RDC-M23 : à Masisi, calvaire des voyageurs suite à la suspension des activités par les transporteurs routiers pour dénoncer l’insécurité et les tracasseries

photo ACTUALITE.CD

Plusieurs dizaines de voyageurs voulant emprunter différents axes routiers dans le territoire de Masisi sont bloqués, depuis pratiquement trois jours, au niveau du parking La Joie de Ndosho, à Goma. Ils sont inquiets du manque de véhicules, depuis lundi, pour acheminer leurs marchandises à Masisi. C'est suite à la grève déclenchée par les transporteurs sur différents axes routiers de Masisi. Autant que les transporteurs routiers, ces voyageurs dénoncent des tracasseries dont ils sont également victimes sur ces axes routiers. 

« Nous sommes fouettés comme des animaux. Vous ne pouvez pas retourner avec de l'argent en poche. Ils nous déshabillent. Ils nous font dormir par terre et nous dépouillent de tout. Nous, femmes, souffrons beaucoup en cours de route. Nous sommes violées par ces malfrats », témoigne une femme assise sur un colis des produits manufacturés achetés à Goma pour aller les revendre à Masisi. 

« Je voulais me diriger à Kitshanga aujourd'hui. Nous sommes surpris de constater qu'il n'y a pas de véhicule pour emprunter cette voie. Nous ne savons plus où vivre et comment vivre. Nous n'avons aucune assistance. Je vends des habits usagés. C'est à 1 500 FC. Personne pour les acheter ici à Goma. Si je ne vais pas à Masisi ou à Kitshanga, je ne mangerai pas non plus », regrette cette autre dame assise également sur sa marchandise.

Cri de détresse des transporteurs

Les transporteurs routiers qui bravaient la peur en traversant les zones sous occupation des rebelles du M23, dans le territoire de Masisi, ont décidé de suspendre, pour deux semaines, leurs activités. Ils dénoncent des tracasseries auxquelles ils font face, non seulement dans les zones sous occupation du M23 mais aussi dans des espaces contrôlés par les FARDC et les Wazalendo.

« Nous avons un sérieux problème lié à l'impraticabilité de la route. Nous souffrons beaucoup. Si un camion parvient à atteindre Masisi, c'est grâce à nos efforts personnels. De Sake à Masisi, nous sommes tracassés comme pas possible. Les gens meurent en cours de route suite à l'insécurité. À Sake, on paie 600 000 FC. En descendant vers Rutoboko, on paie aussi 100 000 FC. À Mushaki, les véhicules paient par catégorie. Un camion de dix roues paie 620$. À Kisuma, on paie 100 000 FC auprès des Wazalendo. À Katale, les FARDC font payer 100 000 FC. Arrivé à Mutiri, on paie 50 000 FC. On atteint Masisi centre avec des poches vides. Nous demandons au gouverneur de réduire les taxes parce que nous ne pouvons plus. C'est la population qui en souffre », témoigne  Mirimo Baroti, transporteur sur l'axe Masisi-Kashebere. 

Ils dénoncent également l’état de délabrement très avancé des routes dans cette partie du Nord-Kivu. 

« Quand nous étions avec le gouverneur Constant Ndima, il était parti lancer les travaux de réouverture de la route Goma-Walikale. Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore vu un véhicule quitter Goma et arriver à Walikale. Le gouvernement a, à travers le Foner, débloqué plusieurs millions de dollars, depuis 2021 mais rien n'est fait. Nous demandons à l'actuel gouverneur Chirimwami de demander des comptes aux entreprises ayant gagné le marché de réouverture de cette route. Aujourd'hui, le transport de 1Kg  coûte 1,5 voire 2$ par moto. Maintenant, comment va vivre cette population de Walikale avec cette situation », déplore Gervais Muhindo, transporteur routier sur l'axe Kashebere-Walikale. 

La grève déclenchée par les transporteurs routiers aura sûrement un impact négatif sur l’approvisionnement de la ville de Goma en vivres et autres produits. Selon Oscar Bizimana, président de l’association des dépositaires et vendeurs des vivres (ADEVEVI) du Nord-Kivu, le peu de stocks des vivres qu’il y a encore dans des dépôts va bientôt  s’épuiser et que si rien n'est fait par l’autorité provinciale, pour juguler cette crise, l'on tend vers une carence de nourriture dans la ville. 

