Dans le cadre de sa mission de s’assurer que la faune et les terres sauvages prospèrent dans une Afrique moderne, l’ONG African Wildlife Foundation (AWF) assure, entre autres, la protection des aires protégées de Bili-Uéré dans la province de Bas-Uélé, qui s'étend sur plus de 40 000 km2 et abrite d'importantes populations de chimpanzés de l'Est et d'éléphants de forêt. Alors que la Cop 28 sur le changement climatique s’est clôturée, il y a près d’une semaine, à Dubaï, nous nous intéressons au travail d’adaptation mené sur le terrain, à Bili-Uéré, par AWF. Antoine Tabu Senga, de retour de la COP 28, revient dans cette interview sur l’implication des communautés locales, la responsabilité du gouvernement ainsi que les réalisations à ce jour.
Quelles sont les mesures prises pour impliquer la communauté de Bili-Uéré dans le travail d’adaptation au changement climatique ?
Quand nous arrivons dans un paysage comme Bili-Uéré, nous commençons par évaluer l’état de connaissances des communautés dans beaucoup de domaines. Et quand nous remarquons des gaps, nous devons les capaciter. Pour ça, on ne peut pas prendre tout un village. Nous structurons les communautés en structures de gouvernance. Et nous le faisons de manière pyramidale : du village, groupement, chefferie, territoire, jusqu’en province. Ces structures de gouvernance sont de créneaux, et interlocuteurs valables pour nous afin que le message soit dilué au niveau des communautés (…). Une fois qu'elles sont structurées, nous identifions un certain nombre de thématiques pour assurer la formation au sein des communautés (…). Une fois que les communautés auront l’information, nous cherchons leur implication afin que la RDC puisse arriver à adresser la question de différents secteurs identifiés l’adaptation voire l’atténuation au changement climatique.
Quelles sont les responsabilités spécifiques du gouvernement local voire central dans ce travail d’adaptation ?
Il y a beaucoup de mesures et lois publiées au niveau national mais qui restent méconnues même auprès des superviseurs d’environnement au niveau des territoires, secteurs ou chefferies. Nous faisons un grand travail tout en demandant à ce que le gouvernement puisse faire en sorte que tout ce qui est comme loi ou politique promulguée au niveau national de voir comment cela va être mise en œuvre à l’échelle locale parce que c’est là qu’il y a le problème (…). Si déjà les communautés ne sont pas informées par ceux qui sont censés être les représentants de l’Etat Congolais à l’échelle locale, il y a un problème. Et nous apportons l’information non seulement à l’échelle locale mais aussi au niveau des provinces. Nous travaillons de manière rapprochée avec le ministère sectoriel en lien avec le changement climatique pour apporter l’information et qu’ensemble, on puisse adresser la question en connaissance de cause.
Quels sont les défis auxquels AWF a dû faire face ou continue de faire face à travers ce travail d’adaptation ?
Prenons le cas de la foresterie communautaire que nous voulons prendre comme un moyen d’amener les gens à utiliser du reboisement de leur forêt toujours dans le sens de changement climatique. Le grand défi, c’est qu’on se trouve dans un paysage où vous lancez l’idée, mais il y a des demandes allant dans le sens d’accompagner les gens à la création des concessions forestières des communautés locales. On n’a pas les moyens. Et autre défi, de fois, on n’est pas en phase avec les élus locaux (député national, député provincial). Par exemple, vous voulez commencer un travail avec les communautés pour appliquer une loi pourtant votée par ces mêmes députés, vous avez un blocage, des contradictions terribles (…). Il faut recommencer la sensibilisation, remonter à Kinshasa pour avoir l’implication des députés, leur faire comprendre l’idée afin de bien faire le travail.
A ce jour, quelles sont les réalisations concrètes à mettre à l’actif de ce travail d’adaptation ?
Nous avons fait des évaluations où nous avons compris que l’agriculture tenant sur un sol brûlé est une de grandes menaces, et un des moteurs de déforestation. Ce que nous faisons, c’est que nous essayons d’amener les techniques culturales un peu plus résilientes avec des semences améliorées ou on amène la rotation de cultures et du coup, on arrive à augmenter la production avec un espace réduit où le paysan reste dans une zone de 3 kilomètres par rapport au village et la grande forêt est préservée. Pour nous, c’est une grande contribution par rapport à ce que nous devons faire sur l’adaptation. Ça, c’est un exemple par rapport à la forêt.
