Importation des produits de première nécessité : le projet de suppression des taxes menace des centaines des milliers d’emplois

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Jérôme Sekana Pene-Papa, Coordonnateur du Réseau Toile d'araignée

Le projet de suppression des taxes sur les produits de première nécessité importés ( la viande, la volaille, le poisson, le lait en poudre, le riz, l'huile végétale et le sucre ) pourrait forcer de nombreux acteurs de l'industrie à réduire leur production, entraînant des suppressions massives d'emplois, un découragement des investisseurs déjà établis en RDC mais plus encore une instabilité des activités économiques accrue pour les familles et les communautés dépendantes de ce secteur.

Révélée lors d’une conférence de presse, tenue le samedi 31 août à Kinshasa par l’Organisation non gouvernementale (ONG) « Toile d’araignée », cette proposition gouvernementale, expliquent les producteurs d’huile de palme, privilégierait les producteurs étrangers, notamment ceux de la Malaisie, de l’Indonésie, de la Thaïlande, et de l’Inde, au détriment des producteurs locaux d’huile de palme. 

Citant les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), relayés par le Conseil Consultatif Présidentiel du Pacte National pour l’Agriculture et l’Alimentation (CCP-PNAA) de la RDC, les producteurs d’huile de palme rappellent que la facture des importations, qui représentait 125,4 millions d’USD en 1961 a atteint en 2019 plus de 2,5 milliards d’USD, soit une augmentation de près de 2 000 pour cent. 

Pour ce faire, ils estiment qu’il n’est pas recommandable de continuer à prioriser les importations alimentaires.

« Notre pays doit-il continuer à utiliser plus de 15 % de son budget à financer les producteurs agricoles des autres pays alors que 75 % de notre population active, représentant plus de 16 millions de ménages, sont impliqués dans l’agriculture, et que nous avons des terres abondantes, un climat favorable et des rivières partout pouvant irriguer nos champs ? », expliquent-ils.

Investir dans le secteur agricole au niveau local

A cet effet, les producteurs d’huile de palme encouragent le gouvernement de la RDC dans ses efforts de réduire le coût de la vie pour la population congolaise.  Pour ces derniers, la façon la plus durable d’atteindre cet objectif est d’investir dans le secteur agricole car, précisent-ils, favoriser les importations des produits alimentaires qui peuvent être produits localement revient à étrangler le secteur agricole national et à mettre la sécurité alimentaire nationale à la merci des pays étrangers.

« Exonérer les importations alimentaires rend le secteur agricole national moins compétitif, mène à une baisse des revenus des agriculteurs congolais et à la perte d’emplois dans les entreprises opérant dans le secteur agricole », ajoutent certains opérateurs économiques.  

Une vulnérabilité aux fluctuations des prix

Par ailleurs, font savoir les producteurs d’huile de palme de la RDC, la dépendance aux importations alimentaires rend le pays vulnérable aux fluctuations des prix sur les marchés internationaux et aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement, par exemple lorsque le prix du pétrole augmente. 

Ainsi, expliquent ces derniers, l’effet recherché par cette suppression des taxes d’importation sera de courte durée et laissera la RDC à la merci des variations des prix internationaux que le pays ne maitrise pas. 

« Exonérer les importations de produits alimentaires ne conduit donc pas nécessairement à la baisse des prix de ces denrées. Les bénéficiaires de cette mesure seront principalement les importateurs, y compris les nombreux opérateurs frauduleux dont les activités maintiennent le secteur agricole national dans l’état actuel de faible performance et affaiblissent notre stabilité économique », évoquent des sources bien renseignées.

Risque de compromettre l'objectif d'autosuffisance alimentaire

Sur un autre registre, indiquent les producteurs d’huile de palme, la suppression des taxes sur l'importation des produits de première nécessité compromet l'objectif d'autosuffisance alimentaire promu par le Chef de l'État à travers son Programme de Développement des 145 Territoires, notamment dans son volet « Transformation Agricole ». 

« Ce programme ambitieux, qui vise à inverser la tendance en favorisant "la revanche du sol sur le sous-sol", a déjà montré des résultats prometteurs. Des tonnes de semences ont été distribuées aux producteurs agricoles à travers tout le pays, offrant à ces derniers les moyens de cultiver leurs propres produits, de renforcer leur résilience économique et de sortir de la pauvreté » déclare toile d’araignée. 

Menace sur la santé et la stabilité économique

Pour ce faire, précisent les producteurs d’huile de palme locaux, l'autosuffisance alimentaire doit rester une priorité nationale et les politiques doivent être cohérentes avec cet objectif pour assurer un développement économique durable pour tous les Congolais.

En outre, expliquent-ils, favoriser les importations alimentaires équivaut à augmenter le risque d’importations d’aliments avariés (comme dans le cas récent du maïs contaminé qui serait en circulation dans le pays.) et peut entraîner  un déficit commercial dans la balance des paiements, si elle n'est pas compensée par une augmentation des exportations. Ce qui pourrait affecter la stabilité économique globale du pays.

Danger pour les investissements privés déjà établis en RDC 

Enfin, alertent les producteurs d’huile de palme, dans les zones les plus reculées du pays, des écoles, des hôpitaux et des forages avec bornes fontaines sont construits par des entreprises privées pour promouvoir le développement des communautés locales. Une fois achevés, rappellent-ils, ces ouvrages, sont cédés à l’Etat congolais qui en a la gestion. 

Précisant que cet appui social de grande importance est porté par ceux qui ont pris le risque d’investir en RDC, les producteurs congolais estiment ainsi que le projet de suppression de taxes « viendrait plutôt propulser des investisseurs étrangers sans attache en RDC et qui ne drainent aucun élan de solidarité pour les populations locales surtout dans les territoires isolés, difficiles d’accès ».

Au regard des différents enjeux économiques, sociaux ou encore sanitaires évoqués par les producteurs d’huile de palme de la RDC, ces derniers sont convaincus qu’une baisse des prix des produits alimentaires pourrait être obtenue en supprimant les taxes à la production agricole nationale, en allégeant les aspects logistiques et techniques ainsi qu’en appuyant la production agricole, via notamment l’acquisition d’engrais, la production nationale des semences de qualité ainsi que l’acquisition d’outils et pièces de rechange des machines utilisées dans la production et la transformation des produits alimentaires.

« La politique d’exonération de l’importation des produits alimentaires a été appliquée plusieurs fois depuis que notre pays est indépendant, mais cela n’a pas amélioré la sécurité alimentaire de nos populations. Ne continuons pas une politique qui n’a jamais donné le résultat attendu » , concluent les producteurs d’huile de palme de la RDC.