« Pour nous, ce ne sont que des pleurs. Tout récemment, quelqu'un s'est présenté devant un véhicule transportant des vivres comme agent de la Demiap. Que vient faire la Demiap dans une question de nourriture ? D'autres viennent au nom de l'OBLC. On se demande d'où vient toute cette terminologie ? Nous en appelons à l'implication personnelle du gouverneur de province. Le peu que reçoit actuellement la population, c'est grâce aux efforts des transporteurs et des vendeurs des vivres. Arrivé à Mubambiro, c'est comme si on était à la frontière qui mène vers les États-Unis. Tout le monde est taxateur. Plutôt que de soulager la misère que traversent ces transporteurs, ces vendeurs de vivres, en réduisant ces taxes mais on les multiplie par trois ou plus. Si la situation n'est pas décantée en toute urgence, il y aura, d'ici quelques jours, carence de la nourriture sur le marché. Ne soyez donc pas surpris de voir des dépôts fermés. Et pourquoi la province n'est pas déclarée sinistrée ? Comment comprendre que nous payons des sommes exorbitantes dans des zones contrôlées par les rebelles et au même moment le gouvernement nous tracasse ? Aucune pitié vraiment ! », s’exclame Oscar Bizimana, président de l’association des dépositaires et vendeurs des vivres (ADEVEVI) du Nord-Kivu. 

Dans une lettre datant de plus d’une semaine, adressée au gouverneur militaire, le général major Peter Chirimwami, les grévistes se sont insurgés contre l’insécurité et la surfacturation de leurs marchandises. Pour Kanane Biwewe Gervais, président du Conseil d'administration du collectif des associations des transporteurs routiers du territoire de Masisi pour le développement rural, (COATRARMAD), toutes les démarches abouties auprès de l’autorité provinciale, en vue de trouver solution à leurs revendications n'ont pas abouties. 

« Nous avons décidé de déclencher une grève. C'est-à-dire, nous suspendons le transport dans le territoire de Masisi. Nous ne voulons plus continuer à nous sacrifier, pendant que nous avions posé le problème auprès de l'autorité provinciale, il y a une semaine que nous avons écrit une lettre mais elle est restée une lettre morte. Nous décidons de garder nos véhicules dans nos enclos pendant deux semaines, en attendant de voir s'il y aura une réaction du côté de l'autorité provinciale. La première revendication concerne le péage route. Ils ont triplé la taxe. Un véhicule de 20 tonnes qui payait 50$, paie aujourd'hui 120$. Cette taxation n'a pas de justification. Il a multiplié la taxe par trois, alors qu'il n'y a aucun cantonnier, aucun entretien qui se fait sur cette route. Le côté gouvernement ne dépasse pas deux kilomètres, une fois à Sake. Et le reste, ce sont les rebelles du M23 qui contrôlent. Là bas, c'est catastrophique. Le petit camion qui transporte six tonnes paie 320$. Un camion de 15 tonnes, 450$. Un camion de 20 tonnes, 650$. Et il faut payer. On se dit maintenant, pourquoi continuer à travailler dans un tel contexte. Il y a aussi le problème sécuritaire. Alors on s'est dit, autant mieux sécher le transport jusqu'à ce que nos revendications soient entendues et répondues » a dit Kanane Biwewe Gervais. 

Et d’ajouter : 

« Nous lançons un cri d'alarme, non seulement au gouverneur mais aussi à nos députés nationaux. A gouvernement investit, qu'ils jettent un coup d'œil sur ce qui se passe ici à l'Est. Qu'ils aient pitié de cette population de Goma et de toute la province. Que nos élus réclament que le Nord-Kivu soit déclaré une province sinistre. Pourquoi continuer à faire payer des taxes à cette population meurtrie. Ayez quand même pitié de nous ».

Pendant ce temps, plus de 100 véhicules transportant des marchandises, sont bloqués à Kanyabayonga, depuis le début des affrontements qui opposent les FARDC, appuyées par les Wazalendo aux rebelles du M23. Selon les transporteurs routiers, fréquentant l'axe Goma-Butembo, en passant par Rutshuru et Kanyabayonga, cette guerre d’agression imposée à la RDC par son voisin, le Rwanda, affecte sérieusement le secteur de transport des marchandises. Me Léonard Kambale, gestionnaire de l'Agence Hekima Business, qui fréquente cet axe, le gouvernement congolais devra redoubler d’efforts pour bouter dehors l'ennemi et ainsi permettre la réouverture de la RN2 dont la fermeture représente d’innombrables conséquences sur la vie socio-économique de la région.

Jonathan Kombi, à Goma