Par Grace MUWAWA LUWUNGI, Docteur en Droit de l’Université de Kinshasa Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete
Par une lettre rendue publique, datée du 26 juillet 2024, le Président du Conseil d’Administration de la Société Congo Airways, société commerciale de droit congolais constituée sous la forme société anonyme avec conseil d’administration, informe à la délégation syndicale de ladite de la révocation du Directeur Général de la Société Congo Airways, décidée à l’unanimité par les membres du Conseil d’Administration au cours de la réunion tenue le 26 juillet 2024, motivée notamment par le retrait de la confiance de tous les Administrateurs à l’égard du Directeur Général.
En réaction à la décision du Conseil d’Administration de la Société Congo Airways SA – CA, le Ministre du Portefeuille, Ministre de tutelle, s’adressant au Président du Conseil d’Administration, note que la décision du Conseil d’Administration est entachée d’illégalité au motif qu’elle se fonde sur les dispositions de l’article 492 de l’AUSCGIE, méconnaissant celles de l’article 916 de l’AUSCGIE en vertu desquelles les lois et règlements des États-parties en la matière s’appliquent aux entreprises publiques transformées en sociétés commerciales.
A cet effet, le Ministre du Portefeuille précisent que par lois et règlements des États-parties, pour ce qui concerne le cas de la République Démocratique du Congo, il s’agit de :
- La loi n° 08/010 du 7 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du Portefeuille de l’État, spécialement en son article 1er qui dispose ;
- Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des Ministres, les Mandataires publics dans les Entreprises du Portefeuille de l’État. Ce qui conforte le parallélisme des formes et des compétences ;
- Décret n° 13/055 du 13 décembre 2013 portant statut des Mandataires publics dans les Entreprises du Portefeuille de l’État, spécialement en son article 8 qui dispose : « Le Mandataire public qui, d’après des indices suffisamment graves et concordants, est présumé avoir commis une faute, peut être immédiatement suspendu de ses fonctions pendant une durée de trois mois. Dans ce cas, la suspension de fonction est une mesure préventive dédiée dans l’intérêt du service. Le Mandataire public ne peut être suspendu que par Arrêté du Ministre ayant le Portefeuille (…).
En définitive, le Ministre du Portefeuille porte à l’attention du Président du Conseil d’Administration de Congo Airways que la décision du Conseil d’Administration intervenue en date du 26 juillet 2024 est nulle et de nul effet.
Réagissant à son tour à la lettre du Ministre du Portefeuille, le Président du Conseil d’Administration de la Société Congo Airways fait observer, à l’attention du Ministre, les éléments ci-après :
- La société Congo Airways n'est pas une société unipersonnelle. Elle a huit (8) actionnaires ;
- La société Congo Airways n'est pas une entreprise publique transformée. Elle a été créée ex nihilo en 2014 conformément au droit de l'OHADA ;
- Les sociétés à régime particulier (ou régime spécial) étaient instituées notamment pour tenir compte des spécificités de ces personnes morales tenant soit à la présence d'une personne morale de droit public parmi les associés, soit à des finalités économiques et sociales particulières assignées à ces personnes morales, au nombre desquelles se trouve l'État ;
- Le régime juridique porté par le droit de l'OHADA n'a qu'une seule visée, en l'occurrence l'harmonisation du droit affaires dans les États Parties.
Cela étant dit, il y a lieu de relever que l'article 916, dont référence dans Votre précitée, est l'une des dispositions diverses, transitoires et finales. Sa compréhension requiert la combinaison de ses deux alinéas avec les articles 908 et 919. Il en ressort qu'il s'agirait des sociétés existantes avant la ratification par la RDC du Traité de l'OHADA. Dès lors, l'on ne pourrait soumettre Congo Airways SA au régime de l'article 916. En effet, les sociétés à régimes particuliers dont référence (antérieures à la ratification) devaient impérativement, après un délai de deux ans, mettre en harmonie leurs statuts avec le droit de l'OHADA. Même dans le pire des cas, si certaines dispositions législatives ou réglementaires devaient subsister, elles ne devraient pas être contraires à celles de l’AUSCGIE.
Le Président du Conseil d’Administration poursuit : ’’Aucune transition ne peut durer indéfiniment. Votre Excellence se rappellera qu'aux termes de l'article 1er du même Acte Uniforme, « toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un État ou une personne morale de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l'un des États Parties au Traité de l'OHADA est soumise au présent Acte Uniforme .» Cela est d'ordre public’’.
Il appert que la révocation du Directeur Général est prévue aussi bien par les dispositions de l'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique que par les dispositions des textes nationaux internes, notamment, la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, spécialement en son article 81, 6°; la Loi n°08/010 du 07 juillet 2008 fixant les règles relatives à l'organisation et à la gestion du Portefeuille de l'État, spécialement en son article 13 alinéa 1, ainsi que le Décret n° 13/055 du 13 décembre 2013 portant statut des Mandataires publics dans les entreprises du Portefeuille de l'État, spécialement en son article 8.
Face à cette contrariété des textes, c'est l'Acte Uniforme de l'OHADA qui prévaut et ce, en vertu, d’une part, de l'article 215 de la Constitution qui proclame que «les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque Traité ou Accord, de son application par l'autre partie » et, d'autre part, de l'article 10 du Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique qui contient une règle de supranationalité parce qu'il prévoit l'application directe et obligatoire dans les États Parties des Actes Uniformes et institue, par ailleurs, leur suprématie sur les dispositions de droit interne antérieures ou postérieures.
De ce qui précède, il se dégage que le Conseil d'Administration a plein pouvoir pour révoquer le Directeur Général d'une société anonyme à tout moment pour justes motifs conformément à l'article 492 de l'Acte Uniforme de l'OHADA. Il a également compétence de nommer le Directeur Général conformément à l'article 485 alinéa 1 de l'Acte Uniforme de l'OHADA.
Cela s'est manifesté lors de la prise de fonction au sein de la société. Si bien que, nommé par Ordonnance de Son Excellence Monsieur le Président de la République, le Directeur Général ne pouvait prendre ses fonctions qu'après sa nomination par une décision du Conseil d'Administration.
De ce point de vue, la nomination et la révocation du Directeur Général par le Conseil d'Administration ne sont pas illégales. Le principe de parallélisme des formes et des compétences a donc été respecté. Le Conseil d'Administration ayant agi conformément à l'Acte Uniforme de l'OHADA, il n'y a eu aucune violation des textes nationaux internes. Aussi, la compétence du Conseil d'Administration n'a pas été contestée dans votre précitée. La décision du Conseil d'Administration ne prive pas l'État-actionnaire de son droit de remplacer le Directeur Général tant il est vrai qu'elle a été motivée par des faits accablants constitutifs de faute de gestion ci-haut détaillée.
En duplique, usant de son pouvoir de contrôle et de surveillance sur les organes de gestion des entreprises du portefeuille de l’État, le Ministre du Portefeuille persiste sur l’illégalité de la procédure ayant conduit à la révocation du Directeur Général de la Société Congo Airways en évoquant l’article 81 de la Constitution : « Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres, les mandataires de l’État dans les entreprises et organismes publics, excepté les commissaires aux comptes ». Et que par conséquent, la décision du Conseil d’Administration est nulle, et de nul effet.
Tels se présentent les faits servant de base à la présente analyse.
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