Connu pour ses multiples refus de se faire corrompre lors de la législature de 2019-2023, correspondant au premier mandat de Félix Tshisekedi, Jean-Baptiste Kasekwa, député national honoraire élu de Goma, dans la province du Nord-Kivu, a été primé ce vendredi 24 janvier par la coalition « Le Congo n’est pas à vendre » (CNPAV), qui lui a remis le premier prix « Kanyaka ». C’était lors de la cérémonie de remise des prix organisée à Silikin Village, à Kinshasa.
Le lauréat, selon le CNPAV, a fait preuve d’un engagement sans faille lors de son passage à l’Assemblée nationale, refusant notamment une somme de 10 000 dollars américains destinée à influencer le vote de destitution du bureau Mabunda, ainsi que le refus d’une jeep remise pour cette cause. Il a également dénoncé les injustices salariales et les pratiques opaques au sein des institutions de la République. Cela lui a attiré des menaces, auxquelles il n’a pas cédé, devenant une figure importante dans la lutte contre la corruption en RDC.
Prenant la parole pour l'occasion, Jean-Baptiste Kasekwa a salué l’initiative du CNPAV et a rassuré toutes les organisations de lutte contre la corruption qu’il est possible de rester intègre.
« Il faut s’exercer à lutter déjà contre la corruption dans les petites choses. Cela permettra de tenir dans les grandes. La corruption tue. Nous devons donc nous engager tous ensemble pour la combattre, chacun dans sa sphère de responsabilité », a-t-il fait savoir.
Comprendre le prix Kanyaka
Le prix Kanyaka est créé dans le but de sensibiliser aux effets néfastes de la corruption et à l'importance de la combattre ; de reconnaître et célébrer ceux qui ont apporté une contribution significative à la lutte contre la corruption en RDC ; d'encourager davantage les individus à prendre position contre la corruption et de promouvoir l’intégrité et l’éthique. Il vise également à attirer davantage l’attention du public sur des faits de corruption ayant eu un grand impact négatif sur la communauté et à pousser les entités compétentes à mener plus d’investigations sur des faits de corruption pour sanctionner leurs auteurs et, le cas échéant, accorder des réparations en faveur des victimes.
Il est constitué de deux prix : celui négatif et celui positif. Le prix négatif met en lumière les cas de corruption les plus graves, ayant eu un impact négatif considérable sur la société, tandis que le prix positif récompense ceux qui ont contribué activement à la lutte contre la corruption.
D’autres personnalités et institutions ont aussi mérité de gagner le prix positif Kanyaka en raison de leur lutte remarquable contre la corruption ces dernières années. Il s’agit notamment de Grady Koko et Navy Malela, connus pour leur rôle dans la dénonciation des malversations financières par Dan Getler à travers Afriland First Bank pour contourner les sanctions américaines. Ils ont été condamnés à mort par contumace et vivent désormais en exil en Europe.
Vient ensuite le Lycée Liziba, une école primaire et secondaire conventionnée catholique située à Mbudi, à Kinshasa, qui est connue pour avoir, en 2022, pris des mesures pour expulser les élèves finalistes du secondaire impliqués dans les tentatives de corruption pour réussir à l’examen d’État. Ils ont été remerciés par la remise d’un certificat de reconnaissance.
La corruption lors des élections des sénateurs : cas récent le plus grave de la corruption
Le prix négatif Kanyaka, lors de cette cérémonie, a été attribué aux événements criants de la corruption ayant caractérisé les récentes élections des sénateurs en RDC. Lors de ces élections, plusieurs témoignages ont fait état de sommes d'argent faramineuses proposées par des candidats aux électeurs en échange de leurs votes. Des institutions comme la Céni et la Cour de cassation avaient alerté sur les sanctions graves que courraient tous ceux qui s’adonnaient à ces pratiques malsaines. Plusieurs candidats ont abandonné la course, laissant la place aux plus offrants. Les candidats occupant des fonctions publiques ont utilisé les moyens matériels, humains et financiers de l’État pour se faire élire. Ces pratiques ont eu des conséquences incalculables sur les finances publiques, détournant des ressources utiles aux projets de développement. Cette corruption a favorisé l’élection de candidats “médiocres”, “moins performants” et “moins intègres”, ce qui fragilise la gestion de la chose publique.
D'autres cas les plus flagrants de corruption recensés récemment incluent l’affaire « Jeux de la Francophonie », où des fonds publics ont été détournés. Il y a également la taxe RAM (Registre des appareils mobiles), prélevée directement sur le crédit de communication des utilisateurs, sans contrepartie directe, fonds gérés en dehors du circuit normal des dépenses publiques, entraînant des détournements de deniers publics. Il y a aussi l’affaire des 70 millions de dollars payés à l’ONG Le Bouclier dans le cadre du projet d’exploitation de lithium à Manono, impliquant la société chinoise Zijin Mining. Viennent ensuite les détournements de fonds incluant ceux des services du ministère de la Santé, estimés à environ 300 millions de dollars destinés à l’achat de médicaments, de matériels médicaux et à la campagne de sensibilisation, détournés par des fonctionnaires du ministère, selon un rapport de l’IGF de 2022. L’autre cas évoqué est l’affaire Forage, qui visait la construction de 1 000 stations mobiles de traitement d’eau et de forage, évaluée à près de 400 millions de dollars américains, ayant mis en cause des hauts fonctionnaires et des personnalités au pouvoir, notamment au sein du ministère des Finances et du Développement local. Vient enfin le détournement des fonds de la redevance minière dans le secteur de Luilu au Lualaba, estimé à 14,5 millions USD.
Ce qu’ils pensent du prix Kanyaka
Plusieurs hautes personnalités, de toutes les sphères de la vie sociale congolaise, ont pris part à cette cérémonie et ont indiqué leur satisfaction. Pour Monseigneur Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), cette initiative est promotrice de l’intégrité morale dans un contexte où la corruption devient endémique et culturelle.
Al Kitenge, entrepreneur, économiste et auteur de l’ouvrage « Sine qua non », qui parle de la gravité de la corruption dans les institutions de la RDC a, pour sa part, salué une initiative qui vise la sensibilisation contre la corruption, pratique dont il salue l’émergence. « Des initiatives comme ça doivent continuer parce qu’elles permettent de créer un espace de promotion de la prospérité collective, étant donné que la corruption est le plus grand destructeur de cette prospérité », a-t-il indiqué.
Pour sa part, Eric Senga, porte-parole de l’Église du Christ au Congo (ECC), a salué une initiative qui vise à mesurer le degré d'impact que la corruption a sur la vie des millions de Congolais. Il a appelé la population à éviter la distraction et à amorcer des mécanismes de contrôle citoyen pour prévenir une lutte efficace contre la corruption. « La corruption est un état d’esprit, et lutter contre elle doit aussi être un état d’esprit », a-t-il lâché.
Également présent à la cérémonie, Salomon Tudieshe, procureur général près la Cour des comptes, salue l’initiative « louable », qui mérite d’être connue. « La corruption est un fléau qui doit être combattu », a-t-il fait savoir.
Bruno Nsaka