Entre survie et espoir : des filles vivant dans la rue à kinshasa relatent leur quotidien

Photo/ Actualité.cd
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Dès l'aube, Kinshasa s'éveille dans un tumulte de klaxons et de voix. Pour la plupart, c'est le début d'une nouvelle journée. Mais pour les milliers de filles qui vivent dans la rue, la lutte pour la survie est permanente. 

Loin des regards indiscrets, elles quittent leurs abris: un recoin sombre, un pont, ou un entrepôt abandonné pour affronter les réalités impitoyables de la rue.
souvent vêtues de fripes usées, ces filles marchent pieds nus à longueur de journée ou s’assoient dans les ruelles, cherchant un peu d'ombre sous un arbre ou un kiosque. Elles se protègent parfois le visage avec des chiffons, morceaux d’habits ou de cartons pour éviter les coups de soleil et la poussière, mais la chaleur est omniprésente.
« Il fait tellement chaud ici. Parfois, j'ai l'impression de fondre, mais il n’y a pas toujours de l’eau »raconte Rosalie , une adolescente de 17 ans.

Beaucoup d’entre ces filles ont été forcées de quitter leur domicile à cause de la violence domestique, du rejet familial, ou de la pauvreté extrême. Certaines ont été abandonnées, d'autres fuyant des abus ou des mariages précoces. Pour beaucoup, la rue devient une issue désespérée où elles tentent de se protéger tout en cherchant à subvenir à leurs besoins.

«Je me suis retrouvée ici parce que le mari de ma mère le lui a demandé ! J’étais bien et je grandissais normalement jusqu’à la mort de mon père. Quelques mois après sa disparition, je suis devenue épileptique. Ma mère, qui était en train de se remarier, m’a accusée de sorcellerie, disant que c’était moi qui avais causé la mort de mon père. C’est ainsi qu’ils m’ont chassée de la maison, tous les deux, et m’ont envoyée dans la rue », confie Mira Mbo, 15 ans.

Survivre avant tout 

La vie dans la rue n’est pas qu'une question de survie physique, c’est aussi un combat constant pour préserver son identité et sa dignité face à des conditions de vie dégradantes. Ces filles vivent dans un environnement hostile où elles sont exposées à la violence physique, aux agressions sexuelles, à l'exploitation et aux maladies. Elles n'ont pas de toit, de nourriture régulière ou de sécurité.
« La rue, c’est difficile. On ne dort pas bien, on a peur tout le temps, et souvent on ne mange pas. Mais c’est mieux que de rester chez nous, là où on est maltraitées », ajoute Mira Mbo.
Ces filles essaient de trouver de l'argent en vendant des petits objets, en mendiant ou en travaillant comme domestiques dans des maisons.
Le manque d'accès aux soins de santé et à une hygiène minimale est également un problème majeur. Elles sont vulnérables aux maladies comme le paludisme, les infections respiratoires et les maladies de la peau. Mais ce sont les infections sexuellement transmissibles, qui représentent une menace supplémentaire, souvent accentuée par le manque de connaissance sur la prévention et les pratiques à risque.

« J'ai deux enfants et je ne connais pas avec certitude l'identité de leur père. J'ai été victime de viols répétés, parfois commis par plusieurs agresseurs simultanément. Ces violences ne sont pas seulement l'œuvre de jeunes hommes dans une situation similaire à la notre, mais aussi d'hommes plus âgés raisonnables. Je crains pour ma santé et je suis angoissée à l'idée de devoir élever mes enfants seule. Malgré tout, je ne veux pas me séparer d'eux », confie Beya Thérèse, 26 ans.

Difficile réinsertion 

Lorsque le soleil se couche, les filles cherchent un endroit où s’abriter pour la nuit. Parfois, elles se regroupent sous un pont, dans un coin sur un marché ou dans un entrepôt abandonné. Mais, contrairement à la chaleur du jour, la nuit apporte un froid glacial qui pénètre dans les os, surtout lorsqu’elles sont épuisées après une journée passée à errer dans les rues ou à mendier.
« On manque même de quoi nous couvrir la nuit! Parfois on se demande si quelqu’un nous aime vraiment. On souffre tellement que c’est difficile d’espérer, de rêver d’une meilleure vie », rencherit Thérèse Beya.

