Chronique
… J’ai l’âge de la Capitale, j’ai 100 ans comme Kinshasa a 100 ans. Je pleure mes cent ans comme Kinshasa pleure ses cent ans cadavérés. Le fleuve Congo m’est témoin, même derrière le verrouillage en béton amé qui le détourne des riverains ; il a connu la ville, il m’a connu depuis ce matin du 1r Juillet 1923 qui nous a vu naître. 100 ans X 365 jours. ..
Or, ces jours-ci d’anniversaire , tout paraît cadavéré :les souvenirs en carrousel, en noir-et-blanc, les monuments debout qui criaient victoire, l’asphalte (que nous appelons encore « prince ») naguère reluisante. Naguère , duel des monstres de stade de football : V. Club contre Daring. Daring contre Dragons. Tous ces antagonistes cadavérés du fond de la mémoire des survivants amnésiques.
J’ai cent ans, et déjà cadavéré je suis…
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J’ai pourtant rêvé de Stanley l’explorateur aventurier et du roi Makoko des Bateke. Je les vois avec des larmes de crocodile sur les joues : ils reconnaissent et déchiffrent encore les héritages de leurs malédictions.
100 ans de tourniquet au Rond-Point de la Victoire, celui du fameux 4 Janvier 1959 en flammes, en révolte indépendantiste. 100 ans de vie et de survie soukoussantes, d’encaquements et de jactances-mangungu.
Stanley demande au roi Makoko : « Mfumu, reconnais-tu aujourd’hui les berges et les rives luxuriantes d’antan ? ». Stanley appelle un témoin, le gouverneur général belge Pétillon : « Gouverneur, reconnais-tu aujourd’hui la ville des premiers gratte-ciel de l’Afrique noire ? Et ses gyrobus mastodontes à grande vitesse ? Et le fourmillement sulfureux de ses bars ? »
(Bombenga : Kinshasa-makambo. Kin-ya-Banganga. Kin-Malebo. Lipopo. Léo’Ville »
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Le roi Makoko à son tour appelle un témoin : Lumumba ; Makoko dit à Lumumba : « Lumumba, où sont passés les notables de la Cité : Malula, Mabusa, Mwissa Camus, Adoula, Boboliko, Elengesa, Nzuzi, Muzungu, Bongolo, Massa, Ileo, Malu, etc ? »
Lumumba pleure. Il pleure et entre deux sanglots fredonne les complaintes de Wendo, de Kabasele, de Lucie Eyenga, de Paul Mwanga, de Mujos Mulamba, de Kwamy, de Marcelle Ebibi, de Franck Lassan’. Il pleure le vieux pays…
Makoko secoue Lumumba et le prie de réveiller les notables morts, toutes affaires cessantes. De faire refaire le chemin de la rémission et de la rédemption. Lumumba : « Au secours, vous Indoubills : Azevedo , Durango, Soto-Eboulement, Père Buffalo, Mama Ewaso, Vuzantok le mécanicien de génie, Mama Cathy Moziki-Cent-Kilos. »
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En vérité, en vérité, le rêve de Makoko est un leurre : Stanley re- cadavéré. Pétillon re- cadavéré. Lumumba re-cadavéré. Moi-même re-cadavéré !
100 ans de mon âge, de l’âge de Kinshasa. Chemin long, long et pénible, ascendant, montagneux. Sommet inaccessible (Papa Wemba : « ata na songe ya ngomba bamonaka avenir te »)
… Mon dernier cri du cœur aux ancêtres thaumaturges : au secours, Lomami-Tchibamba, Albert Mongita, Maître T aureau, Justin Disasi, Antoine-Roger Bolamba, Roger Kwamy, Liyolo Limbe ! Au secours : aiguisez donc vos plumes, vos martelets et vos pinceaux pour les derniers poèmes de l’avant-apocalypse. Aiguisez la pointe de vos pieds , pour les pas des danses initiatiques.
Venez, venons exhorter les esprits du futur. Invoquer, évoquer les prochaines échéances, les chances de l’avenir. Relaver blanc Kin-La-Belle. Laver l’Histoire . Lever le deuil. (Lutumba : « Mokili monuni naÏno te ; tina nini bolingo ya Kin enuna… »)
Et mieux préparer le prochain anniversaire bicentenaire : le 1r juillet 2123…
MBREKETE MATAMATA