des Forces de défense du Rwanda, dont il s'agit pourtant clairement, sont des éléments particulièrement éloquents. Ils révèlent une perception partagée par la plupart des chefs d’État et de gouvernement sur la situation sécuritaire prévalant dans l'Est du pays, perception qui ne s'aligne pas avec le ressenti congolais face à ce problème.

Par ailleurs, le cessez-le-feu constitue généralement une opportunité pour les parties belligérantes de consolider leurs positions respectives. L’appel lancé, dans ce contexte, par les chefs d'État et de gouvernement en faveur du "rétablissement des services publics essentiels" dans les zones occupées est révélateur d'une certaine tolérance de la nouvelle donne sur terrain. 

ACTUALITE.CD : L'initiative de l'Eglise catholique romaine et de l'Eglise du Christ au Congo y est-elle prise en charge ?

Le "Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RDC et dans la Région des Grands Lacs" vise à tisser des liens entre les dimensions nationale et régionale du problème sécuritaire affectant l'Est du pays. Cependant, cette ambition ne transparaît pas clairement dans le communiqué des Chefs d'État et de gouvernement.

Il est envisageable que le projet porté par les religieux soit intégré dans le cadre de l'évolution envisagée du processus de Nairobi.

Il est indéniable qu'une résolution rigoureuse de cette problématique sécuritaire exige une réponse systémique, englobant les niveaux international, régional, national, et même local. Encore faudrait-il insuffler une véritable dynamique à cette approche, par exemple, en corrigeant les faiblesses de l'"Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la Région", qui a tenté de manière imparfaite de mettre en lumière les trois niveaux d'interaction (international, régional et national).

ACTUALITE.CD : Quelle serait la marge de manœuvre de la diplomatie congolaise pour limiter les risques de nuisance aux intérêts de la République découlant de ce communiqué ?

La diplomatie congolaise se doit de déployer des efforts accrus lors des discussions visant à opérationnaliser le communiqué des Chefs d'État et de gouvernement. Il est impératif d'identifier des subterfuges astucieux et de prendre des dispositions pertinentes face à des stratagèmes destinés à entraver un rétablissement rapide de la paix, un objectif qui doit être envisagé dans une perspective résolument à long terme.

Dans ce contexte renouvelé, il est essentiel de renforcer l'équipe congolaise chargée d'explorer les deux processus en veillant à coordonner toutes les structures nationales susceptibles d'apporter leur contribution, en fonction de leurs compétences respectives, aux préparatifs et à la conduite des négociations. 

ACTUALITE.CD : Quelle stratégie le pouvoir devrait-il élaborer globalement pour parvenir à la paix voulue ?

Il est impératif pour les gouvernants de rallier le peuple congolais, véritable rempart pour soutenir avec ardeur les efforts de défense de la souveraineté de l'État. L'heure est propice à un nettoyage en profondeur des écuries d'Augias dans tous les secteurs de la vie nationale, afin d'entretenir et de renforcer le soutien populaire dans la perspective de forger une véritable force et d'insuffler puissance à la loi, comme l'enseigne Machiavel.

Par ailleurs, il est urgent que le gouvernement s'attèle avec plus de sérieux à soigner sa réputation sur la scène internationale, conscient qu'un fossé existe entre la réalité sécuritaire vécue par les Congolais et la perception qu'en ont les autres États et parties prenantes de la vie internationale. 

Cela permettra de redoubler d'efforts pour restaurer l'image de la RDC. La menace inhérente à l'adversité subie pourrait se révéler être une occasion pour la RDC de se réinventer et d'aspirer à sa grandeur retrouvée.