Littérature : "Les affaires du Cap", un regard acéré sur les défis quotidiens des Congolais en Afrique du Sud

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Cover du livre "Les affaires du cap"

Dans un contexte sud-africain post-apartheid, où les tensions raciales et économiques sont omniprésentes, l'auteur congolais Ekwamana plonge au cœur des réalités complexes des communautés africaines émigrées avec son recueil de nouvelles intitulé Les affaires du Cap. Ce livre, à la croisée du journalisme et de la littérature, dépeint la lutte quotidienne de ces communautés étrangères confrontées à un environnement difficile, marqué par des conflits identitaires et sociaux.

« Ce livre est un résumé des luttes entre les Noirs et les Blancs. Des luttes persistantes, des luttes permanentes. C’est quotidien en Afrique du Sud de se retrouver dans une situation d’inconfort face à un interlocuteur d’une race différente de la vôtre », s’exprime Ekwamana, auteur du livre.

Originaire de la République Démocratique du Congo, Ekwamana a passé plusieurs années de sa vie en Afrique du Sud, où il a cofondé un hebdomadaire et couvert les événements de la diaspora congolaise. Avec Les affaires du Cap, il explore les expériences des Africains vivant dans une société fragmentée, en proie aux inégalités économiques et aux divisions raciales exacerbées par l’héritage de l’apartheid.

À travers cinq nouvelles percutantes, l'auteur nous offre des récits intimes qui mettent en lumière les dilemmes moraux, culturels et économiques auxquels font face ces personnages africains. Chaque histoire reflète un aspect distinct de la vie en Afrique du Sud, soulignant la complexité de l'intégration dans une société en pleine transition.

La première nouvelle s’ouvre sur l’histoire d’un pasteur congolais en quête de respectabilité, qui se retrouve dans une situation périlleuse après avoir cédé à ses désirs lors d'une nuit tumultueuse au Cap. Ce récit met en exergue les contradictions entre morale et tentation, offrant un tableau de la communauté congolaise confrontée à ses propres faiblesses dans un environnement hostile.

La deuxième nouvelle prend place dans un bar chic de la ville, où un jeune travailleur immigré fait une rencontre surprenante avec un vieil homme qui lui dévoile des vérités profondes sur ses origines. Ce dialogue transcende la simple conversation pour interroger les notions de famille et d'héritage, explorant les fractures culturelles entre Afrique et Europe.

Ekwamana ne s’arrête pas là. Il poursuit avec le récit poignant d’une mère célibataire qui s’efforce de subvenir à ses besoins dans une économie impitoyable, usant de sa beauté comme monnaie d’échange. Ce portrait déchirant d'une femme prise dans l’engrenage de la survie économique souligne les violences invisibles que subissent nombre de femmes africaines dans un pays où les inégalités persistent.

Le réalisme cru de l'auteur se manifeste pleinement dans la quatrième nouvelle, où un émigré congolais brise les codes de la société sud-africaine en piégeant et abattant des pigeons pour survivre. Cet acte, à première vue banal, devient le déclencheur d’un incident qui révèle les tensions invisibles et les préjugés latents envers les communautés étrangères.

La dernière nouvelle, intitulée Le plateau, transporte le lecteur dans une entreprise française au Cap où se mêlent tensions raciales et hiérarchies coloniales. Les relations conflictuelles entre employés africains et dirigeants français y sont explorées avec finesse, notamment à travers l'histoire d'une employée congolaise critiquée pour son port d’un ensemble en pagne. Ce conflit sur le terrain de la mode vestimentaire devient rapidement un symbole des luttes identitaires et des fractures culturelles au sein d'une entreprise multinationale.

Un miroir des réalités multiculturelles post-apartheid

Les affaires du Cap dépeint avec justesse une Afrique du Sud où les tensions héritées du passé se mêlent aux aspirations modernes des communautés étrangères. Le livre d’Ekwamana s’impose comme un témoignage essentiel sur la vie des Africains dans un contexte postcolonial où l’appartenance et l'intégration sont constamment remises en question.

« Je pensais, en écrivant ce texte, à l’Africain, qui est, on dirait, assiégé dans son propre continent. Je parle à l’Africain post-colonial, à l’Africain décolonisé », poursuit-il.

Et d’ajouter : 

« J’aimerais que l’Africain revienne aux archétypes culturels de l’Afrique que nous pouvons introduire dans la modernité du monde entier. Je demande à l’Africain de quitter les codes culturels colonialistes pour récupérer les codes culturels naturels de la terre africaine, les transformer, les transcender, afin d’apporter quelque chose de moderne mais qui soit africain dans le concert des nations. »

À travers des récits tantôt tragiques, tantôt absurdes, l’auteur éclaire la situation des émigrés africains qui naviguent entre espoirs et désillusions dans un pays qui peine à se débarrasser de son passé ségrégationniste. Les dilemmes sociaux et économiques auxquels ces personnages sont confrontés mettent en lumière la fragilité des identités en exil, tout en offrant une réflexion critique sur les rapports de pouvoir entre communautés.

Avec ce recueil, Ekwamana confirme sa place parmi les voix littéraires qui explorent les réalités méconnues des diasporas africaines. En se basant sur son expérience personnelle et ses observations quotidiennes, il parvient à retranscrire l'angoisse et la résilience de ceux qui tentent de trouver leur place dans une société en mutation.

James M. Mutuba