Le 2 août 1990, le jour où l'Irak avait envahi le Koweït, le Conseil de sécurité de l'ONU s'était réuni en session extraordinaire d'urgence comme c'est aujourd'hui le cas dans la situation en RDC, en adoptant la résolution 660 condamnant l'invasion et exigeant le retrait des troupes irakiennes.
Le 31 mai 2010, le Conseil de sécurité s'est réuni en session extraordinaire d'urgence en adoptant le document S/PRST/2010/9 par lequel le Conseil condamne le recours illicite à la force lors de l'opération militaire israélienne dans les eaux internationales contre un convoi humanitaire en route vers Gaza.
Le 24 janvier 2025 dernier, la RDC a sollicité une session d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU en raison de l’aggravation de la situation au Nord-Kivu. À l'en croire, le gouvernement congolais souligne que cette crise à l'Est est avant tout le fruit de l'inaction décisive du Conseil, malgré l’internationalisation du conflit et les preuves claires de la présence rwandaise sur le sol congolais.
Que peut-on espérer de la tenue ce dimanche 26 janvier 2025 de la convocation d'une session extraordinaire d'urgence du Conseil de sécurité sur la situation en République Démocratique du Congo ?
Auparavant, le premier texte par lequel le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné, quoique timidement, l'agression rwandaise est la résolution 1234 du 9 avril 1999 demandant notamment le
«retrait» des forces et exigeant «l'arrêt immédiat des hostilités» [paragraphe 3 de la résolution]. Ce texte réaffirme aussi «le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective» [huitième considérant].
À mon sens, il y a lieu d'espérer trois choses avec une prudence extrême
1. La réaffirmation de la souveraineté territoriale et du respect des frontières de la RDC telles qu'héritées de la colonisation. En termes précis, la célèbre sentence Max Huber a énoncé ce qui suit: «le principe de la compétence exclusive de l'Etat en ce qui concerne son propre territoire [est] le point de départ du règlement de la plupart des questions qui touchent aux rapports internationaux.» [sentence du 4 avril 1928 en l'affaire de l'île des Palmes]. À dire vrai, la souveraineté de l'État est le droit de celui-ci d'exercer sur son territoire, à l'exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques. À la suite de cette sentence, la Cour internationale de Justice a également eu l'occasion de souligner qu'«entre États indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l'une des bases essentielles des rapports internationaux.» Là-dessus, le Rwanda ne dispose d'aucun titre juridique afin d'envahir et d'occuper le Congo. Là-dessus, on sait aussi qu'il est de notoriété publique que les plus hautes autorités rwandaises ont publiquement exprimé leur intention de remettre en cause le tracé des frontières avec le Congo. Car, vu du Rwanda, le Kivu apparaît comme une zone "naturelle" de son extension qui devrait lui revenir. Ce mythe du "grand Rwanda" [expression d'Isidore Ndaywel] nourrit un imaginaire qui pérennise le climat de violence dans la région sur fond d'ambiguïté historique. Le Rwanda manipule des mythes anciens, en prétendant qu'il aurait existé naguère un "grand Rwanda" englobant les espaces actuels du nord et du Sud-Kivu. Le Conseil de sécurité devrait fixer les idées sur cette question en exigeant le respect des frontières du Congo qui constitue une règle de droit général maintes fois établie dans la pratique conventionnelle et jurisprudentielle [voir l'affaire du Différend frontalier Burkina Faso c. République du Mali, arrêt de 1986 devant la chambre de la Cour internationale de Justice, p.565]
2. Nommer l'agression armée rwandaise contre le Congo caractérisée par divers actes visés par la résolution 3314 du 14 décembre 1974 (voir article 3, lettres a, d, e, t et g). Les mots, justement : «Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde!» Le Conseil de sécurité ne peut pas décider sans prendre parti. Le Rwanda maintient sur le territoire congolais un comportement répréhensible qui se caractérise par l'invasion et l'occupation militaire des pans entiers du territoire congolais; une menace contre la paix, la sécurité et la stabilité de la région constatée il y a trente ans par le Conseil de sécurité, c'est-à-dire depuis août 1998 lorsque des troupes appartenant aux forces armées régulières de l'Ouganda et du Rwanda ont agressé le Congo. Tôt ou tard, sonnera l'heure de vérité... mais on n'y est pas encore arrivé !
3. Obliger le Rwanda de retirer ses forces armées du territoire congolais et l'ensemble de ses moyens militaires de défense [système de missiles sol-air] et, cela SANS DÉLAI : Cette exigence est souligné dans les différents communiqués des rencontres périodiques qui ont eu lieu dans le cadre du Processus de Luanda. Néanmoins, les deux Parties, le Congo et le Rwanda, sont profondément divisées sur la mise en œuvre dudit retrait et même de sa conception. Le Rwansa posant certaines conditions sur les séquences de ce retrait, le Congo l'envisageant sans condition. Les positions ainsi exprimées par les Parties paraissent éloignées les unes des autres. On ne s'explique pas en passant comment le gouvernement rwandais poursuit impunément l'occupation militaire du Congo. Quoiqu'il en soit, le droit international est sans appel: le Rwanda commet ainsi un crime contre la paix, une agression armée circonscrite dans la résolution 3314 du 14 décembre 1975, quels que soient les motifs invoqués. Le Rwanda à l'obligation de RETIRER SANS DÉLAI ET SANS CONDITION SES FORCES ARMÉES RÉGULIÈRES QUI ONT ENVAHI ET OCCUPENT une partie du territoire congolais. Si le Rwanda veut des mesures garantissant sa sécurité, il ne peut que les solliciter du Conseil de sécurité, et non se rendre justice lui-même sur le territoire d'autrui.
Il faudrait savoir gré au Conseil de sécurité d'avoir décidé de convoquer cette séance. Rappelons que le pouvoir de demander la convocation d'une réunion du Conseil dans le cadre d'une session d'urgence est conféré à tous les membres du Conseil en vertu de l'article 2 de son Règlement intérieur, qui se lit comme suit : « Le Président convoque une réunion du Conseil de sécurité à la demande de tout membre du Conseil de sécurité.»
Rien n’exige qu’une telle demande soit formulée par le biais d’une lettre publiée comme document officiel du Conseil de sécurité. En fait, de nombreuses réunions du Conseil sont convoquées à la demande informelle d'un ou de plusieurs membres du Conseil. Cependant, il arrive encore que des membres soumettent une demande écrite formelle de convocation d'une réunion, même lorsque la question figure déjà dans l'exposé succinct des questions dont le Conseil de sécurité est saisi (S/2017/10). Par exemple, la réunion du 9 décembre 2016 sur « La situation en République populaire démocratique de Corée » a été convoquée à la demande de neuf membres du Conseil, qui ont pris cette initiative en envoyant une lettre officielle, citant l'article 2, au Président du Conseil (S /2016/1034).
Au moment où les profondes blessures de l'aventure sanglante du Rwanda sur le sol congolais sont encore béantes, au moment où la ville stratégique de Goma est encore sous la menace d'occupation, on pourrait craindre le détournement de l'institution onusienne par les grandes puissances dans un conflit dont on connaît les enjeux économiques et stratégiques. Le Congo étant un pays hautement convoité. Il y a de la lumière dans la démarche du Conseil de sécurité, mais aussi de l'ombre.