RDC : l'actualité de la semaine vue par Néema Serutoke

Photo/ Droits tiers
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De la journée internationale dédiée aux droits des femmes à la condamnation de 12 agents de sécurité pour  viol sur mineures en passant par l'arrivée du premier avion d'aide humanitaire de l'UE dans la province du Nord-Kivu, la semaine qui s'achève à été riche au niveau de l'actualité. Néema Serutoke revient sur chacun de ces faits marquants. 

Bonjour Madame Néema Serutoke. Pouvez-vous nous parler de vos activités ? 

Néema Serutoke : Je coordonnatrice du Conseil pour la Protection et la Promotion de la Femme et de l'enfant (CPPFE), une organisation de droit Congolais.

La semaine a été marquée par la célébration de la journée internationale des droits des femmes avec pour thème national « Education numérique égalitaire, pour la paix et l’autonomisation des femmes et des filles ». Qu'est ce que ce thème évoque pour vous ? 

Néema Serutoke : le thème retenu cette année est certes pertinent à l'heure où le monde bascule dans la mondialisation. Néanmoins, nous avons deux catégories de femmes, les femmes rurales et celles des milieux urbains. Seule une minorité des femmes urbaines accèdent aux outils numériques notamment, le téléphone connecté. Les femmes rurales n'y ont pas accès alors que ce sont elles qui sont victimes des atrocités et qui devraient bénéficier entre autres des opportunités de formation en ligne. La tendance pourrait être inversée par une politique d'éducation numérique en faveur des femmes rurales.

Le 08 mars, une rencontre entre le chef de l’Etat et les femmes a eu lieu au palais du peuple. Félix Tshisekedi a notamment promis la mise en place d’un « Fonds de promotion des initiatives économiques des femmes ». Quels sont, selon vous, les préalables avant la création d’une telle institution ? 

Néema Serutoke : En RDC, les politiques créent des structures de ce genre qui vont  malheureusement exister pour dilapider les fonds publics au lieu de les injecter dans les actions en faveur des populations. Cela me laisse perplexe et pessimiste quant à l'issue de cette initiative en faveur des femmes.

En ce mois de mars, quelles propositions feriez-vous aux autorités congolaises en faveur de toutes les femmes déplacées qui vivent actuellement dans des camps ? 

Néema Serutoke : 80% des déplacés dans les camps sont des femmes et des enfants qui vivent la misère la plus noire. Le gouvernement congolais n'a qu'un seul devoir, celui de rétablir l'autorité de l'Etat pour permettre à cette catégorie de personnes de regagner leurs zones d'origine. Il faudrait ainsi mettre sur pied un programme spécial d'assistance humanitaire pour permettre notamment aux femmes de reprendre une vie normale. Ceci est un impératif pour le gouvernement.

Douze agents de sécurité, des policiers et militaires ont été condamnés de 5 à 10 ans de prison pour viols sur mineures au Sud-Kivu. Que faut-il, selon vous, pour mettre fin à ce type de violence ?

Néema Serutoke : sanctionner les auteurs des viols est une bonne chose. Mettre en place une politique efficace de lutte contre les violences sexuelles faites contre les femmes est encore mieux. Cela passe par la prise de conscience du gouvernement à protéger les citoyens en général et les femmes en particulier. Finir la guerre, les injustices, la corruption et d'autres antivaleurs qui assombrissent le pays.

Environ 40 personnes sont mortes dans une attaque attribuée aux ADF à Beni (Nord-Kivu). Ceci arrive au moment où les Etats-Unis proposent de récompenser jusqu'à 5 millions $ pour toute information susceptible de mener à leur chef. Que pensez-vous de ces attaques récurrentes qui ne cessent d'endeuiller cette province?