Par rapport à l’énergie, aujourd’hui, nous voulons vulgariser le foyer amélioré. Par exemple, autour de Bongandanga, comme il y a la route, la voie de la rivière Lopori jusqu’à Basankusu, Mbandaka, Kinshasa, il y a la production de braises pour alimenter le marché kinois. Nous, on se dit, si on continue comme ça, c’est un grand problème. Devons-nous laisser la forêt partir comme ça ? On va coupler et le foyer amélioré mais aussi et surtout l’agroforesterie pour voir certaines essences à grande valeur qui sont utilisées pour la production de charbon de bois. Certaines essences à grandes valeurs en termes de production de chenilles sont en train de disparaître avec diminution de production de chenilles. Comment faire de l’agroforesterie, replanter ces arbres pour essayer d’amener aux communautés de la nourriture aux fins de protéines, de chenilles. Il y a des endroits où on considère que la demande est très élevée en termes de bois de chauffage. Je prends l’exemple de Bondo. Nous introduisons le foyer amélioré pour réduire un peu la consommation en termes de bois de chauffage.
Comment AWF mesure-t-elle l’impact de ses efforts sur la communauté locale et l’environnement ?
AWF comme ONG nous avons une mission. Nous travaillons pour que la faune et les terres sauvages puissent prospérer dans une Afrique qui se veut moderne. Partant de cela, nous nous disons qu’est-ce qu’on doit faire pour que la faune et l’habitat soit protégé. Nous avons un slogan : développer un leader fort, amener les communautés à comprendre le problème et être elles-mêmes les gestionnaires de leur terre et faune. Tout en sachant que la disparition de la faune amène la disparition de la forêt. Et la disparition de la forêt, c’est l’homme dans la chaîne qui se retrouve aussi lui-même pris dans son propre piège. Une fois que les gens avec qui nous travaillons au niveau communautaire comprennent ça, comme impact nous voyons la stabilité des espèces si pas la croissance des faunes. On voit les habitats qui sont protégés où les communautés adhèrent à l’idée.
Quels types de ressources sont nécessaires pour la poursuite de ce travail d’adaptation à long terme ?
De ma participation à la COP, beaucoup de choses se bousculent dans ma tête. Il y a par exemple la recherche scientifique. On est en train de comprendre que la biodiversité séquestre le carbone mais, aujourd’hui, quel est l’état de la recherche ? Il est démontré aujourd’hui que l’éléphant de forêt séquestre le carbone. Et nous devons protéger l’éléphant pour séquestrer le carbone. Est-ce qu’au-delà de l’éléphant, il n’y a-t-il pas d’autres espèces qui le font ? Et pour connaître d’autres espèces, il faut la recherche et pour faire la recherche, il faut les moyens. Il n’y a pas que la recherche à faire. Il faut un certain réseautage. Vous verrez que dans le bassin du Congo, il y a un retard énorme en termes de la connaissance de ce que la faune, la flore, l’habitat, a comme effet par rapport au changement climatique pendant que les autres bassins par exemple celui d’Amazonie est un peu plus avancé par rapport à la recherche.
Qu’est-ce que nous attendons ? Est-ce que c'est au gouvernement de donner plus de moyens pour la recherche ? Puisque la recherche essaie de donner des réponses à certaines préoccupations (…). Nous cherchons un peu plus les moyens pour des recherches que nous ne ferons peut-être pas nous-mêmes mais que les centres de recherche nous donnent les informations. On a aussi besoin de beaucoup de moyens pour sensibiliser les communautés pour qu’elles comprennent le danger qui nous guette tous et l’outil pour moi par excellence, c’est tout ce que l’Etat Congolais a comme outil. Que ce soit la CDN, la SNCB, SPAN B, etc. tous ces éléments là si nous avons les moyens pour mettre ça en œuvre, ça nous avance quelque part.
En termes de partenariats conclus, quelles structures vous soutiennent dans le cadre de ce travail à Bili-Uéré ?
Il est vrai que dans les paysages où nous travaillons que ce soit Bili ou Lomako Maringa Lopori wamba, on a constaté qu’il y a une faiblesse en termes d’organisations de la société civile. Il y a des organisations qui existent de noms et sont nombreuses. Mais en termes d'efficacité sur le terrain, on ne trouve pas. C’est vrai qu’il faut les capaciter, il faut leur donner les moyens pour qu’elles arrivent à faire ce pour quoi elles ont été créées mais nous essayons de les structurer, de les organiser. D’ailleurs AWF dans le cadre de AKBA, des organisations de la société civile sur la biodiversité, on essaie de les identifier, de les capaciter pour qu’elles participent dans le webinaire, pour discuter avec les autres sur des questions clés en lien avec la biodiversité. Il y en a des structures locales mais nous devons les identifier, renforcer leurs capacités et trouver les moyens pour leur permettre d’être des vrais agents de terrain puisque nous ne pouvons pas tout faire. Nous, en tant qu’ONG, on est appelé à partir un jour et ce sont des organisations locales ou gouvernementales qui doivent emboîter le pas quand on arrivera à la fin de nos missions.
Propos recueillis par Japhet Toko