Malgré les obstacles, les filles dans la rue de Kinshasa gardent une lueur d’espoir. Elles rêvent de retrouver une vie normale, de réparer les liens brisés avec leur famille et de s'intégrer dans une société plus équitable. Pour elles, la réinsertion sociale est synonyme de réhabilitation de l’espoir et de la dignité. 
« Chaque jour, nous affrontons des défis immenses pour survivre tout en rêvant d’une vie meilleure, d'un retour dans la société et au sein de nos familles. Je prie Dieu de m'aider à trouver une famille d'accueil qui puisse m'accueillir et m'aimer. Je souhaite également pouvoir poursuivre mes études et devenir autonome. Mon plus grand rêve est de renouer des liens avec ma famille biologique et de retrouver ma place au sein de celle-ci », ajoute Mira.

Cependant, la réinsertion n'est pas un processus simple. La société reste très stigmatisante envers ces filles, et même après avoir reçu un soutien, il leur est souvent difficile de retrouver leur place au sein de leurs familles. Beaucoup d'entre elles se heurtent à un rejet familial dû à la honte ou à la méfiance des parents. De plus, l'absence d'infrastructures adaptées, ainsi que la rareté des ressources financières et humaines, complique encore le processus de réinsertion.
« J'ai été rejetée par ma famille sous le prétexte que je serais possédée par un esprit maléfique, responsable des malheurs qui les frappaient. Une ONG  m'a temporairement accueillie après mon départ, et m’a aidé à renouer les liens mais lorsque ma famille a appris ma grossesse, ils m'ont violemment agressée et à nouveau jetée à la rue », s’indigne Princesse Kaso, 20 ans.

Des liens se tissent malgré tout 

L'un des aspects les plus cruels de la vie des filles dans la rue est aussi l'isolement psychologique. Elles sont souvent coupées du monde scolaire et de toute forme de réseau social stable. L'absence de modèles positifs et l'angoisse constante de l'avenir pèsent lourdement sur leur moral. Nombre d'entre elles souffrent de troubles de stress post-traumatique, de dépression et de sentiment de rejet.
« Nous vivons angoissées tous les jours et avec des peurs profondes. Les rues deviennent plus dangereuses  une fois la nuit tombée. Elles se vident progressivement, et d'autres dangers surgissent : hommes malintentionnés, violences, ou encore agressions. Certaines de nous sont victimes de traite, d’abus sexuels, ou d’exploitation. Le sommeil est souvent perturbé par des bruits effrayants et la crainte des dangers imminents. La nuit, on a peur. Parfois, on entend des bruits et on ne sait pas d’où ils proviennent. On a souvent du mal à dormir, on ne sait jamais si on va être attaquée", continue-t-elle.

Chaque journée est un défi à surmonter pour ces filles: trouver un peu de nourriture, éviter les dangers, et supporter la chaleur. Pourtant, au milieu de cette adversité, il existe des moments de solidarité, de réconfort et même d’espoir. Lorsqu’elles parviennent à trouver un petit coin d’ombre ou un bout de pain, il ne s'agit pas seulement de subsistance, mais de la confirmation que malgré les épreuves, elles sont encore là, prêtes à tenir le coup, jour après jour.

Le bruit des moteurs, des vendeurs ambulants et des conversations animées créent une toile de fond sonore qui ne cesse jamais. Le soleil implacable, l’air moite et poussiéreux, mais aussi la solidarité entre ces jeunes filles créent une atmosphère particulière, où l’espoir, aussi fragile soit-il, réside dans chaque petit geste de survie. La rue peut être un lieu d’abandon et de souffrance, mais elle est aussi un espace où, malgré tout, des liens se forment, des rêves émergent et des luttes prennent forme.
"On espère toujours que demain sera mieux, que quelqu’un viendra nous chercher ou nous aider à changer de vie", conclut Jeanne, 19ans.


Nancy Clémence Tshimueneka