Table ronde sur l’état de siège : problème mal posé, solution détournée

Photo d'illustration
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La Table ronde de Kinshasa sur l’état de siège touche à sa fin. A redouter que la rigueur de la réflexion essentiellement stratégique qu’impose la haute portée de la question sous-examen soit sacrifiée sur l’autel des considérations partisanes ou émotionnelles. En effet, dans des contrées de l’Ituri et du Nord-Kivu, c’est peu de dire que l’Etat est inexistant. Etre un « Etat » signifie avant tout, du point de vue géopolitique et non pas celui du droit, faire preuve de capacités avérées de sécuriser les populations établies sur son territoire ainsi que leurs biens, tout en créant les conditions de l’épanouissement individuel des citoyens s’y identifiant dans la perspective du développement national.

Dès lors, en spécifiant la problématique de la revitalisation de la « RDC » en tant qu’Etat en se focalisant sur l’état de siège en vigueur depuis le 06 mai 2021 sur ces deux provinces, le risque de biaiser la démarche est perceptible : choisir une mesure à prendre parmi trois alternatives, à savoir : le maintien de l’état de siège, sa requalification ou sa levée. C’est très mal posé le problème et, partant, se détourner de la réponse qui soit défendable dans le droit fil de la rationalité axée sur le résultat non pas d’une mesure, prise isolément, mais plutôt de la stratégie de gestion de la crise sécuritaire dans l’Est du pays depuis 2019, dont découle ladite mesure, et devant en constituer le référentiel. Sauf à convenir qu’il n’y aurait point de stratégie. Même alors, il faille prendre en compte ce qui serait considéré, y compris à tort, comme tel.  

Je m’interdis de revenir sur le débat de la (im)pertinence de la décision de proclamation de l’état de siège. Portant mon regard sur le problème présent à prendre en charge, je fais quelques observations. L’état de siège ne l’est que lorsque des éléments qui le constituent en tant que tout systémique sont pleinement opérationnels. Certes, en Ituri et au Nord-Kivu, les autorités provinciales sont issues de l’armée et de la police. Force est de noter qu’elles n’ont pas, de tout temps depuis le 06 mai 2021, assuré la direction des commandements des opérations militaires comme le recommande le régime relatif à l’état de siège.

En outre, à la lumière de l’ordonnance l’instituant, l’état de siège est avant tout un moyen de pression pour convaincre puis pour contraindre les combattants des groupes armés de déposer volontairement les armes. Ceci implique l’évidence du succès de la mobilisation des ressources financières pour rendre effectivement opérationnel le PDDRCS (Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation) en vue d’une prise en charge optimale des rendus. La réalité en atteste un sombre tableau.  

Ce Programme, dont l’initiative se rapporte à l’ambition d’en affirmer la crédibilité réclamée par le conseil de sécurité des Nations unies, peine, faute de moyens conséquents, à être exécuté tel qu’envisagé. La preuve est dans un Rapport relativement récent (2023) du PDDRCS indiquant, noir sur blanc, l’existence, dans l’est du pays, de 252 groupes armés locaux et 16 groupes armés étrangers. De loin plus qu’en 2019.

Que fallait-il attendre de mieux de l’état de siège sans préalablement combler cette coquille de sa substance  de vitalisation ? Au fond, au-delà du terme employé (état de siège), l’Ituri et le Nord-Kivu ne l’ont presque jamais été. Il s’est, à l’analyse, agi d’une initiative ainsi dénommée mais non opérationnalisée selon ses traits identificatoires. Comme qui dirait « Pierre se serait fait conduire dans la salle du banquet en lieu et place de Paul pourtant inscrit sur l’invitation rendue publique ».

Dès lors, à ce stade, le devoir de bien nommer les choses astreint à opérationnaliser l’état de siège, à en ressortir les composantes et indicateurs, à mettre en évidence les éléments observables et vérifiables de leur mise en œuvre, et de questionner les responsabilités des animateurs, y compris ceux chargés de l’allocation des ressources dont le temps d’exécution est non sans incidence. C’est ainsi poser le problème dans sa globalité pour mieux le comprendre dans ce qu’il est dans les limites de l’observable sans céder à la tentation de porter hâtivement des jugements. Ce, avant de s’employer à identifier des réponses au problème mieux cerné au-delà des idées dont il faille détacher celles susceptibles d’embrumer la réflexion stratégique.

En clair, maintenir ou requalifier ou encore lever l’état de siège n’a de sens que lorsque ce dernier terme est clairement élucidé dans ce qu’il est et tel qu’il a été mis en œuvre, au-delà de ce que les uns et les autres y auraient construit comme pensées et attentes dont la déception est très compréhensible. Ceci permet de créer les conditions d’une gestion rigoureuse de la suite à y réserver à la Table ronde sur base d’une très sérieuse planification. Echapper à cet exercice exposerait au risque de subir les effets d’une faible prévision des imprévus dans un contexte de complexité inquiétante de la donne sécuritaire à quelques mois des élections.  

Lembisa Tini (PhD)