Néema Serutoke : la criminalité, surtout dans l'Est de la RDC a atteint son paroxysme à tel point qu'on ne compte plus le nombre de morts. Au delà des massacres, le viol est la principale arme utilisée par les groupes armés pour décimer la société. Récompensé ou pas, le peuple meurtri et victime de toutes ces atrocités n'y est pour rien. Les grandes puissances et les multinationales ont leur plan de conquête et d'influence sur notre sol, ce qu'ils font malheureusement au prix du sang des innocents. 

Un artiste humoriste, Junior Nkole a été remis en liberté après un mois de détention à l'ANR pour avoir fait un sketch sur le tribalisme. Pensez-vous que la procédure d'interpellation était juste ? 

Néema Serutoke : peu importe la lourdeur de l'infraction commise, les procédures doivent être respectées et la personne humaine doit jouir de ses droits fondamentaux. Les arrestations arbitraires, les détentions illégales sont malheureusement des comportements qui reflètent le régime de notre pays. Notre compatriote en a été victime et c'est regrettable.

Un écrivain a décelé quelques fautes dans l'hymne national "Debout congolais" et propose des correctifs tels que conjuguer au temps présent les verbes au futur ou remplacer la deuxième personne du pluriel par la première. Soutenez-vous ces modifications ? 

Néema Serutoke : l'hymne national peut être modifié s'il comporte des imperfections ou n'incarne pas les valeurs patriotiques voulues par un peuple. Je ne vois en cette démarche aucune contravention.

Un premier avion d'aide européenne d'urgence est arrivé ce week-end à Goma avec  20 tonnes de fret, dans le cadre du pont humanitaire annoncé par Emmanuel Macron. Que représente pour vous cette réaction de la France ?

Néema Serutoke : il n'y a pas de mal à offrir de l'aide humanitaire à une personne en détresse, à priori aux déplacés qui meurent de faim et vivent dans des conditions inhumaines. Cependant je m'insurge contre cette pratique qui consiste à infliger une guerre injuste à un peuple innocent et se muer en sapeurs-pompiers en octroyant des aides humanitaires. La France fait partie des pays influents qui soutiennent la guerre d'agression en RDC.

Une délégation du Conseil de sécurité des Nations Unies séjourne à Kinshasa. Au menu de cette visite, le processus électoral et la situation sécuritaire. En sachant que la RDC attend des sanctions américaines à l'égard du Rwanda après le rapport des experts, quelles sont vos recommandations ?

Néema Serutoke : Je n'ai rien à recommander si ce n'est de dire au congolais de prendre son destin en main et s'en méfier.

Au niveau international, la Banque mondiale a annoncé la suspension "jusqu'à nouvel ordre" de son cadre de partenariat avec la Tunisie en raison des agressions contre des ressortissants subsahariens, après un discours du président, le 21 février, contre l'immigration clandestine. Que pensez-vous  de cette décision ?

Néema Serutoke : une décision irréfléchie. Au lieu de s'attaquer aux causes, cette institution de Bretton Woods s'attaque aux conséquences, le cercle vicieux est loin d'être converti.

En Chine, seul candidat en lice, Xi Jinping a été réélu pour un troisième mandat. C'est une première dans le pays depuis la suppression de la limitation à deux mandats entreprise sous son impulsion. Quel est votre avis sur cette élection ?

Néema Serutoke : il n'y a aucune surprise, Xi Jinping devrait être réélu car il a façonné un régime spectaculaire aux actions incontestables.

Par ailleurs, six personnes ont été tuées lors d'une fusillade dans une salle des Témoins de Jéhovah en Allemagne. Le tireur serait un ancien membre de la communauté, qui s'est également donné la mort. Comment un tel drame pourrait être prévenu ou évité dans le futur ? 

Néema Serutoke : cela prouve que la lutte contre le terrorisme a des limites. La frustration, les injustices sociales, l'idéologie criminelle dominent ce monde. Construire un monde de justice sociale, équitable et centré sur les valeurs humaines constructives peut être parmi les solutions.

Propos recueillis par Prisca Lokale